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quée, décrite & transmise à la postérité. Nous voyons dans tous nos recueils d’observations ce goût dominant pour le merveilleux, toujours soutenu au point qu’on y a souvent sacrifié l’utile. On trouve dans quelques anciens auteurs le mot latin plica ou plicatio, & le mot grec πλεκτάνη, qui lui répond ; mais ils sont employés dans un autre sens ; savoir, pour désigner une contorsion, avec ramollissement & sans fracture, des côtes & autres os, qu’on observe sur-tout dans les enfans.

S’il a été un tems où le plica n’existoit point, les causes qui le produisent actuellement ont donc été pendant tout ce tems sans force, sans action, ou absolument nulles. Quelle a donc été leur origine, ou qu’est-ce qui a réveillé leur activité ? Roderic Fonseca attribue cet effet au changement opéré dans l’atmosphere par l’aspect sinistre des astres ; d’autres ont eu recours à des causes insuffisantes, tirées de quelque erreur dans les six choses non-naturelles, de la malpropreté, de la négligence à se peigner, à se laver la tête, &c. Quelques-uns ont accusé des causes plus ridicules, chimériques, que la crainte enfante, que l’attrait frivole & puissant du merveilleux accrédite, & que l’ignorante crédulité soutient. Un vulgaire insensé qui est de tous les pays a cru, & des auteurs encore plus sots, parce qu’étant éclairés ils devoient l’être moins, ont écrit ; ceux-ci, que le plica devoit son origine à des enchantemens, des opérations magiques, & qu’il ne pouvoit être dissipé que par des secours surnaturels ; ceux-là, que l’entrelacement des cheveux étoit l’ouvrage des enfans morts, non baptisés, qui venoient travailler à cela pendant la nuit ; & pour perpétuer cette sottise, on a donné au plica le nom allemand de wichtel zoepffe ; wichteln signifie dans l’ancien langage non baptisé, & zoepffe, nœud, entrelacement. Les uns, que c’étoit des incubes qui venoient sucer & nouer ainsi les cheveux ; les autres, que ces incubes paroissoient sous la forme d’une femme juive, & cette erreur populaire est encore marquée dans ce nom, juden-zoepffe, &c. &c.

L’origine de cette maladie la plus probable, dont je me garde bien cependant de garantir la vérité, est celle qui est fondée sur le rapport de la plûpart des historiens polonois, Spondanus, Bzowius, Cromerus Dhigosius, Joachimus Pastorius, & sur une tradition constante & presque universelle dans le pays ; d’où il résulte, que l’époque de l’origine de cette maladie doit être fixée vers l’année 1287 sous le regne de Lescus le noir en Pologne, tems auquel les Tartares firent une irruption dans la Russie rouge : ces peuples, dit Spondanus, naturellement méchans, magiciens & empoisonneurs, corrompirent toutes les eaux du pays par le moyen des cœurs qu’ils avoient arrachés de leurs prisonniers, qu’ils jetterent dans les rivieres après les avoir remplis d’herbes venimeuses, & où ils les retenoient avec des broches. Les eaux ainsi infectées donnerent la mort à ceux qui en burent d’abord, ou porterent dans leur sang les semences de la funeste maladie dont il s’agit. Cette disposition vicieuse des humeurs a dû se transmettre des peres aux enfans, répandre au loin & multiplier beaucoup le plica, elle a pu être favorisée par la nature de l’air, du climat, par la qualité permanente des eaux, des alimens, par la façon de vivre, par l’irrégularité de régime, par la complication avec la vérole, ou le scorbut, maladies avec lesquelles elle a, comme on voit, beaucoup de rapport, & par lesquelles elle est extrèmement aigrie. En souscrivant ainsi au témoignage des auteurs que nous avons cités, on explique assez plausiblement l’origine, l’invasion & l’endémicité de cette maladie ; mais il reste à déterminer encore en quoi consiste cette maladie, quel est le méchanisme, la façon d’agir des causes

