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de puissance que l’on peut avoir, soit sur les personnes d’un lieu, soit sur les héritages de ce lieu.

Ce terme seigneurie, tire son étymologie de seigneur, qui vient du latin senior ; parce qu’anciennement la supériorité & puissance politique étoit attribuée aux vieillards. Voyez ci-devant Seigneur.

Chez les Hébreux, les Juifs, les Grecs, les Romains & autres peuples de l’antiquité, il n’y avoit point d’autre seigneurie, puissance ou supériorité, que celle qui étoit attachée à la souveraineté, ou aux offices dont l’exercice consistoit en quelque partie de la puissance publique ; on ne connoissoit point encore ces propriétés particulieres tenues noblement, ni cette supériorité sur les héritages d’autrui, que l’on a depuis appellé seigneuries.

Ceux que dans l’ancienne Gaule on appelloit principes regionum atque pagorum, n’étoient pas des possesseurs de seigneuries telles que nos duchés, comtés, châtellenies ; c’étoient des gouverneurs de provinces & villes, ou des magistrats & juges qui rendoient la justice dans un lieu. Leur puissance étoit attachée à leur office, & non à la possession d’un certain territoire.

La propriété qu’on appelloit autrefois sieurie, du pronom sien, ne participoit alors jamais de la seigneurie ou puissance publique.

Cependant par succession de tems, les seigneuries qui, si l’on en excepte la souveraineté, n’étoient que de simples offices, furent converties en propriété. La sieurie fut confondue avec la seigneurie, de sorte que présentement le terme de seigneurie a deux significations différentes ; l’une en ce qu’il sert à désigner tout droit de propriété ou de puissance propriétaire, que l’on a dans un bien ; l’autre est qu’il sert à désigner une terre seigneuriale, c’est-à-dire possedée noblement, & avec titre de seigneurie.

Ainsi le terme de seigneurie signifie en général une certaine puissance possedée propriétairement, à la différence de la puissance attachée à l’office dont l’officier n’a simplement que l’exercice.

La seigneurie est publique ou privée ; on peut voir la définition de l’une & de l’autre dans les subdivisions qui suivent cet article.

Les Romains ont reconnu la seigneurie ou puissance publique, & l’ont exercée sur les personnes & sur les biens.

Il est vrai que du tems de la république, les citoyens romains n’étoient pas soumis à cette puissance, elle résidoit au contraire en eux ; ils possédoient aussi librement leurs héritages d’Italie. Mais les autres personnes & les biens situés ailleurs, étoient soumis à la puissance publique, jusqu’à ce que toutes ces différences furent supprimées par les empereurs. Les terres payoient à l’empereur un tribut appellé censum, lequel cens étoit la marque de la seigneurie publique.

Tel étoit aussi l’état des Gaules sous la domination des Romains, lorsque les Francs en firent la conquête. Les vainqueurs se firent seigneurs des personnes & des biens des vaincus, sur lesquels ils s’attribuerent non seulement la seigneurie publique, mais aussi la seigneurie privée ou propriété.

Ils firent tous les naturels du pays serfs, tels que ceux qu’on appelloit chez les Romains censitos, seu adscriptitios, gens de main-morte, ou gens de pote, quasi alienæ potestatis ; d’autres semblables à ceux que les Romains appelloient colonos, seu glebæ addictos, gens de suite, ou serfs de suite, lesquels ne pouvoient quitter sans le congé du seigneur.

Le peuple vainqueur demeura franc de ces deux especes de servitudes, & exempt de toute seigneurie privée.

Les terres de la Gaule furent toutes confisquées ; une partie fut retenue pour le domaine du prince, le

surplus fut distribué par provinces & territoires aux principaux chefs & capitaines des Francs, à l’exemple de ce qui avoit été pratiqué chez les Romains, lesquels pour assurer leurs frontieres, en donnerent les terres par forme de bénéfice ou récompense à leurs capitaines, pour les tenir seulement pendant qu’ils serviroient l’état.

La seule différence fut que les Francs ne donnerent pas seulement les frontieres, ils distribuerent de même toutes les terres de l’état.

Les provinces furent données avec titre de duché ; les marches ou frontieres, avec le titre de marquisat ; les villes avec leur territoire, sous le titre de comté ; les châteaux & villages, avec quelque territoire à-l’entour, sous le titre de baronnie ou de châtellenie, ou de simple seigneurie.

Mais ceux auxquels on donna ces terres n’en eurent pas la seigneurie pleine & entiere ; la seigneurie publique en demeura pardevers l’état, ils n’en eurent que l’exercice ; le prince se réserva même la seigneurie privée de ces terres, dont la propriété lui est réversible, & même pendant qu’elles étoient possédées par chaque officier ou capitaine, il y conservoit toujours une autre sorte de seigneurie privée, qui est ce que l’on a appellé seigneurie directe ; ces terres n’étant données qu’à la charge de certains devoirs & de certaines prestations.

Telle fut la premiere origine des fiefs & seigneuries, lesquels n’étoient d’abord qu’à tems, & ensuite à vie, & devinrent dans la suite héréditaires.

Les capitaines auxquels on avoit donné des terres, tant pour eux que pour leurs soldats, en distribuerent à leur tour différentes portions à leurs soldats, aussi à titre de fief, d’où se formerent les arrieres-fiefs.

Ils en rendirent aussi quelques portions aux naturels du pays, non pas à titre de fief, mais à la charge d’un cens, tel qu’ils en payoient aux Romains ; de-là vient l’origine de nos censives.

Au commencement les seigneuries étoient tout à la fois offices & fiefs. Les seigneurs rendoient eux-mêmes la justice en personne ; mais dans la suite ils commirent ce soin à d’autres personnes, & on leur a enfin défendu de juger eux-mêmes, au moyen de quoi les offices des seigneurs ont été convertis en seigneuries, auxquelles néanmoins est demeurée attachée une partie de la puissance publique.

C’est de-là qu’on distingue deux différens degrés de seigneurie publique ; le premier qui est la souveraineté ; le second qu’on appelle suzeraineté, comme étant un diminutif de la souveraineté, & une simple supériorité sans aucun pouvoir souverain.

On distingue aussi deux sortes de seigneurie privée ; savoir la directe, qui est celle des seigneurs féodaux ou censuels ; & la seigneurie utile, qui est celle des vassaux & sujets censiers. C’est pourquoi par le terme de seigneurie privée l’on entend aussi quelquefois la propriété simplement, abstraction faite de toute seigneurie prise en tant que puissance & supériorité.

La seigneurie privée ou directe, n’a plus guere lieu présentement que sur les biens & non sur les personnes, si ce n’est dans quelques lieux où il y a encore des cerfs de main-morte & gens de poursuite, & à l’égard des vassaux & censitaires pour les devoirs & prestations dont ils sont tenus à cause de leurs héritages.

Les premieres seigneuries publiques, dans l’ordre de dignité, sont les seigneuries souveraines, lesquelles ont des droits & prérogatives qui leur sont propres. Voyez Etat, Monarchie, Roi, Royaume, Souverains, Souveraineté.

Les seigneuries publiques qui sont seulement suzeraines ou subalternes, sont des seigneuries non souveraines, ayant fief ou franc-aleu noble, avec justice