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égalés ; & les Romains qui n’avoient point l’idée du beau, leur ont été inférieurs à tous égards. Quoique curieux à l’excès des pierres gravées, quoique soutenus par l’exemple des graveurs grecs qui vivoient parmi eux, ils n’ont eu en ce genre que des ouvriers médiocres de leur nation, & la nature leur a été ingrate. Les arts illustroient en Grèce ceux qui les pratiquoient avec succès ; les Romains au contraire n’employoient à leurs sculptures que des esclaves ou des gens du commun.

12°. De la plus belle pierre gravée connue. La plus belle pierre gravée sortie des mains des Grecs, & qui nous est restée, est je pense la cornaline, connue sous le nom de cachet de Michel-Ange. C’est le plus beau morceau du cabinet du roi de France, & peut-être du monde. On dit qu’un orfevre de Bologne en Italie, nommé Augustin Tassi, l’eut après la mort de Michel-Ange, & la vendit à la femme d’un intendant de la maison des Médicis. Le sieur de Bagarris qui a été garde du cabinet des antiques d’Henri III. l’acheta huit cens écus, au commencement du dernier siecle, des héritiers de cette dame qui étoient de Nemours : le sieur Lauthier le pere l’eut après la mort de ces antiquaires ; & ce sont les enfans dudit sieur Lauthier, qui l’ont vendue à Louis XIV. Voyez Cachet de Michel-Ange.

13°. Des pierres gravées de l’ancienne Rome. Il semble par ce que nous avons remarqué tout-à-l’heure, qu’il y avoit parmi les Romains une sorte d’insuffisance pour la culture des arts. J’ajoute, que ce n’est pas la seule nation qui pour avoir possédé les plus belles choses, & les avoir en apparence aimées avec passion, n’a pu fournir ni grands peintres, ni grands sculpteurs. Je n’ai plus qu’un mot à dire au sujet de certaines gravûres sur le crystal par les modernes.

14°. Des gravures des modernes sur le crystal en particulier. Les graveurs modernes ont gravé en creux sur des tables de crystal, d’assez grandes ordonnances d’après les desseins des Peintres, & l’on enchâssoit ensuite ces gravures dans des ouvrages d’orfévrerie, pour y tenir lieu de bas-reliefs.

Il faut lire, dans le Vasari, les descriptions qu’il fait d’un grand nombre de ces gravûres, qui enrichissoient des croix & des chandeliers destinés pour des chapelles, & de petits coffres propres à serrer des bijoux. Valerio Vicentini en avoit exécuté un qui étoit entierement de crystal, & où il avoit représenté des sujets tirés de l’histoire de la passion de Notre-Seigneur. Clément VII. en fit présent à François I. lors de l’entrevûe qu’il eut avec ce prince à Marseille, à l’occasion du mariage de Catherine de Médicis, sa niece ; & c’étoit, au rapport du Vasari, un morceau unique & sans prix. (Le Chevalier de Jaucourt.)

Pierre gravée factice, (Gravure.) Voici la manipulation usitée pour faire des pierres gravées factices. On prend du blanc qui se trouve chez les Epiciers-Droguistes en gros pains, qu’ils appellent blanc d’Espagne ou de Rouen (Voyez Blanc, couleur en Peinture) ; on l’humecte avec de l’eau, & on le paîtrit pour le former en gâteau, à-peu-près de la consistance que se trouve la mie de pain frais lorsqu’on la paîtrit entre les doigts ; on emplit de ce blanc humecté un anneau de fer de deux ou trois lignes d’épaisseur, & du diametre qui convient à la pierre que l’on veut mouler ; si l’on ne veut pas faire forger des anneaux de fer exprès, ceux qui se trouvent tout faits dans les ciseaux y sont très-propres, on n’a besoin que de les en détacher avec la lime. On emplit l’anneau de cette pâte dans lequel on la presse avec le doigt ; on met ensuite dessus une couche de tripoli en poudre seche, au-moins assez épaisse pour suffire au relief que l’on veut tirer. On se sert pour cela d’un couteau à couleur, pareil à ceux des Peintres ; on presse légérement le tripoli avec le couteau, & on

met dessus, du côté de la gravûre, la pierre que l’on veut mouler, sur laquelle on appuie fortement avec le pouce, ou pour mieux faire encore, avec un morceau de bois tel que le manche d’un outil.

