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bition & la force ne viennent à bout de rompre ou d’éluder. Les souverains ont un trop grand avantage sur les peuples ; la dépravation d’une seule volonté suffit dans le souverain pour mettre en danger ou pour détruire la félicité de ses sujets. Au-lieu que ces derniers ne peuvent guere lui opposer l’unanimité ou le concours de volontés & de forces nécessaires pour reprimer ses entreprises injustes.

Il est une erreur funeste au bonheur des peuples, dans laquelle les souverains ne tombent que trop communément ; ils croient que la souveraineté est avilie dès lors que ses droits sont resserrés dans des bornes. Les chefs de nations qui travailleront à la félicité de leurs sujets, s’assureront leur amour, trouveront en eux une obéissance prompte, & seront toujours redoutables à leurs ennemis. Le chevalier Temple disoit à Charles II. qu’un roi d’Angleterre qui est l’homme de son peuple, est le plus grand roi du monde ; mais s’il veut être davantage, il n’est plus rien. Je veux être l’homme de mon peuple, répondit le monarque. Voyez les articles Pouvoir, Autorité, Puissance, Sujets, Tyran.

Souverain, (Jurisprud.) ce titre est donné à certains tribunaux, comme aux conseils souverains, aux cours souveraines ; ce qui ne signifie pas que ces juges ayent une autorité souveraine qui leur soit propre, mais qu’ils exercent la justice au nom du souverain.

A la table de marbre, on appelle tenir le souverain, lorsque les commissaires du parlement viennent y tenir l’audience.

De même aux requêtes de l’hôtel, les maîtres des requêtes, étant au nombre de sept, jugent au souverain certaines causes dont ils sont juges en dernier ressort. Voyez Conseil souverain, Cour souveraine, Maitre des requêtes, Requêtes de l’hotel. (A)

Souverain, (Monnoie.) c’est le nom d’une monnoie frappée en Flandres vers le commencement du dernier siecle. Il y avoit aussi un demi-souverain & un quart de souverain. Le souverain de Flandres étoit du poids de six deniers 12 grains, ou 2 gros 12 grains trébuchans, & étoit reçu en France pour 13 livres. Le demi-souverain valoit 10 livres 10 sous, pesant 1 gros 6 grains ; le gros 3 liv. 5 sous pesant demi gros 3 grains. Cette monnoie n’a pas toujours eu le même type. Le livre qui contient les réglemens faits en 1641 pour les monnoies, donne la figure de deux souverains, dont le premier frappé en 1616, a d’un côté les effigies des archiducs Albert & Elisabeth assis, & de l’autre côté l’écu d’Autriche. Le second frappé en 1622, a d’un côté le buste de Philippe IV. roi d’Espagne, & de l’autre côté son écu. (D. J.)

SOUVERAINETÉ, (Gouvernement.) on peut la définir avec Puffendorf, le droit de commander en dernier ressort dans la société civile, que les membres de cette société ont déferé à une seule ou à plusieurs personnes, pour y maintenir l’ordre au-dedans, & la défense au-dehors, & en général pour se procurer sous cette protection un véritable bonheur, & sur-tout l’exercice assuré de leur liberté.

Je dis d’abord que la souveraineté est le droit de commander en dernier ressort dans la société, pour faire comprendre que la nature de la souveraineté consiste principalement en deux choses ; la premiere dans le droit de commander aux membres de la société, c’est-à-dire de diriger leurs actions avec empire ou pouvoir de contraindre ; la seconde est que ce droit doit être en dernier ressort, de telle sorte que tous les particuliers soient obligés de s’y soumettre, sans qu’aucun puisse lui résister : autrement si cette autorité n’étoit pas supérieure, elle ne pourroit pas procurer à la société l’ordre & la sûreté qui sont les fins pour lesquelles elle a été établie.

Je dis ensuite que c’est un droit déféré à une ou à plusieurs personnes, parce qu’une république est aussi bien souveraine qu’une monarchie.

J’ajoute enfin, pour se procurer sous cette protection un véritable bonheur, &c. pour faire connoître que la fin de la souveraineté est la félicité des peuples.

On demande quelle est la source prochaine de la souveraineté, & quels en sont les caracteres ? Il est certain que l’autorité souveraine, ainsi que le titre sur lequel ce pouvoir est établi, & qui en fait le droit, résulte immédiatement des conventions mêmes qui forment la société civile, & qui donnent naissance au gouvernement. Comme la souveraineté réside originairement dans le peuple, & dans chaque particulier par rapport à soi-même, il résulte que c’est le transport & la réunion des droits de tous les particuliers dans la personne du souverain, qui le constitue tel, & qui produit véritablement la souveraineté ; personne ne sauroit douter, par exemple, que lorsque les Romains choisirent Romulus & Numa pour leurs rois, ils ne leur conférassent par cet acte même la souveraineté sur eux qu’ils n’avoient pas auparavant, & à laquelle ils n’avoient certainement d’autre droit que celui que leur donnoit l’élection de ce peuple.

Le premier caractere essentiel de la souveraineté, & celui d’où découlent tous les autres, c’est que c’est un pouvoir souverain & indépendant, c’est-à-dire une puissance qui juge en dernier ressort de tout ce qui est susceptible de la direction humaine, & qui peut intéresser le salut & l’avantage de la société ; mais quand nous disons que la puissance civile est par sa nature souveraine & indépendante, nous entendons seulement que cette puissance une fois constituée, a une puissance telle que ce qu’elle établit dans l’étendue de son district, ne sauroit être légitimement troublé par un autre pouvoir.

En effet, il est absolument nécessaire que dans tout gouvernement, il y ait une telle puissance suprème, la nature même de la chose le veut ainsi, & il ne sauroit subsister sans cela ; car puisqu’on ne peut pas multiplier les puissances à l’infini, il faut nécessairement s’arrêter à quelque degré d’autorité supérieur à tout autre ; & quelle que soit la forme du gouvernement monarchique, aristocratique, démocratique, ou mixte, il faut toujours qu’on soit soumis à une décision souveraine, puisqu’il implique contradiction de dire qu’il y ait quelqu’un au-dessus de celui ou ceux qui tiennent le plus haut rang dans un même ordre d’êtres.

Un second caractere qui est une suite du premier, c’est que le souverain comme tel, n’est tenu de rendre compte à personne ici-bas de sa conduite : quand je dis que le souverain n’est pas comptable, j’entends aussi long-tems qu’il est véritablement souverain ; car la souveraineté n’existe que pour le bien public, & il n’est pas permis au souverain de l’employer d’une maniere directement opposée à sa destination, puisqu’il est constant que tout souverain, ou tout corps de souveraineté est soumis aux lois naturelles & divines.

Les limitations du pouvoir souverain ne donnent aucune atteinte à la souveraineté ; car un prince ou un sénat à qui on a déféré la souveraineté, en peut exercer tous les actes, aussi-bien que dans une souveraineté absolue : toute la différence qui s’y trouve, c’est qu’ici le roi prononce seul en dernier ressort, suivant son propre jugement, & que dans une monarchie limitée, il y a un sénat qui conjointement avec le roi, connoît de certaines affaires, & que son consentement est une condition nécessaire sans laquelle le roi ne sauroit rien décider.

Il nous reste à dire un mot des parties de la souveraineté, ou des différens droits essentiels qu’elle renferme. L’on peut considérer la souveraineté comme un