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croit plutôt que le vent fait l’office de véhicule, & porte la poussiere des mâles aux femelles.

Il confirme son opinion par un fait qu’on lit dans Jovianus Pontanus. Cet auteur rapporte que de son tems il y avoit deux palmiers, l’un mâle, qu’on cultivoit à Brindes, l’autre semelle, dans le bois d’Otranto, éloigné du premier de 15 lieues ; que ce dernier fut quelques années sans porter du fruit, jusqu’à ce qu’enfin s’étant élevé au-dessus des autres arbres de la forêt, de sorte qu’il pouvoit, dit le poëte, voir le palmier mâle de Brindes, il commença à porter des fruits en abondance.

Aussi M. Geoffroy est persuadé que le palmier femelle ne commença à porter du fruit que quand il fut assez élevé pour que la poussiere du mâle lui fût apportée par le vent.

Sur la maniere dont la poussiere rend les arbres féconds, M. Geoffroy avance deux opinions : 1°. que cette poussiere qui est toujours d’une nature sulphureuse & pleine de parties subtiles & pénétrantes, comme il paroît par son odeur forte, tombe sur la partie des fleurs, & s’y resout en petites parties, dont les plus subtiles pénetrent la substance du pistil & du fruit encore tendre, & excitent une fermentation suffisante pour ouvrir & développer la jeune plante enfermée dans l’embryon de la graine. Dans ce systeme on suppose que la graine contient la plante en petit, & pour ainsi dire, qu’elle n’a besoin du suc nourricier que pour en développer & en faire croître les parties.

La seconde opinion est que la poussiere de la fleur est le premier germe ou le premier bourgeon de la nouvelle plante, & qu’elle n’a besoin, pour être développée & pour croître, que du suc nourricier qu’elle trouve préparé dans les embryons de la graine.

Le lecteur peut remarquer que ces deux théories de la génération des végétaux ont une analogie très-exacte avec les deux théories ordinaires de la génération des animaux ; suivant l’une, le petit animal est dans la semence du mâle, & n’a besoin que des liqueurs contenues dans la matrice pour se développer & pour croître ; suivant l’autre, l’animal est renfermé dans l’œuf de la femelle, & n’a besoin de la semence du mâle que pour exciter une fermentation. Voyez Conception, Génération, &c.

M. Geoffroy croit que la propre & véritable semence est plutôt dans la poussiere des étamines, parce qu’avec les meilleurs microscopes on ne peut découvrir la moindre apparence d’aucun bourgeon dans les petits embryons des graines, lorsqu’on les examine avant que la poussiere des étamines se soit répandue. Dans les plantes légumineuses, si on ôte les feuilles & les étamines, & que le pistil, ou la partie qui se change en cosse, soit regardée au microscope avant que les fleurs soient épanouies, les petites vésicules vertes & transparentes qui doivent se changer en graines paroîtront dans leur ordre naturel ; mais on n’y voit encore rien autre chose que la simple tunique ou peau de la graine. Si on continue cette observation plusieurs jours de suite, on verra qu’à mesure que ces fleurs avancent, les vésicules s’enflent & se remplissent par degrés d’une liqueur limpide, dans laquelle, lorsque la poussiere s’est répandue & que les feuilles de la fleur sont tombées, on remarque une petite tache, ou un petit lobule verdâtre, qui y flotte en liberté. D’abord on ne voit aucune apparence d’organisation dans ce petit corps, mais ensuite à mesure qu’il croît, on commence à y distinguer deux petites feuilles, comme deux cornes. La liqueur diminue insensiblement à mesure que le petit corps croît, jusqu’à ce qu’enfin la graine devient entierement opaque ; alors si on l’ouvre, on trouve son intérieur rempli par une petite plante en miniature, consistant

en un petit germe, une petite racine & les lobes de la seve ou du pois.

Il n’est pas difficile de déterminer la maniere dont le germe contenu dans les sommets des étamines entre dans la vésicule de la graine. Car outre que la cavité du pistil s’étend depuis le haut du pistil jusqu’aux embryons des graines, ces graines ou vésicules ont une petite ouverture correspondante à l’extrémité de la cavité du pistil ; de sorte que la petite poussiere ou farine peut aisément tomber tout le long de cette cavité dans l’ouverture de la vésicule qui est l’embryon de la graine. Cette cavité ou cicatricule est à-peu-près la même dans un grand nombre de graines, & on peut sans microscope la voir aisément dans les feves, les pois, &c. La racine du petit germe est précisément vis-à-vis cette ouverture, & c’est par-là qu’elle passe quand la petite graine commence à germer.

Ce procédé de la nature dans la génération des végétaux, & les différens moyens qu’elle emploie pour cela sont si curieux & si peu connus, qu’il ne sera pas inutile de l’expliquer plus au long par le secours de quelques figures. Nous prendrons pour exemple le melon, dans lequel les parties de la génération sont fort distinctes. On doit remarquer en passant, que quoique le melon ait les deux sexes, cependant la disposition de ses organes est différente de la disposition générale que nous avons expliquée ci-dessus, en parlant de la tulipe. En effet, il y a dans le melon deux fleurs distinctes, dont l’une fait l’office de mâle, l’autre de femelle, & que nous appellerons pour cette raison, l’une fleur mâle, l’autre fleur femelle.

Dans les Planches d’Histoire naturelle, on voit la fleur mâle de la courge dont les feuilles sont ôtées du cercle FF ; ABE représente la tête placée au centre de la fleur, formée de la circonvolution des sommets B, & soutenue par quatre colonnes GGGG. La partie B de la tête représente les circonvolutions des sommets, tandis qu’ils sont fermés, & la partie E les représente ouverts, & parsemés de la poussiere qu’ils renfermoient auparavant, & qui s’est répandue au-dehors quand la plante est parvenue à sa maturité. Chaque sommet forme une sorte de canal séparé en deux. D représente un grain de poussiere. H représente le pédicule qui soutient la fleur, & qui dans la fleur mâle ne produit rien.

La fig. suiv. représente la fleur femelle de la courge, ou celle qui porte le fruit. Les feuilles sont ôtées du cercle FF, comme dans l’autre, pour mieux laisser voir les parties intérieures. Le nœud de la fleur, ou l’embryon du fruit est représenté par A, le pistil est représenté par BB, & n’est qu’une continuation de l’embryon du fruit A. Le sommet du pistil se divise en BB en plusieurs corps oblongs, dont chacun peut se séparer en deux lobes. Ces corps sont fort raboteux ; ils sont garnis de poils & de petites vesicules, ce qui les rend propres à garder la poussiere de la fleur mâle, & à la conduire jusqu’à l’ouverture des canaux qui communiquent entr’eux aussi loin que les cellules des graines contenues dans le fruit encore tendre. Si on coupe le pistil transversalement dans sa plus petite partie, on trouve autant de canaux qu’il y a de divisions à la tête du pistil ; & ces canaux correspondent à autant de petites cellules dont chacune renferme deux rangs de graines ou de semences placées dans un placenta spongieux.

Cette théorie de la génération des plantes peut nous faire entrevoir comment on altere & on change le goût, la forme, les fleurs & la qualité d’un fruit en imprégnant la poussiere de ce fruit de la poussiere d’un autre de la même classe.

C’est à ce mélange, & pour ainsi dire cet accouplement accidentel, qu’on doit attribuer non-seule-