Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 12.djvu/949

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fini ; ainsi suivant ces situations fortuites, il y en a d’applatis, d’alongés, de cylindriques, &c. il n’est point de formes qu’ils ne prennent ou ne puissent prendre ; rien de plus varié & de plus arbitraire que ces figures ; rien aussi de plus inutile que celles que Kerkringius, Bartholin & Tulpius ont fait dessiner des polypes qu’ils ont observés ; mais parmi toutes ces figures, les plus singulieres sont celles des polypes creux ; la matiere dont ils sont tissus s’applique quelquefois aux parois du cœur, & forment une cavité ; leurs branches qui passent dans les vaisseaux, sont en certains cas des canaux où le sang coule comme dans les arteres & les veines. Tel étoit le polype que Malpighi trouva dans le cœur d’un jeune homme.

Causes des polypes. Il y a dans la lymphe & dans le sang, un principe de cohésion qui tend à rapprocher leurs parties & à les condenser en une masse solide ; mais le dernier effet de ce principe est dans l’état de santé, empêché par le mouvement progressif du sang, & par l’agitation intestine de ses globules ; dans le sang tiré dans une palette nous voyons la coagulation suivre à l’instant la cessation du mouvement progressif ; mais en même tems on observe que la coagulation diminue & se dissipe tout-à-fait lorsque le mouvement intestin parvenu à son dernier période, a mis le sang dans l’état de putréfaction. Est-il nécessaire que le sang soit tout-à-fait arrêté pour donner naissance aux polypes ? & ces concrétions ne se forment-elles, comme l’a pensé Kerkringius, que lorsque le froid de la mort s’est répandu dans tous les membres & a fait cesser tout mouvement ? Les observations sur lesquelles cet auteur étaye son sentiment sont peu concluantes, & ses expériences fautives. Il a trop généralisé son assertion : il auroit eu sans doute raison s’il se fût contenté de prétendre que toutes les concrétions polypeuses n’existent pas avant la mort, que la plupart sont l’ouvrage du froid ou de quelque maladie dans les derniers efforts de la machine qui se détruit ; mais il y a de ces concrétions extrèmement dures & tenaces, que nous avons appelle polypes vrais, qui se sont formés pendant la vie, qui ont altéré la santé & se sont manifestés par un dérangement considérable dans l’action du cœur, un trouble constant dans le mouvement du sang. Les polypes naissent ordinairement dans les cavités du cœur ou des gros vaisseaux, sur-tout quand ces vaisseaux sont dilatés par quelque anévrisme ; mais ils sont, suivant la remarque de Morgagni, beaucoup plus sujets à former des concrétions polypeuses lorsque leur surface interne devient inégale & raboteuse par quelque lésion ou par quelque déchirement ; la preuve en est que ces coagulations ne s’observent pas dans des arteres qui ne sont que dilatées sans que leurs parois soient déchirés ; cette inégalité sert à arrêter quelques parties de sang qui ont plus de dispositions à se coaguler ; celles-ci forment une espece de noyau autour duquel les autres parties mues très-lentement viennent se coller ; la matiere de ces noyaux ou la base, & le premier fondement des polypes, sont pour l’ordinaire les parties lymphatiques qui se figent le plus aisément ; plus la lymphe durcira promptement, & plus elle retiendra de parties rouges ; la différente coagulation faite en divers tems du sang ou de la lymphe, formera les couches plus ou moins nombreuses de polypes ; la multiplicité des colonnes dont le cœur est rempli & composé, sont autant d’obstacles qui arrêtent le mouvement du sang, & autant de causes qui favorisent la génération des polypes dans le cœur ; le sang s’arrête facilement dans tous les interstices que ces piliers laissent entr’eux, lorsque le cœur ne se vuide pas entierement, que ses contractions sont insensibles ; lorsqu’il y a quelqu’obstacle dans l’artere pulmonaire, l’aorte, les oreillettes, & les ventricules ; ces obstacles étant plus multipliés

