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couleurs qu’il perd dans la suite, c’est ce que l’on appelle la livrée : elle est marquée sur le fœtus dès qu’il a du poil ; elle forme des bandes qui s’étendent le long du corps depuis la tête jusqu’à la queue, & qui sont alternativement de couleur de fauve clair & de couleur mêlée de fauve & de brun ; celle qui se trouve sur le garot & le long du dos est noirâtre. Il y a sur le reste de l’animal un mélange de blanc, de fauve & de brun. Lorsque le sanglier est adulte, il a le groin & les oreilles noirs, & le reste de la tête de couleur mêlée de blanc, de jaune & de noir dans quelques endroits. La gorge est roussâtre ; les soies du dos sont les plus longues, couchées en-arriere, & si serrées que l’on ne voit que la couleur brune roussâtre qu’elles ont à la pointe, quoiqu’elles aient aussi du blanc sale & du noir, dans le reste de leur étendue. Les soies des côtés du corps & du ventre ont les mêmes couleurs que celles du dos ; mais comme elles sont moins serrées, le blanc y paroît avec le brun ; les soies des aisselles & des aines sont roussâtres ; celles du ventre & de la face intérieure des cuisses sont blanches en entier, à l’exception de la pointe qui est rousse ; la tête & le bout de la queue & le bas des jambes sont noirs.

Quoique les sangliers soient fort gourmands, ils n’attaquent ni ne dévorent pas les loups ; cependant ils mangent quelquefois de la chair corrompue, mais c’est par nécessité. On ne peut nier que les cochons ne soient avides de sang & de chair sanguinolente & fraîche, puisqu’ils mangent leurs petits & même des enfans au berceau. Le sanglier & les cochons aiment beaucoup les vers de terre & certaines racines, comme celles de la carotte sauvage ; c’est pour trouver ces vers & pour couper ces racines qu’ils fouillent la terre avec leur boutoir. Le sanglier, dont la hure est plus longue & plus forte que celle du cochon, fouille plus profondément & presque toujours en ligne droite dans le même sillon ; au lieu que le cochon fouille çà & là & plus légerement. Pendant le jour le sanglier reste ordinairement dans sa bauge au plus fort du bois ; il en sort le soir à la nuit pour chercher sa nourriture : en été, lorsque les grains sont mûrs, il fréquente toutes les nuits dans les blés ou dans les avoines. Il est rare d’entendre le sanglier jetter un cri, si ce n’est lorsqu’il se bat & qu’un autre le blesse : la laie crie plus souvent. Quand ils sont surpris & effrayés subitement, ils soufflent avec tant de violence qu’on les entend à une grande distance.

Dans le tems du rut, le mâle demeure ordinairement trente jours avec la femelle dans les bois les plus solitaires ; il est alors plus farouche que jamais ; il devient même furieux, lorsqu’un autre vient occuper sa place ; ils se battent & se tuent quelquefois. La laie ne se met en fureur que lorsqu’on attaque ses petits ; elle ne porte qu’une fois l’an. Elle reçoit le mâle aux mois de Janvier & de Février, & met bas aux mois de Mai ou Juin. Elle allaite ses petits pendant trois ou quatre mois ; elle les conduit jusqu’à ce qu’ils aient deux ou trois ans. Il n’est pas rare de voir des laies accompagnées de leurs petits de l’année & de ceux de l’année précédente. La vie du sanglier peut s’étendre jusqu’à vingt-cinq ou trente ans. Il n’y a que la hure qui soit bonne à manger dans un vieux sanglier ; au lieu que toute la chair du marcassin & celle du jeune sanglier qui n’a pas encore un an est délicate & même assez fine. Les anciens étoient dans l’usage de faire la castration aux marcassins qu’on pouvoit enlever à leur mere. Après quoi, on les reportoit dans les bois où ils grossissoient plus que les autres, & leur chair étoit meilleure que celle des cochons domestiques. Hist. nat. gén. & partic. tom. V. Voyez Quadrupede.

