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gnée répétée jusqu’à vingt fois, fût le remede des inflammations ; & vous verrez qu’il est un grand nombre de pleurésies & de péripneumonies, (maladies qui exigent plus que toutes les autres la saignée) dans lesquelles elle est nuisible. Vous apprendrez par-tout que, la pléthore & le tems de l’irritation passés, on doit fuir toute perte de sang comme le poison le plus dangereux, qu’elle trouble la coction, qu’elle empêche la dépuration, & qu’elle est propre à jetter les malades dans des foiblesses & des récidives, dont la convalescence la plus longue aura peine à les tirer. Consultez les inflammations extérieures (leur marche peut plus aisément être suivie) & vous verrez si les dartres, la galle, la petite vérole, le pourpre, la rage, les bubons pestilentiels, les ulceres, les plaies enflammées peuvent être guéris par la seule saignée ; si elle n’aggrave pas ces maux, sur-tout lorsqu’ils portent un caractere gangréneux. Vous verrez si la nature n’en est pas le véritable médecin ; & l’excrétion d’une petite portion de matiere viciée & élaborée, le remede. Vous verrez en même tems quels maux étranges peut produire la saignée en arrêtant la suppuration, en donnant lieu à des métastases, des rentrées du pus ; & vous serez convaincu de ces deux vérités, que toutes inflammations n’exigent pas la saignée, & que celles même qui l’indiquent, ne l’indiquent jamais dans tout leur cours. Mais dans les inflammations simples & graves, où il n’y a aucun vice particulier gangréneux, &c. où le malade jouit de toutes ses forces, la saignée faite dans le principe de la maladie, est le plus puissant remede qui soit au pouvoir de la Médecine, & l’ancre dont un homme sage ne doit pas s’écarter.

En effet, dans ces inflammations, on trouve en même tems la pléthore & la consistence inflammatoire du sang, on trouve un resserrement spasmodique de tous les vaisseaux, un embarras général dans la circulation par la résistance que le sang oppose au cœur, particulier par l’engorgement, l’arrêt du sang épaissi dans les vaisseaux capillaires de la partie affectée, collé fortement contre leurs parois, & interdisant la circulation dans les plus ténus. Or, le vrai remede de tous ces maux est l’évacuation & la spoliation de ce sang qui, devenu plus aqueux, moins abondant, qui poussé plus fréquemment, avec plus de vélocité, détruira, entraînera avec le tems & l’action oscillatoire des vaisseaux sanguins ce fluide épais, collé contre des parois, qui peut-être n’auroit pû, sans ces secours, se dissiper que par la suppuration, ou qui interrompant entierement le cours du sang & de tous les autres fluides, auroit fait tomber la partie dans une gangrene mortelle, si le siege de la maladie eût été un viscere. La saignée concourra alors à procurer la résolution, cette heureuse terminaison des tumeurs inflammatoires qu’on doit hâter par les autres moyens connus. Nous verrons dans les articles suivans quelle est la quantité de sang qu’on doit tirer, dans quel tems, &c.

Nous avons avancé que les hémorrhagies, la vivacité des douleurs, les convulsions, le délire, l’excès de chaleur, une fievre trop forte n’étoient point par eux-mêmes des indications suffisantes pour la saignée ; parce que chacun de ces maux avoit des spécifiques contraires à sa nature. Retraçons-nous les effets de la saignée dans ces différens cas, pour nous en convaincre.

L’hémorrhagie est critique, ou symptomatique. Critique, elle ne doit être arrêtée par aucun moyen, elle ne doit être détournée par aucune voie ; la saignée ne sçauroit donc lui convenir. Symptomatique, elle est l’effet de la pléthore, de la dissolution du sang, de la foiblesse ou de la rupture des vaisseaux. Dans le premier cas, on n’hésitera pas de saigner ; mais ce sera à raison de la pléthore, & non point de

l’hémorrhagie. Dans les autres, on portera du secours par les astringens, les roborans, les topiques répercussifs, absorbans, tous très-différens de la saignée. La défaillance que procure une saignée faite par une large ouverture, facilite à la vérité quelquefois la formation du caillot qui doit fermer l’orifice des vaisseaux rompus ou dilatés ; mais si la prudence ne tient pas les rênes, si elle n’est pas éclairée par la raison, on en hâte les progrès par la dissolution du sang que cause la spoliation.

Les douleurs modérées sont souvent un remede, quoique triste au mal. Telle est la théorie reçue dans la goutte, qui a passé en proverbe, telle elle doit être dans toutes les maladies : car tout se meut par les mêmes principes dans l’économie animale, Si elles sont immodéres, elles demandent l’usage des relâchans, des anodins & des narcotiques. La saignée procurera bien un relâchement, si on la pratique ; mais lorsque nous avons sans cesse sous la main des remedes qui peuvent produire un effet plus sûr, plus durable, plus salutaire, plus local, qui n’emporte avec lui aucun des inconvéniens de la saignée, pourquoi n’y aurions-nous pas recours préférablement ? Nous disons de même des convulsions & du délire, en en appellant toujours sur ces objets, à l’expérience de tous les vrais praticiens.

L’excès de chaleur trouvera bien plus de soulagement, s’il n’y a ni pléthore, ni inflammation, dans les rafraîchissans acidules, aqueux, dans les bains généraux ou particuliers, le renouvellement de l’air, les vapeurs aqueuses végetales, l’évaporation de l’eau, le froid réel, l’éloignement de la cause, que dans une saignée qui, comme nous l’avons déja prouvé, entraîne avec elle tant d’inconvéniens.

Si la saignée peut changer les fievres intermittentes en continues, par la vélocité que le sang acquiert après qu’elle a été faite, en conséquence de l’augmentation des forces respectives du cœur ; on sent déja qu’il n’est qu’une saignée jusqu’à défaillance qui puisse faire tomber la fievre, qui se renouvellera même bientôt ; on sent aisément tous les maux que de semblables saignées peuvent causer ; abstenons-nous en donc, jusqu’à ce que nous ne trouvions dans les remedes proposés contre l’excès de chaleur, aucune ressource suffisante, ou que nous ayons reconnu la pléthore & l’inflammation. S’il restoit encore quelque scrupule sur cet objet, nous demandons qu’on examine combien de médecins trompés par la regle qu’il faut saigner dans les fievres véhémentes, ont fait saigner leurs malades dans le paroxisme qui devoit terminer leur vie, lorsque la nature faisoit ses derniers efforts, & en hâtant leur foiblesse, en ont accéléré le terme fatal.

Après avoir parcouru les cas où on peut, où on doit s’abstenir de la saignée, passons à ceux où elle est si nuisible, qu’elle est souvent mortelle.

Contre-indication de la saignée. Si la saignée est indiquée dans la pléthore, & la consistence inflammatoire du sang, il est évident qu’elle doit être défendue dans les cas opposés, lorsque les forces sont abattues, comme après de longs travaux de corps ou d’esprit, un usage immoderé du mariage, lorsque le sang est dissous, & la partie rouge dans une petite proportion avec la sérosité. C’est ainsi que l’âge trop ou trop peu avancé, les tempéramens bilieux ou phlegmatiques, la longueur de la maladie, la cachexie, l’œdeme & toutes les hydropisies, les hémorrhagies qui ont précédé, les évacuations critiques quelconques, & toutes celles qui sont trop abondantes, les vices gangréneux, sont des contre-indications pour la saignée.

Lorsqu’on admet un usage immoderé de ce remede dans la plûpart des maladies, on est forcé d’établir une longue suite de contre-indications pour en