Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 14.djvu/396

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

satyres de Despréaux. Il eut grand tort après d’heureux succès, de se prêter à une puissante cabale, & d’oser donner sur le théâtre sa tragédie de Phédre & d’Hippolite, en concurrence contre celle de Racine. Le beau triompha, & plongea la piece de Pradon dans un éternel oubli. On alla plus loin ; on fit aisi l’épitaphe de l’auteur :

Cy gît le poëte Pradon,
Qui durant quarante ans d’une ardeur sans pareille,
Fit à la barbe d’Apollon
Le même métier que Corneille.

Cependant on a recueilli en un volume ses pieces dramatiques, qui sont Pirame & Thisbé ; Tamerlan ; la Troade ; Phédre & Hippolite ; Satira & Régulus, qui malgré ses défauts, peut être comptée parmi les bonnes tragédies. Cette piece que Pradon avoit donnée en 1688, étoit entierement oubliée, lorsque Baron la remit au théâtre en 1722 avec un succès éclatant.

Au reste, Pradon n’est point auteur de la tragédie du grand Scipion, quoiqu’elle lui soit attribuée dans cette épigramme que feu M. Rousseau fit à l’occasion d’une satyre remplie d’invectives, contre M. Despréaux.

Au nom de Dieu, Pradon, pourquoi ce grand courroux,
Qui contre Despréaux exhale tant d’injures ?
Il m’a berné, me direz-vous ;
Je veux le diffamer chez les races futures.
Hé, croyez-moi, restez en paix.
Envain, tenteriez-vous de ternir sa mémoire ;
Vous n’avancerez rien pour votre propre gloire ;
Et le grand Scipion sera toujours mauvais.

Le grand Scipion est d’un M. de Prade, auteur de deux autres tragédies encore moins connues, qui sont Annibal & Silanus.

Raguenet (François) embrassa l’état ecclésiastique, & cultiva l’étude des beaux Arts & de l’histoire. Il a publié celle de l’ancien Testament ; 2°. celle d’Olivier Cromwel ; 3°. celle du vicomte de Turenne ; 4°. Le parallele des François & des Italiens, dans la musique & dans les opéra, parallele dans lequel il donne la préférence aux Italiens. 5°. Les monumens de Rome ou description des plus beaux ouvrages de Peinture, de Sculpture, & d’Architecture de Rome, avec des observations. Paris 1700 & 1702 in-12. Ce petit ouvrage valut à l’auteur des lettres de citoyen romain ; il est cependant fort au-dessous des descriptions latines en ce genre. On attribue à l’abbé Raguenet, les voyages de Jacques Sadeur, livre très libre, qui a obligé l’auteur à ne pas l’avouer. Il est mort à Paris vers l’an 1720, j’ignore à quel âge.

Sanadon (Noël-Etienne) jésuite, plein de goût & de connoissances dans les belles-lettres. Il lia à Caën une étroite amitié avec M. Huet, & devint bibliothécaire du college des jésuites à Paris, où il mourut en 1733 à cinquante-huit ans. On a de lui, 1°. un excellent traité de la versification latine ; 2°. une traduction françoise d’Horace, avec des notes d’une érudition choisie ; cette traduction respire l’élégance, & même inspire du dégoût pour celle de M. Dacier, quand on vient à les comparer ensemble.

Tourneux (Nicolas le) mérita par sa vertu l’estime des honnêtes gens, & fut toujours très-attaché à MM. de Port-Royal. L’archevêque de Rouen lui donna le prieuré de Villers-sur-Fere ; il mourut subitement à Paris en 1686, à quarante-sept ans. Il a mis au jour plusieurs ouvrages de piété, entre lesquels on estime particulierement, l’Année chrétienne, qui est dans les mains de tout le monde, & que l’index de Rome a mis au nombre des livres prohibés.

Aux savans qui viennent d’être nommés, je ne dois

pas oublier de joindre une dame illustre par son esprit & ses ouvrages, mademoiselle Bernard (Catherine) de l’académie des Ricovrati, morte à Paris en 1712 ; elle a donné en prose des brochures sous le nom de nouvelles, que le public a goûtées ; mais elle s’est encore distinguée par ses vers, qui lui ont fait remporter en 1691 & 1693, le prix de poésie de l’académie françoise, & qui lui ont valu une triple couronne dans l’académie des jeux floraux de Toulouse.

Elle composa avec M. de Fontenelle deux tragédies, Brutus & Léodamie, dont à la vérité la derniere n’eut point de succès. Ses pieces fugitives ont été répandues dans differens recueils ; on s’est trompé cependant en donnant sous son nom, la jolie sable allégorique de l’imagination & du bonheur ; cette fable est de M. la Parisiere, évêque de Nîmes, successeur du célebre Fléchier.

Mais le pere Bouhours a inseré dans son recueil de Vers choisis, le placet au roi, par lequel mademoiselle Bernard prie Louis XIV. de lui faire payer les deux cens écus de pension dont il l’avoit gratifiée. Ce placet est conçu en ces termes :

SIRE, deux cens écus sont-ils si nécessaires
Au bonheur de l’état, au bien de vos affaires,
Que sans ma pension vous ne puissiez dompter
Les foibles alliés & du Rhein & du Tage ?
A vos armes, grand Roi, s’ils peuvent résister ;
Si pour vaincre l’effort de leur injuste rage
Il falloit ces deux cens écus,
Je ne les demanderois plus.
Ne pouvant aux combats, pour vous perdre la vie,
Je voudrois me creuser un illustre tombeau ;
Et souffrant une mort d’un genre tout nouveau,
Mourir de faim pour la patrie.
SIRE, sans ce secours tout suivra votre loi,
Et vous pouvez en croire Apollon sur sa soi.
Le sort n’a point pour vous démenti ses oracles
Ah ! puisqu’il vous promet miracles sur miracles,
Faites-moi vivre, & voir tout ce que je prévois.

Enfin, la capitale de Normandie a produit des citoyens qui se sont uniquement dévoués à la recherche de son histoire. Taillepié (Nicolas) en a publié le premier les antiquités en 1588 ; mais en 1738 Farin (François) prieur du Val, a mis au jour l’histoire complette de cette ville en 2. vol. in 4°. on peut la consulter.

Ainsi, tout nous autorise à chanter la gloire de Rouen, & à nous persuader, que ce ne sera point par cette ville, ni par la province dont elle est la capitale, que la barbarie commencera dans ce royaume. (Le chevalier de Jaucourt.)

ROUER, v. act. (Gram.) voyez les articles Roue.

Rouer, (Marine.) c’est plier une manœuvre en rond.

Rouer a contre, (Marine.) c’est plier une manœuvre de droite à gauche.

Rouer a tour, (Marine.) c’est plier une manœuvre de gauche à droite.

ROVERE ou ROVEREDO, (Géog. mod.) en latin du moyen âge Roboretum ou Rovoretum ; petite ville du Tirol, aux confins de l’état de Venise, près de l’Adige, sur un torrent pour le passage duquel on a taillé un pont de pierre, défendu par deux tours & un fort château, à 12 milles de Trente, & à 47 de Bresce. Long. 28. 35. lat. 46. 10. (D. J.)

ROUERGUE, le (Géog. mod.) province de France, dans le gouvernement de Guienne ; elle est bornée au nord par le Querci, au midi par l’Albigeois ; au levant, par les Cévennes & le Gevaudan ; & au couchant, par l’Auvergne. Cette province peut avoir environ 30 lieues de longueur, sur 20 de large. On la divise en comté, & en haute & basse Marche : le comté renferme Rodès, capitale de toute la provin-