qui la produisent ; quel changement operent-elles sur les humeurs & les vaisseaux ; problèmes qui ne sont point encore résolus d’une maniere satisfaisante ; la saine philosophie qui se répand avec avantage dans la Médecine, refusant d’adopter toutes ces explications ridicules & imaginaires, fondées sur les acrimonies de différente espece, la volatilisation des soufres, l’exaltation des sels, &c. &c. Guillaume Davisson a coupé le nœud sans le résoudre : il s’est épargné la peine de chercher des explications de cette maladie, en niant qu’elle existât & qu’elle eût jamais existé autre part que dans la tête félée de quelques femmelettes superstitieuses, d’où elle a été transplantée, dit-il, dans le cerveau foible de quelques médicastres ignorans ; & partant de cette idée, il traite toutes les observations qu’on a recueillies sur ce sujet, de fables, de contes de vieilles, de chimeres, que la crainte, l’ignorance, l’imagination préoccupée, en fascinant les yeux, ont fait prendre pour des réalités. Mais toutes ces vaines déclamations, ces sorties indécentes ne sauroient, devant un juge impartial, infirmer le témoignage authentique d’un grand nombre de médecins & d’historiens respectables : on ne sait de quelque titre qualifier la prétention ridicule de cet écrivain, d’ailleurs célebre, qui seul & de son autorité privée, s’oppose à l’assertion constante de plusieurs peuples sur une question de sait, & qui ne tend pas à moins qu’à les faire passer, eux & les auteurs de leur pays pour des sots & des fous. Voyez Comment. scot. in petr. Severin. ideam medicin. philosoph. pag. 450. & Vopisc. Fortunat. Plempius, de astutib. capillor.

On ne peut pas non plus tirer de grandes lumieres pour la connoissance intime de cette maladie, de la prétendue observation de Flovacius, médecin de Cracovie, qui dit avoir trouvé des poils très-longs dans le sang d’une personne attaquée du plica, & qui prédit en conséquence que la maladie étoit trop enracinée dans le sang pour pouvoir céder à l’efficacité des remedes. Cette observation a cependant donné lieu à Scultetus de penser que toute la disposition vicieuse du sang consistoit dans cette maladie à charrier des poils acres & stimulans, comme il dit lui-même ; & il assure que dans les cadavres de ceux qui sont morts du plica, ces poils sont sensibles à la vûe. Credat judæus apella, non ego ; tant il est vrai qu’une erreur conduit toujours à une autre.

Mais sans nous arrêter à toutes ces absurdités, il paroît, en examinant avec attention les symptomes qui précedent & accompagnent le plica, & rappellant les observations que les auteurs nous ont transmises sur cette maladie ; il paroît, dis-je, que c’est une espece de fievre maligne, ou de scorbut aigu qui a sa cause spécifique, & pour symptome particulier cet entrelacement des cheveux, qui pourroit aussi être regardé comme un dépôt critique qui se portant à l’extérieur débarrasse les parties nobles, & juge salutairement la maladie. 1o. On peut se ressouvenir que nous avons remarqué plus haut que dès que les cheveux commencent à être affectés, une grande partie des symptomes se dissipe ; 2o. il conste par plusieurs observations que si l’on empêche l’affection des cheveux en les coupant, par exemple, la maladie devient plus sérieuse, & les yeux sur-tout sont sur-le-champ attaqués par des fluxions opiniâtres ; ou bien il arrive, comme Helwigius l’a observé, que le sang dissous sort goutte à goutte des cheveux coupés, sans qu’il soit possible de l’arrêter ; le malade s’affaisse, éprouve de fréquentes syncopes, & meurt en peu de jours. 3o. La crise ordinaire dans les maladies malignes, venéneuses, se fait par des abscès aux parties extérieures, comme Hippocrate l’a judicieusement remarqué. 4o. L’augmentation subite, la noirceur, l’aspérité des ongles doivent aussi être regardées comme critiques, parce