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bas emplois de la vie rustique. Pour son bonheur, quelques parens lui trouvant beaucoup d’esprit, se cottiserent, & l’envoyerent étudier à Sienne, où il fit bien-tôt de grands progrès dans la poésie, les belles-lettres ; la rhétorique & le droit civil.

En 1431, il alla au concile de Basle avec le cardinal de Capranica, en qualité de son secrétaire. Il se distingua tellement dans cette assemblée, qu’il devint secrétaire du concile même, dont il soutint les intérêts avec beaucoup de chaleur contre les papes, tant par ses discours que par ses écrits. Il présida souvent parmi les collateurs des bénéfices, & sa dextérité dans les affaires le fit employer en diverses ambassades, à Trente, à Constance, à Francfort, en Savoie & à Strasbourg.

En 1439, il entra au service du pape Félix V. qui le députa à la cour de l’empereur Frédéric ; ce prince fut si content de lui, qu’il l’honora de la couronne poëtique, le fit son secrétaire & son conseiller. L’empereur ayant insensiblement épousé les intérêts du pape Eugene, Enée Sylvius suivit son exemple, & fut envoyé vers ce pape, duquel il eut une audience favorable, & tant d’accueils de confiance, qu’il le nomma son légat apostolique en Allemagne.

Après la mort d’Eugene, les cardinaux le choisirent pour être protecteur du conclave jusqu’à l’élection d’un nouveau pape. Nicolas V. le fit évêque de Trieste, quatre ans après archevêque de Sienne, & légat en Bohême & en Autriche. Vers l’an 1456 Callixte III. le nomma cardinal, à la sollicitation de l’empereur ; & après la mort de ce pape arrivée en 1458, Enée lui succéda sous le nom de Pie II.

On conçut de grandes espérances de son pontificat, tant à cause de son savoir, qu’en vertu de ses promesses qu’il prendroit des mesures pour la réformation de l’Eglise ; mais il trompa sur ce point l’attente de la chrétienté ; car il rétracta par une bulle tout ce qu’il avoit écrit en faveur du concile de Basle, & justifia combien sa condition présente avoit changé ses sentimens : « Faites plus de cas, dit-il, dans sa bulle adressée à l’université de Cologne, d’un souverain pontife, que d’un particulier : recusez Enée Sylvius », & recevez Pie II.

Il se conduisit en même-tems avec beaucoup de vigueur, & chassa plusieurs tyrans de l’état ecclésiastique. Il confirma le royaume de Naples à Ferdinand, & le fit couronner par le cardinal Ursin. Il excommunia Sigismond duc d’Autriche, pour avoir emprisonné le cardinal de Cusa ; & interdit Sigismond Malatesta parce qu’il refusoit de payer les redevances à l’Eglise. Il priva l’archevêque de Mayence de sa place ; fit un traité avec le roi d’Hongrie, & cita Podiebrad roi de Bohême, à comparoître devant lui. Il prit soin en même tems d’embellir Rome de magnifiques édifices, & fit voler son nom jusqu’en orient, d’où il reçut des ambassadeurs de la part des patriarches d’Antioche, d’Alexandrie & de Jérusalem. Il envoya de son côté une ambassade à Louis XI. roi de France pour l’engager à abolir la pragmatique sanction, à quoi ce prince consentit avec plaisir.

Enfin Pie II. fit de grands préparatifs pour porter la guerre contre les Turcs ; il réclama fortement le secours des princes chrétiens ; & ayant rassemblé une armée considérable de croisés, il se rendit à Ancône pour s’y embarquer, & conduire lui-même cette armée contre les Infideles. Mais étant prêt du départ, il fut attaqué d’une violente fievre continue, & mourut le 14 d’Août 1464, dans sa cinquante-neuvieme année. Quand il sentit sa fin approcher, il demanda les derniers sacremens ; mais on se trouva d’avis différens sur ce point : comme il avoit déja reçu l’Extrème Onction à Basle, lorsqu’il y fut attaqué de la peste, Laurent Roverella évêque de Ferrare, qui passoit pour un habile théologien, soutint

qu’il ne pouvoit pas recevoir ce sacrement une seconde fois ; cependant comme le pape ne voulut pas se rendre à cet avis, il se fit donner l’Extrème-Onction & l’Eucharistie, & decéda peu de tems après, ayant occupé le siege de Rome environ sept ans.

