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frisé la matiere, par conséquent le prix de l’étoffe.

Les fabriquans de la ville de Lyon, ingénieux à faire des étoffes, dont le bon marché leur procure la préférence, & satisfassent les personnes qui veulent briller à peu de frais, ont trouvé le moyen de faire l’étoffe aussi belle, avec un lac seul, & sans y ajouter de frisé, en baissant l’endroit dessus.

Ils font pour cet effet dessiner le dessein à l’ordinaire, & ne font peindre que la corde qui fait le contour des fleurs, feuilles, fruits & tiges, de même que les découpures grandes & petites, qui se trouvent dans tous ces sujets, c’est le terme ; ils font lire les parties peintes qui sont d’une seul couleur, le vuide qui se trouve entre ces parties peintes, forme le dessein, pour lors la bordure des fleurs, feuilles, fruits & tiges, de même que les découpures étant tirées pour brocher la lame, l’ouvrier sait baisser trois lisses du rabat du gros-de-tours, au moyen d’une marche posée exprès pour cette opération, les trois lisses rabattant les trois quarts de la chaîne ; le quart qui demeure levé, ayant du vuide par la séparation des trois quarts qui baissent, forme un liage serré, sous lequel la lame étant passée, elle fait un espece de frisé, qui paroît si peu différent de la lame ordinaire, qu’il n’est personne qui ne s’y méprenne ; & comme la lame n’est liée que par la corde, le liage ne se trouvant que d’un seul fil, au lieu de quatre, il produit le même effet que dans les étoffes à la broche. Observez que le liage est absolument peint & lié avec les découpures & les cordes qui forment le contour des fleurs, feuilles, fruits & tiges, dont le dessein est composé.

Cette invention, à la broche près, n’est pas une des moindres de la fabrique, on peut dire même qu’elle a eu des admirateurs.

Il se fabrique des étoffes, auxquelles on a donné le nom de péruviennes, qui sont faites au bouton, qui sont légeres, jolies & à bon marché.

Elles sont composées d’une chaîne de 50 à 60 portées, ourdie en deux couleurs différentes ; chaque couleur de la chaîne a un corps particulier ; les deux corps donnent lieu à deux lacs différens, lesquels se tirent successivement l’un après l’autre ; on passe un coup de la même navette sous chacun des deux lacs tirés, la couleur de la trame qui est dans la navette est différente de celle des deux chaînes, de façon que l’étoffe montre trois couleurs différentes, ce qui compose une étoffe aussi belle que le dessein peut y contribuer, & qui ne revient pas chere.

Cette étoffe n’a point de lisses pour le coup de fonds, les fils qui le forment sont passés dans les mailles ; on a soin de faire lire le fonds avec la figure, de façon qu’au moyen de la tire, l’un & l’autre se fait ensemble.

En supposant la chaîne d’une étoffe semblable de 60 portées, elle contient 4800 fils. Chaque fil doit avoir sa maille de corps, afin que le fonds puisse se faire tel qu’il est dans un taffetas ; savoir un pris & un laissé : il faudroit donc par conséquent 4800 mailles de corps & autant d’aiguilles de plomb pour faire baisser la maille quand on laisse aller le lac tiré : or dans cette étoffe 120 ou 160 aiguilles suffisent pour cette opération, & voici de quelle façon on s’y prend.

