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la force de 24 ou 28 hommes qui l’elevent 25 ou 30 fois de suite en une minute jusqu’à quatre piés & demi de hauteur, ces hommes se reposent après autant de tems alternativement.

Les moutons de 1200 livres sont tirés par la force de 48 hommes ; on s’en sert pour le fort pilotis ou les pieux ordinaires ; mais les plus gros pieux exigent un mouton plus pesant.

On emploie pour lors une machine différente de la sonnette ; six ou huit hommes sont appliqués avec des bras de leviers à mouvoir un treuil horisontal, sur lequel est placé la corde qui porte le mouton, étant élevé au sommet de la machine, un crochet à bascule ou un déclic, font lâcher le mouton, où descend la corde en déroulant le treuil pour le reprendre, ou bien plus commodément & par un échapement que M. Vaulhoue, horloger anglois, a imaginé ; la corde redescend immédiatement après le mouton, qu’elle reprend par une espece de tenaille de fer qui lui est attachée, & cette corde qui est placée sur une lanterne dont l’axe est vertical, le dévide seul en lâchant un déclic sans être obligé de retourner le treuil comme dans le premier cas, ce qui est bien plus commode & expéditif ; ces deux sortes de façons de battre les pieux se nomment également battre au déclic : on s’en sert souvent aussi pour les moutons qui pesent au-dessous de 1200 livres depuis 6 ou 700 livres, tant à cause de la difficulté d’avoir assez d’hommes dans de certaines circonstances pour équiper les grandes sonnettes, que parce qu’ils se nuisent, & qu’en tirant obliquement par les vingtaines ou petites cordes qui sont attachées à la corde principale, comme cela est inévitable, quoique ces petites cordes soient quelquefois attachées autour d’un cercle placé horisontalement pour diminuer l’obliquité, il y a toujours une partie assez considérable de la force qui se trouve perdue.

Il est vrai d’un autre côté que le déclic est moins expéditif, puisque le mouton est moins grand ; ainsi supposer que pour lever un mouton de 1200 livres on se serve de huit hommes appliqués à la sonnette à déclic de M. Vaulhoue, au lieu de 48 qu’il faudroit à la sonnette ordinaire sans déclic, on employera six fois plus de tems, le reste étant supposé d’ailleurs égal. On pourra donc préférer pour le battage des pieux ou des pilots, celle de ces deux machines qui pourra le mieux convenir pour le lieu & la circonstance, sans devoir se flatter que ce choix puisse épargner la dépense, & c’est-là le résultat de toutes les machines simples telles qu’elles soient.

Un pilotis ne doit être considéré avoir été battu suffisamment, & à ce que l’on appelle au refus du mouton, que lorsque l’on est parvenu à ne le plus faire entrer que d’une ou deux lignes par volée de 25 à 30 coups, & pendant un certain nombre de volées de suite ; à l’égard des pieux, comme ils doivent être moins chargés, on peut se contenter d’un refus de 6 lignes ou même d’un pouce par volée, suivant les circonstances.

Lorsque les pieux ou pilots sont serrés, il faut avoir l’attention d’en couper le bout quarrément sur 2 à 3 pouces, & de faire reserver au fond du sabot autant que cela se peut, afin que le choc du mouton puisse se transmettre immédiatement sur le fond de ce sabot, & non pas sur les cloux dont chaque branche est attachée, ce qui feroit cesser ce sabot & nuiroit à l’enfoncement des pieux.

La tête doit aussi être coupée quarrément sur la longueur du pieu un peu en chanfrain au pourtour, ensuite fretté de fer quelques pouces plus bas, s’il est besoin, pour empêcher qu’elle ne s’écrase ou se fende.

Le choc du mouton aidé de la pesanteur du pilot, le fait d’abord entrer sensiblement ; le terrein qui se

reserve pour lui faire place forme ensuite une plus grande résistance.

Ce terrein est aussi ébranlé par la secousse & la réaction des fibres du pilot jusqu’à une certaine distance circulairement, & de plus en plus, à mesure que le pilot s’enfonce. On conçoit qu’il doit se trouver un terme auquel ces résistances & pertes de force employées pour mettre en mouvement le terrein qui environne le pilot, pourront le mettre en équilibre avec la percussion, le pilot n’entrera plus, & au lieu d’un refus absolu, on n’aura qu’un refus apparent.

Si on vient à rebattre ce pilot au bout de plusieurs jours, il pourra encore entrer ; le terrein qui le pressoit latéralement comprime & repousse de proche en proche chaque portion circulaire de terre qui l’environne, la résistance se trouvera diminuée, & la même percussion employée de nouveau sera capable d’un même effet ; c’est aussi ce qui se trouve confirmé par l’expérience.

On a grand intérêt de reconnoître le refus absolu pour cet effet, indépendamment de l’expédient précedent & de ce que l’on pourroit employer un mouton plus pesant en seconde reprise, le moyen le plus certain sera de faire préliminairement les sondes qui ont été proposées ci-devant, puisqu’elles feront connoître d’avance la profondeur & la nature du fonds sur lequel les pilots devront s’arrêter.

L’expérience donne aussi quelquefois à connoître ce refus absolu ; dans un terrein gras, lorsque le pilot est arrivé au refus apparent ou de frottement, l’élasticité de ce terrein fait remonter le pilot autant qu’il a pu entrer par le choc : si le pilot est au contraire parvenu au roc ou terrein ferme, le coup sera plus sec, & le mouton sera renvoyé avec plus de roideur par l’élasticité même de la réaction des fibres comprimées du pilot.

C’est de cette raison de l’élasticité de la part d’un terrein gras & compacte que l’on ne sauroit y enfoncer qu’un certain nombre de pilots, passé lequel ceux qui ont été premierement chassés resortent à mesure que l’on en bat de nouveaux, & cela doit toujours arriver lorsqu’il s’est fait équilibre entre la percussion & la densité nouvellement acquise du terrein par la compression des pilots.

Le terrein pourroit aussi avoir naturellement cette densité & élasticité dont on vient de parler ; pour lors le premier pilot même n’y entrera qu’à une certaine profondeur, & qu’autant que la surface du terrein pourra s’élever pour lui faire place, cela arrive ainsi dans la glaise pure & verte, lorsqu’elle est un peu ferme.

On pourroit faire que les pilots que l’on auroit pu chasser dans un terrein un peu gras & élastique, n’en sortiroient point par la chasse d’un nouveau pilot ; mais celui-ci n’y entreroit que comme le pourroit faire celui du dernier article, il suffiroit pour cela de battre les pilots le gros bout en bas : en voici la raison.

Lorsque les pilots sont chassés le petit bout en bas, leur surface conique se trouvant chargée de toute part, à cause de l’élasticité supposée dans ce terrein, (quand on vient à chasser un pilot aux environs) les chocs qui se font perpendiculairement à la surface du cône, se décomposent en deux autres ; les uns qui sont dans le sens horisontal se détruisent, & les autres qui sont suivant la direction de l’axe, soulevent le pilot, & le font ressortir en partie, il doit arriver le contraire, & pour la même raison, lorsque le pilot est chassé le gros bout en bas ; ainsi, loin de pouvoir sortir, les chocs qu’il éprouve à sa surface ne tendent qu’à le faire enfoncer, suivant son axe, s’il y a moyen.

Lorsque l’on se propose de battre plus d’une ou deux files de pieux ou pilots, comme quand il est question de fonder la pile ou la culée d’un pont, il