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rhoïdes, à la suppression des évacuations naturelles ou accoutumées, aux rhumatismes, & rarement à la goutte ; elle y dégénere plus souvent, & même assez promptement quand elle est très-vive, c’est-à dire la goutte se porte plus ordinairement de la hanche, aux piés & aux mains, que de ces parties à la hanche.

La sciatique est d’ailleurs une maladie plus incommode que dangereuse ; rarement elle contribue à accélérer la mort du malade, quelques auteurs croyent plutôt qu’elle sert à la retarder ; du moins est-il certain que les personnes attaquées de cette maladie vivent assez long-tems ; seroit-ce simplement parce qu’elle ne commence que dans un âge très-avancé, & qu’elle n’a lieu que dans certains tempéramens robustes qui n’auront pas été assez affoiblis par les excès, ou pas assez fortifiés faute d’exercice ? Il est extrèmement difficile, & peut-être imprudent de la guérir, & d’autant plus qu’elle est plus invétérée ; Stahl prétend que la sciatique, les hémorrhoïdes, la néphrétique & le calcul se rencontrent très-souvent ensemble, se succedent & se produisent réciproquement ; cette prétention est justifiée à certains égards par l’observation ; on a remarqué en général & assez vaguement, que les maladies arthritiques avoient beaucoup de rapport du côté des causes avec le calcul ; ce qui regarde les hémorrhoïdes n’est point aussi constaté ; & l’âge où la sciatique paroît le plus fréquemment est très-peu approprié pour cette évacuation. S’il est arrivé quelquefois, ce que j’ignore, que les hémorrhoïdes ayent terminé la sciatique, elles ont cela de commun avec toutes les autres excrétions & avec tous les remedes qui font dans la machine une grande révolution ; le seul danger que courent ces malades, c’est que la tête du fémur sorte de l’articulation, & les rende boiteux ; il se ramasse alors dans ces parties, suivant l’observation d’Hippocrate, beaucoup de mucosité & quelquefois la jambe maigrit & se desseche, tout le corps même tombe dans l’athrophie & dans cette espece de phthisie, tabes, qu’il appelle ischiadique, ἰσχιαδικὴν, 60. lib. vj. le feu seul porté dans cette partie peut prévenir ces accidens. Aphor. 59. & 60. lib. VI.

De toutes les especes de gouttes, la sciatique est unanimement regardée comme la plus opiniâtre & la plus rébelle aux différens secours que la Médecine a fournis ; on a épuisé pour venir à-bout de la guérir surement & constamment, avec aussi peu de succès, les altérans que les évacuans ; on a passé des purgatifs aux sudorifiques, de ceux-ci aux diurétiques ; les apéritifs, les astringens, les spiritueux, les délayans, les relâchans, les adoucissans ont été successivement employés ; en un mot, on a changé chaque fois de méthode, preuve certaine qu’il n’y en avoit aucune de bonne, & peut-être qu’on n’en doit point chercher de générale, ou même d’aucune espece. L’usage à-peu-près inutile de tous ces divers médicamens, a donné naissance à cette multiplicité de secrets que l’on a débités à l’ordinaire comme des remedes infaillibles ; les charlatans se sont emparés de cette maladie & l’on y a ajouté d’autant plus de confiance qu’ils promettoient davantage ; loin d’être rebutés par les efforts inutiles des Médecins éclairés ; ils n’en étoient que plus encouragés, & effectivement ils avoient raison, ils ne risquoient par le mauvais succès que d’être mis à leur niveau, & s’ils réussissoient ils étoient regardés comme bien supérieurs ; l’intérêt du malade n’étoit compté pour rien ; ils donnoient avec cette aveugle présomption & cette témérité souvent funeste que laisse l’ignorance, les remedes les plus actifs qui jettoient un trouble considérable dans toute l’économie animale ; d’où il est résulté que les malades assez robustes pour supporter ce trouble, & dans qui il tournoit heureusement, étoient guéris ou beaucoup soulagés, & ceux qui étoient