Il est essentiel alors de soulever un peu tout de suite la pierre par un coin, avec la pointe d’une aiguille enchâssée dans un petit manche de bois ; & après l’avoir laissée encore un instant, on la fera sauter totalement de dessus son empreinte avec la pointe de l’aiguille, ou on l’en détachera en prenant le moule avec les deux doigt, & en le renversant brusquement. Il faut beaucoup d’adresse & d’usage pour bien faire cette derniere opération. Si la pierre ne reste pas assez long-tems sur le moule après avoir appuyé dessus, & qu’on vienne à l’en faire sauter avant que l’humidité de la pâte du blanc d’Espagne ait atteint la surface du tripoli, le renversement de la pierre causera du dérangement dans l’empreinte. Si la pierre reste trop long-tems sur le moule après avoir appuyé dessus, l’humidité de la pâte du blanc d’Espagne gagne tout-à-fait les creux de la gravûre, dans lesquels il reste infailliblement des parties du tripoli. Il faut donc pour réussir que le renversement de la pierre se fasse dans le moment où l’humidité de la pâte du blanc d’Espagne vient d’atteindre la surface du tripoli, qui touche à toute la surface de la gravûre de la pierre que l’on veut mouler.

Si l’on ne saisit pas ce moment, on manque une infinité d’empreintes ; il y a même des pierres que la profondeur de la gravûre rend si difficiles à cet égard, qu’on est obligé, après les avoir imprimées sur le tripoli, de les laisser en cet état jusqu’à ce que le tout soit parfaitement sec, avant de tenter de séparer la pierre de l’empreinte : quoique cette pratique soit plus sûre, il faut cependant convenir qu’elle ne laisse pas l’empreinte aussi parfaite que l’autre quand elle est bien exécutée.

Le choix du tripoli est encore une chose de la derniere importance. M. Homberg, dans le mémoire qu’il a donné parmi ceux de l’académie des Sciences en 1712, veut que l’on se serve de tripoli de Venise qui est ordinairement jaune ; mais il s’en trouve en France de rougeâtre qui fait le même effet : il faut seulement le choisir tendre & doux au toucher comme du velours, en rejettant tout celui qui seroit dur & qui contiendroit du sable. Il ne faut pas tenter d’en ôter le sable par les lavages, on ôteroit en même tems une onctuosité qui fait que lorsqu’on le presse ses parties se joignent & se collent ensemble, & par ce moyen en font une surface aussi polie que celle du corps avec lequel on le presse. Il faut donc se contenter, après avoir passé le tripoli par un tamis de soie très-fin, de le broyer encore dans un mortier de verre ou de porcelaine avec un pilon de verre, sans le mouiller.

Le renversement de la pierre que l’on vient d’imprimer étant fait, il faut en considérer attentivement la gravure, pour voir s’il n’y seroit pas resté quelques petites parties du tripoli ; dans lequel cas, comme ces parties manqueroient à l’empreinte, il faut recommencer l’opération en remettant de nouveau blanc d’Espagne dans l’anneau & de nouveau tripoli dessus.

Lorsque l’on est content de l’empreinte, on la met à secher ; & quand elle est parfaitement seche, on peut avec un canif égaliser un peu le tripoli qui déborde l’empreinte, en prenant bien garde qu’il n’en tombe pas sur l’empreinte.

Lorsqu’on sera assuré que l’empreinte est bien faite & le moule bien sec, on choisira le morceau de verre ou de composition sur lequel on veut tirer l’empreinte ; plus les verres seront durs à fondre, plus le poli de l’empreinte sera beau. On taillera le morceau de verre de la grandeur convenable en l’égru-