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Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 13.djvu/476

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tut but différent, &c. Par-tout on se contenteroit d’un mot pour exprimer une pensée, si un mot pouvoit suffire ; mais du-moins l’usage tend partout à supprimer tout ce dont il peut autoriser la suppression, sans nuire à la clarté de l’énonciation, qui est la qualité de tout langage la plus nécessaire & la plus indispensable.

2°. Par rapport à l’ordre successif que l’analyse assigne à chacune des parties de la proposition, la phrase est directe, ou inverse, ou hyperbatique.

La phrase est directe, lorsque tous les mots en sont disposés selon l’ordre & la nature des rapports successifs qui fondent leur liaison : omnes sunt admirati constantiam Catonis.

La phrase est inverse, lorsque l’ordre des rapports successifs qui fondent la liaison des mots est suivi dans un sens contraire, mais sans interruption dans les liaisons des mots conjonctifs : constantiam Catonis admirati sunt omnes.

Enfin la phrase est hyperbatique, lorsque l’ordre des rapports successifs & la liaison naturelle des mots consécutifs sont également interrompus : Catonis omnes admirati sunt constantiam.

Il faut observer, entre les idées partielles d’une pensée, liaison & relation. La liaison exige que les corrélatifs immédiats soient immédiatement l’un auprès de l’autre ; mais de quelque maniere qu’on les dispose, l’image de la liaison subsiste : Augustus vicit, ou vicit Augustus ; vicit Antonium, ou Antonium vicit ; & par conséquent Augustus vicit Antonium, ou Antonium vicit Augustus, les liaisons sont toujours également observées. Mais les liaisons supposent des relations, & les relations supposent une succession dans leurs termes ; la priorité est propre à l’un, la postériorité est essentielle à l’autre ; voilà un ordre que l’on peut envisager, ou en allant du premier terme au second, ou en allant du second au premier ; la premiere considération est directe, la seconde est inverse : Augustus vicit, vicit Antonium, & par conséquent, Augustus vicit Antonium, c’est l’ordre direct ; Antonium vicit, vicit Augustus, & est conséquemment Antonium vicit Augustus, c’est l’ordre inverse : l’un & l’autre conserve l’image des liaisons naturelles, mais il n’y a que le premier qui soit aussi l’ordre naturel des rapports ; il est renversé dans le second. Enfin la disposition des mots d’une phrase peut être telle qu’elle n’exprime plus ni les liaisons des idées, ni l’ordre qui résulte de leurs rapports ; ce qui arrive quand on jette entre deux corrélatifs quelque mot qui est étranger au rapport qui les unit : il n’y a plus alors ni construction directe, ni inversion ; c’est l’hyperbate : Antonium Augustus vicit. Voyez Inversion, Hyperbate. Il y a des langues où l’usage autorise presque également ces trois sortes de phrases ; ce sont des raisons de goût qui en ont déterminé le choix dans les bons écrivains ; & c’est en cherchant à demêler ces raisons fines que l’on apprendra à lire : chose beaucoup plus rare que l’amour-propre ne permet de le croire.

3°. Enfin par rapport au sens particulier qui peut dépendre de la disposition des parties de la proposition, elle peut être ou simplement expositive ou interrogative.

La proposition est simplement expositive, quand elle est l’expression propre du jugement actuel de celui qui la prononce : Dieu a créé le ciel & la terre ; Dieu ne veut point la mort du pécheur.

La proposition est interrogative, quand elle est l’expression d’un jugement sur lequel est incertain celui qui la prononce, soit qu’il doute sur le sujet ou sur l’attribut, soit qu’il soit incertain sur la nature de la relation du sujet à l’attribut : Qui a créé le ciel & la terre ? interrogation sur le sujet : Quelle est la doctrine de l’Église sur le culte des saints ? interrogation sur

l’attribut : Dieu veut-il la mort du pécheur ? interrogation sur la relation du sujet à l’attribut.

Tout ce qu’enseigne la Grammaire est finalement relatif à la proposition expositive, dont elle envisage sur-tout la composition : s’il y a quelques remarques particulieres sur la proposition interrogative, j’en ai fait le détail en son lieu. Voyez Interrogatif. (B. E. R. M.)

Proposition, (Logique.) la proposition est le fidele interprete du jugement ; ou plutôt la proposition n’est autre chose que le jugement lui-même revétu d’expressions. Dans toute proposition, il faut nécessairement qu’il y ait un sujet & un attribut, ou expressément énoncés, ou du-moins sous-entendus ; parce qu’il n’y a point de discours sans un sujet dont on parle, & sans attribut pour qu’on en parle. Ce sujet est toujours énoncé dans les langues analogues par quelque mot destiné à ce service, & distingué de ce qui énonce l’attribut : au lieu que dans les langues transpositives, un seul & même mot remplit ces deux fonctions, lorsque le sujet doit être exprimé par l’un des trois pronoms personnels ; le génie de ces langues ayant établi que le verbe par lequel on attribue une chose au sujet, feroit connoître par sa terminaison la personne, & seroit alors suffisant, pour énoncer le sujet & l’attribution. Le latin dit donc en un seul mot ce que le françois dit en deux : ambulat, times, odimus ; il marche, vous craignez, nous haïssons.

Ceux qui prétendent que l’essence du verbe consiste dans l’affirmation, & que l’affirmation est le caractere propre & distinct du mot est, sont obligés de dire que ce mot entre nécessairement dans toutes les propositions, soit qu’il soit exprimé, soit qu’il soit seulement sous-entendu ; parce qu’on ne peut faire de proposition sans un mot qui énonce l’attribut du sujet. Mais ceux qui soutiennent avec l’abbé Girard, que le caractere propre du verbe est d’exprimer par événement, & que l’affirmation n’est qu’un effet de la nature de quelques modes, qui adaptent l’action à un sujet ou à une des trois personnes qui peuvent figurer dans le discours, ne reconnoissent point la nécessité de la copule verbale est, si ce n’est dans les modes, comme l’infinitif & le gérondif, qui ne sont point caractérisés par l’idée accessoire d’affirmation.

Pour mieux connoître la nature & les propriétés d’une proposition, il ne sera pas inutile d’examiner ici sa matiere & sa forme, sa quantité, sa qualité, ses oppositions, ses conversions, ses équipollences.

On appelle la matiere d’une proposition, ce qui en fait l’objet : ou la proposition est en matiere nécessaire, ou elle est en matiere contingente ; il n’y a point de milieu. La proposition en matiere nécessaire, est celle dont le sujet renferme nécessairement dans son idée la forme énoncée par le prédicat, ou l’en exclut nécessairement ; l’inséparabilité ou l’incompatibilité de deux idées, sont des marques infaillibles pour discerner si une proposition est en matiere nécessaire. La proposition en matiere contingente, est celle dont le sujet ne renferme ni n’exclut de son idée la forme énoncée par le prédicat ; de-là la conjonction ou la séparation caractérisent toujours une proposition en matiere contingente.

La forme d’une proposition n’est autre chose que l’arrangement des termes dont elle résulte, & qui concourent tous, chacun selon sa maniere, à l’expression d’un sens. Si l’on examine bien la structure d’une proposition, on trouvera qu’il faut d’abord un sujet & une attribution à ce sujet ; sans cela on ne dit rien. On voit ensuite que l’attribution peut avoir outre son sujet, un objet, un terme, une circonstance modificative, une liaison avec une autre, & de plus un accompagnement étranger, ajouté comme un hors-d’œuvre, simplement pour servir d’ap-