Comme les desseins de la péruvienne sont petits, ceux qui portent 30 lacs d’hauteur ont 60 lisses, savoir 30 pour chaque couleur de la chaîne, plus ou moins à proportion de la hauteur du dessein ; les lisses sont faites de façon qu’il s’en trouve toujours une plus haute que basse de deux pouces au moins quoique les mailles soient de hauteur égale. Cette précaution est nécessaire, afin que 60 ou 80 lisses ne portent que la moitié de la distance que les lisses ont ordinairement entr’elles ; chaque lisse ne porte que

deux aiguilles, de façon qu’au moyen de cette façon de monter ce métier, au lieu de 4800 aiguilles, 120 ou 160 suffisent pour faire l’étoffe. Il faut observer encore que ces lisses sont faites de façon qu’il y a une distance de trente mailles chaque lisse de l’une à l’autre si le métier est de 60, & de 40 s’il est de 80, afin que chaque maille puisse se trouver régulierement à la place du fil dans laquelle il doit être placé, pour qu’il ne soit point contrarié ; ces sortes de lisses sont appellées lisses à jour, par rapport à l’éloignement des mailles. Les lisserons sur lesquels sont montées les lisses de cette façon, n’ont pas plus d’une ligne d’épaisseur, ce qui fait que 60 lisses ne portent guere plus de trente lignes ou trois pouces, par la façon dont on vient de démontrer que les lisses étoient faites & attachées lorsqu’elles sont serrées ; mais comme dans le travail elles ont besoin d’une certaine distance pour qu’elles puissent avoir du jeu, la distance ordinaire est toujours de six pouces environ. On évite par cette façon de monter le métier, l’embatras de deux corps, sans lesquels on ne sauroit faire une étoffe, quand elle est façonnée, outre les quatre premieres lisses qu’on ne sauroit s’épargner pour en faire le fonds.

Pour que le dessein paroisse plus long, ou ait plus de hauteur dans une étoffe de cette espece, le dessinateur a soin de le composer de maniere qu’il soit répété, c’est-à-dire, qu’on puisse revenir sur ses pas en tirant le bouton, ce qui s’appelle dessiner à retour. En conséquence au lieu de paroître de 30 coups de hauteur dans l’étoffe de 60 lisses, il paroît en avoir 60, & à proportion dans les autres.

Des fonds or guillochés. Pour l’intelligence de cette façon de faire des fonds or dont la dorure pût par le liage former une espece de guilloché, il faut examiner ce qui a été écrit sur les étoffes riches à la broche. Voyez ce qui précede. La façon de travailler les étoffes en se servant de la broche, alongeoit un peu le travail, il étoit nécessaire de trouver un moyen qui parât à cet inconvénient & qui produisît le même effet ; pour y parvenir, on ajouta plusieurs lisses de liage & une quantité de marches équivalente à ces lisses, dont chacune doit avoir sa marche ; dans cette quantité de marches, on en choisissoit deux pour former un liage droit sur la lame brochée, les autres lisses étoient disposées de façon qu’elles faisoient une certaine figure dans les dorures qu’elles lioient, néanmoins cette figure étoit toujours la même dans le cours du dessein, il étoit donc nécessaire de trouver un moyen de distribuer une façon de lier la dorure, qui fût différente dans toutes les parties que l’on vouloit qui fussent liées différemment, ce qui n’auroit pas pu se faire qu’en mettant autant de lisses, & conséquemment autant de marches que les différences du guilloché en auroient exigé, ce qui, sur un dessein de dix dixaines, huit en douze, auroit exigé cent vingt lisses & autant de marches de liage.

La méthode qui a été mise en usage pour parvenir à faire des fonds or ou autres étoffes riches, dont le liage formât des guillochés différens dans les étoffes, a été celle de monter des métiers à deux corps ; savoir, un corps pour le poil, & un pour la figure : les premiers métiers ont été montés ; savoir, 200 cordes pour la figure, & 200 pour le poil, afin de ne point déranger l’ordre des 400 cordes, nombre ordinaire de la plus grande quantité des métiers. Chaque corde de rame étoit attachée à deux arcades, ou deux arcades étoient attachées à chaque corde de rame, pour faire tirer quatre mailles de corps, ce qui fait 800 mailles à l’ordinaire pour former la réduction qui est en usage dans la fabrique ; le second corps étoit attaché de même à 400 arcades, dont deux étoient attachées à chacune des 200 autres cordes