Sanglier (Chasse du) Sa maniere de vivre & ses inclinations ressemblent beaucoup à celles des co-

chons domestiques. D’ailleurs les sangliers s’accouplent,

multiplient avec les pourceaux, & le produit en est fécond. Mais une vie plus agreste, la nécessité de se défendre souvent, & sur-tout la liberté, donnent au sanglier des mœurs mieux caractérisées, dans lesquelles on reconnoît plus distinctement les inclinations de l’espece.

Le sanglier est plûtôt frugivore que carnassier ; cependant il est l’un & l’autre. Il vit de graines, de racines, de fruits ; mais il se nourrit aussi volontiers de chair. Il fouille avec son boutoir les terriers de lapins qui ne sont pas à une grande profondeur. Il détruit les rabouilleres, dévore les lapereaux & les lévrauts, sur-tout lorsqu’ils sont encore petits. Il évente les nids de perdrix, &c. mange les œufs, & souvent réussit à surprendre la couveuse.

On donne différens noms aux sangliers, en raison de leur âge. Les femelles sont toujours appellées laies ; elles entrent en rut dans le mois de Décembre, portent pendant quatre mois & quelques jours, & mettent bas depuis trois jusqu’à huit ou neuf petits : ces petits portent jusqu’à six mois le nom de marcassins ; & depuis cet âge jusqu’à deux ans, celui de bêtes rousses & de bêtes de compagnie. On donne le nom de ragot aux mâles entre deux & trois ans ; après cela, ils sont appellés sangliers à leur tiers-an, puis à leur quart-an ; après quoi on ne les connoît plus que sous le nom de grands vieux sangliers. C’est depuis trois jusqu’à cinq ans que les sangliers sont le plus à craindre, parce qu’alors leurs défenses sont extrèmement tranchantes. Après cela, ils deviennent mirés, c’est-à-dire que leurs défenses se courbent & sont moins incisives : mais la force & la hardiesse des vieux sangliers les rendent toujours fort redoutables.

Les sangliers, lorsqu’ils ont atteint trois ans, ne vivent plus en compagnie ; ils sont alors pourvus d’armes qui les rassurent ; la sécurité les mene à la solitude ; ils vont seuls chercher leurs mangeures, se raffraîchir au souillard (c’est-à dire se veautrer dans la boue) & se mettre à la bauge ; ils y dorment une partie du jour ; & vu la confiance qu’ils ont en leurs forces, il arrive souvent qu’on ne les en fait sortir qu’avec beaucoup de peine. Ce n’est que dans le tems du rut que la nécessité de chercher des femelles remet ces mâles en compagnie. Quant aux laies, elles vivent toujours en société ; elles s’attroupent plusieurs ensemble avec leurs marcassins & les jeunes mâles dont les défenses ne sont pas encore au point de leur rendre l’association inutile. Tous les sangliers qui composent ces troupes ont l’esprit de la défense commune. Non-seulement les laies chargent avec fureur les hommes & les chiens qui attaquent leurs marcassins ; mais encore les jeunes mâles s’animent au combat, la troupe se range en cercle, & présente par-tout un front hérissé de boutoirs.

Les sangliers ne sont point, comme les cerfs, les daims, les chevreuils, habitans presque sédentaires des pays où ils sont nés. Ils voyagent souvent, pour aller chercher des forêts où les vivres soient plus abondans ; ces émigrations se font ordinairement en automne, lorsque le gland ou la chataigne commencent à tomber ; & on cherche alors avec raison à se défaire de ces nouveaux hôtes. Le sanglier est très propre à faire un objet de chasse, parce que, sur-tout lorsqu’il est jeune, la chair en est bonne à manger, & que d’ailleurs cet animal est fort à redouter pour les récoltes. Tous les chiens le chassent avec beaucoup d’ardeur, & souvent cette ardeur leur est funeste. Le sanglier, lorsqu’il est chassé, & que la fuite commence à lui devenir pénible, va chercher d’épais haillers où il s’arrête. Alors malheur aux chiens trop hardis qui veulent l’aborder ; l’animal furieux se précipite sur tout ce qui se trouve devant lui. Il faut donc s’attendre à perdre beaucoup de chiens, lorsqu’on