Sponde dit qu’il ne cédoit à personne en éloquence & en dextérité ; & qu’il aimoit si passionnément à écrire, que même dans ses attaques de goutte il ne pouvoit guere s’en abstenir. Platine rapporte qu’il répétoit assez souvent que s’il y avoit quelques bonnes raisons d’interdire le mariage aux prêtres, il y en avoit de beaucoup meilleures pour le leur permettre. On dit aussi qu’il avoit enfin connu l’inutilité des grands mouvemens qu’il se donnoit pour la guerre contre les Turcs ; mais que comme il craignoit les railleries du public, son dessein étoit de se rendre seulement à Brindes, d’y passer l’hiver, de retourner ensuite à Rome, & de rejetter la faute du mauvais succès de cette croisade sur les princes qui n’avoient pas voulu le seconder vigoureusement. Quoi qu’il en soit, sa mort prévint tous les embarras dans lesquels il s’étoit jetté.

Jean Gobelin, son sécretaire, a publié une histoire de sa vie, que l’on soupçonne avec raison avoir été composée par ce pape lui-même. Elle a été imprimée à Rome, in-4°. en 1584 & 1589, & à Francfort, in-fol. en 1614. Nous avons plusieurs éditions des œuvres d’Enée Sylvius. La premiere a paru à Basle, in-fol. en 1551, & la derniere beaucoup préférable, a été faite à Hemlstad en 1700, in-fol. avec la vie de l’auteur au commencement.

Il avoit écrit avant que d’être élevé au pontificat deux livres de mémoires de ce qui s’est passé au concile de Basle, Commentarium de gestis concilii Basiliensis, lib. II. Ces mémoires intéressans, parce qu’ils renferment des négociations & des faits, ont été imprimés dans le Fasciculus rerum expetundarum de Grotius, à Colog. en 1535, & ensuite à Basle en 1577, in-8°.

Enée Sylvius a fait encore d’autres ouvrages dont on trouvera le détail que nous n’insérerons point ici, dans le supplément à l’histoire littéraire du docteur Cave, par M. Henri Wharton. Ce savant a oublié l’histoire de Frédéric III. Historia rerum Frederici imperatoris, d’Enée Sylvius ; elle a paru à Strasbourg par les soins de Kulpisius en 1685, in fol. Mais en lisant cet ouvrage, il faut se rappeller que l’auteur étoit redevable de sa fortune à Frédéric dans le tems qu’il y travailloit, outre qu’il lui a été constamment attaché jusqu’à la mort. Il a aussi traduit d’italien en latin un traité de la fin tragique des amours de Guiscard & de Sigismonde, fille de Tancrede, prince de Salerne. Cette histoire fausse ou véritable a été parfaitement bien tournée par Dryden dans ses fables en anglois.

Le recueil des lettres du pape Pie II. au nombre de 432, a été imprimé à Nuremberg en 1481, à Louvain en 1483, à Lyon en 1497, & ailleurs. Entre plusieurs lettres qui roulent sur des questions de théologie & de discipline ecclésiastique, on en voit quelques-unes dont les titres sont amusans. Par exemple, la cviij. Songe sur la fortune ; la iij. Louanges de la Poésie ; la clxvj. La misere des Courtisans. J’oubliois la cxiv. Histoire des amours d’Euriale & de Lucrece. Mais la plus curieuse de toutes, est assurément la lettre xv. du liv. I. à son pere, au sujet d’un fils qu’il eut d’une angloise à Strasbourg, dans le tems d’une de ses ambassades dans cette ville, & apparemment après qu’il eut été couronné poëte par l’empereur Frédéric en 1439. Voici la traduction de cette lettre.

« Le poëte Enée Sylvius à Sylvius son pere. Vous me marquez, que vous ne savez si vous devez vous réjouir, ou vous affliger, de ce que Dieu m’a donné un fils. Pour moi, je n’y trouve que des sujets de joie, & aucun de tristesse ; car quel