moins bien constitués sans être délivrés de leur maladie, tomboient dans d’autres plus sérieuses, ou même mouroient assez promptement. On a répandu un grand nombre de recettes presque uniquement composées de poudres tempérantes, d’absorbans, de terreux, & de médicamens de cette espece ; au moins ces remedes absolument inefficaces ne pouvoient produire aucun mauvais effet, & n’avoient d’autre inconvénient que celui d’amuser le malade & d’épuiser sa bourse ; il n’en est pas de même d’une autre espece de remedes qui séduisoient d’abord par leur efficacité, mais dont le danger étoit d’autant plus grand que leur succès apparent avoit été plus marqué ; je parle des amers nerveux, anti-spasmodiques, & du quinquina sur-tout ; il n’est pas douteux que par leur moyen on ne puisse venir à-bout d’éloigner, de suspendre pendant un tems considérable les paroxysmes, ou même d’empêcher tout-à-fait leur retour ; mais quelques observations bien constatées font voir que les malades qui en avoient éprouvé les effets les plus heureux, devenoient après quelque-tems languissans, valétudinaires, sujets à beaucoup d’incommodité, & que plusieurs étoient emportés par des morts subites. Ainsi les conseils les plus salutaires qu’on puisse donner aux personnes attaquées de la sciatique, est de ne faire aucun remede interne, parce qu’ils sont tous dangereux ou inefficaces ; de vivre sobrement, d’éviter tout excès dans le boire, le manger & les plaisirs vénériens ; d’être plus réservés sur la quantité des alimens & des boissons, que sur leur qualité, de se garantir soigneusement du froid, d’être toujours habillés chaudement, & de façon à entretenir la liberté de la transpiration, de porter en conséquence sur la peau des corcets d’étoffe de laine, & sur-tout de flanelle, & au moins d’en envelopper la partie affectée, d’avoir quelquefois recours aux frictions seches avec des brosses de crin ou des étoffes de laine ; on peut les faire générales ; on doit les faire particulieres & locales, & enfin d’user d’un exercice modéré.

Quant aux remedes topiques qu’on emploie principalement dans le tems du paroxysme, on en a varié les formules à l’infini ; les uns ont conseillé des remedes chauds, d’autres ont préféré des adoucissans, des relâchans ; ceux-ci ont employé les narcotiques, & ceux-là les spiritueux fortifians ; il y en a qui ont eu recours à l’application des sangsues & à des saignées locales ou à des scarifications, quelques autres ont beaucoup vanté les vertus des ventouses, & du feu même appliqué à nud ; ils se sont fondés sur la pratique assez heureuse des Japonois & des Chinois qui brûlent la moxe sur la partie affectée. Hippocrate avant eux s’étoit déclaré partisan de cette méthode, il tient beaucoup pour l’usage du feu dans les maladies qui ne cedent pas à l’efficacité des autres remedes ; le fer, dit-il, emporte les maladies rébelles aux médicamens, & le-feu vient à-bout de celles qui résistent au fer. Aphor. 6. lib. VIII. il paroît même avoir connu l’usage de la moxe, du moins la combustion qu’il propose avec le lin crud dans les cas de sciatique & de douleur fixe lui est assez analogue. Lib. de affection. sect. v. ce remede souvent efficace n’est point assez goûté dans nos climats ; les machines délicates qui l’habitent, trop effrayées par le feu, trouveroient le remede pire que le mal ; pour ce qui regarde les autres topiques, ils sont tous déplacés dans le tems du paroxysme, excepté peut-être les vapeurs spiritueuses des plantes ou des résines aromatiques brûlées. Si les douleurs sont modérées, il faut les souffrir patiemment. Si elles sont trop vives & absolument insupportables, qu’on ait recours aux narcotiques pris intérieurement ou appliqués sur la partie ; je me suis servi quelquefois pour soulager avec assez de succès d’un liniment fait avec l’huile