dans le ventricule droit & son oreillette, les polypes doivent y être plus fréquens ; le sang qui y aborde continuellement en grande quantité est épais, peu mélé avec la lymphe ; il trouve dans le ventricule droit beaucoup de colonnes fort entrelacées ; ce ventricule n’a pas une grande force, il doit pousser le sang à-travers le poumon, qui lui résiste souvent à cause des maladies auxquelles il est sujet, & à cause des mouvemens dont il est agité. Les polypes qui se forment dans les grands anévrismes des arteres, ceux qui naissent dans le cœur prouvent démonstrativement qu’il arrive des concrétions polypeuses dans le sein même des agens, qui sont dans un mouvement continuel, & qui mettent en jeu tous les autres ressorts des corps animés, & par conséquent qu’il n’est pas nécessaire pour la génération des polypes, que les humeurs soient dans un repos absolu ; une diminution de mouvement suffit ; & c’est à quoi se réduit l’effet de la plûpart des causes éloignées de ces concrétions, ou des maladies à la suite desquelles on les trouve.

Ces causes sont, suivant des observations cadavériques souvent répétées, les passions violentes, une colere vive, une frayeur subite, des craintes continuelles, des chagrins excessifs, des efforts trop grands ; toutes les maladies du poumon, sans en excepter la phtisie, plusieurs affections convulsives, & sur-tout la syncope cardiaque. Lorsque le poumon est affecté, le sang acquiert plus de disposition à se figer ; pour l’ordinaire il devient coëneux ; il a d’ailleurs de la peine à circuler par tous les petits vaisseaux de ce viscere : double cause qui favorise la génération des polypes. Il se rencontre encore dans les asthmatiques une autre cause qu’a manifestée l’ouverture des cadavres ; c’est la dilatation des ventricules & des oreillettes, très-ordinaire dans cette maladie, suivant les actes de Berlin & de Bauhin, qui donne lieu à l’accumulation & à la coagulation du sang ; mais cette dilatation contre nature ne seroit-elle point une suite des obstacles qu’apportent à la circulation l’engorgement ou la constriction des vaisseaux pulmonaires d’un asthmatique ? Les polypes fréquens dans les phtisiques doivent sur prendre ceux qui pensent que dans cette maladie le sang est extrèmement dissous ; mais est-il bien certain que le fait soit vrai ? N’a-t-on pas confondu un peu plus de fluidité avec une dissolution ? Ne pourroit-on pas penser que cet excès de fluidité dépend de l’immiscibilité de la lymphe avec la partie rouge, comme il arrive aux hydropiques & aux personnes attaquées des pâles couleurs, qui ne sont pas moins sujettes aux concrétions polypeuses ? Et dans ces cas le défaut de mouvement intestin, la séparation trop facile des parties lymphatiques nullement dissoutes, la langueur de la circulation, son passage difficile dans les poumons phtisiques, ne sont-ce pas autant de causes qui doivent concourir à la formation des polypes ?

Effets & signes des polypes. L’amas du sang dans les ventricules, ou dans les oreillettes, ou dans les veines, est le premier effet qui doit suivre la formation des polypes ; il variera suivant leur grosseur & leur situation : cet effet est commun à tous les obstacles qui gênent & retardent la circulation des humeurs. Les malades sentiront donc une pesanteur ou une oppression dans la région du cœur, qui est la source des inquiétudes & des angoisses familieres aux polypeux dont plusieurs écrivains ont parlé. A ces accidens se joindra un sentiment douloureux, comme Vesale & Hartmann l’ont observé. De ces obstacles opposés au cours du sang dans le cœur, naîtront ces mouvemens irréguliers, ces efforts redoublés pour les emporter, & l’espece d’inquiétude de cet organe, connus sous le nom de palpitation de cœur, voyez ce mot. Quoique les polypes produisent des palpitations, on les a sou-