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6. Ceux qui se plaisent au merveilleux de ce genre, pourront consulter les auteurs que nous avons cités, en outre la dissertation de Fred. Hoffman de syderum influxu in corpora humana, & celle de M. Sauvages, célebre professeur en médecine de la faculté de Montpellier, qui a pour titre : de astrorum influxu in hominem, Monspelii 1757. Ils trouveront dans tous ces ouvrages de quoi se satisfaire. Voyez Influence des astres.

L’action des corps célestes sur l’ame sensitive, se manifeste sur-tout dans les maladies aiguës, ainsi que nous l’apprenons de tous les bons observateurs ; ils nous recommandent encore de faire la plus grande attention aux changemens des tems, des saisons, &c. l’effet de beaucoup de remedes étant subordonné à ces influences qui décident ordinairement de la plus grande ou de la moindre sensibilité des organes. Præcipuè vero maximæ anni, temporum mutationes observandæ sunt, ut nequè medicamentum purgans lubenter exhibeamus, nequè partes circà ventrem uramus aut secemus antè dies decem, aut etiam plures. Hippocrate, foës. de aere, locis & aquis, pag. 288. §. 10. Il seroit bien à desirer que la plûpart des médecins voulussent méditer sur ce passage du pere de la médecine ; ils verroient qu’il n’est pas indifférent de savoir placer un médicament dans un tems plutôt que dans un autre, de le suspendre ou de le supprimer, même tout-à-fait, dans quelques circonstances ; mais cette science est le fruit de l’observation, & l’observation est dure, rebutante. Des connoissances purement traditionnelles, une routine qui formule toujours, qui court toujours, qui n’exige qu’un peu d’habitude ou de mémoire, tout cela doit naturellement paroître préférable, parce qu’il est plus commode ; d’où il arrive que les larges avenues de cette médecine suffisent à peine à la foule qui s’y jette, que toutes sortes de gens viennent s’y confondre, tandis au contraire qu’on distingue à peine quelques génies choisis dans les sentiers pénibles qui menent au sanctuaire de l’art.

Les variations des vents tiennent de trop près à l’action des astres, pour ne pas mériter les mêmes considérations, quant à la sensibilité. Hippocrate prétend que dans les changemens des vents les enfans sont très-sujets à l’épilepsie. Voyez lib. VI. & lib. II. épidem. Les impressions des vents du nord & du sud sur l’ame sensitive, ont cela de commun avec les influences des saisons, qu’elles sont spécifiées par les maladies que chacun de ces vents occasionne en particulier. L’instinct sensitif va même jusqu’à s’appercevoir du changement prochain d’un vent en un autre vent ; de sorte qu’il y a beaucoup de malades ou de personnes à incommodités, qui à cet égard pourroient passer pour d’excellens barometres. Enfin, l’ame sensitive de certains animaux n’est pas exempte, non plus que celle des hommes, des effets de ces variations Virgile nous apprend que les corbeaux, par exemple, en sont notablement affectés. Voyez le livre I. des Georgiques.

Verùm ubi tempestas & coeli mobilis humor
Mutavere vices & Jupiter humidus austri
Densat, erant quæ rara modò & quæ densa relaxat,
Vertuntur species animorum, pectora & motus,
Nunc alios, alios dùm nubila ventus agebat.

Tels sont en général les effets de l’influx des astres sur l’ame sensible, & dont l’observation avoit porté les anciens à soumettre divers organes à différentes planetes. Leurs prétentions à cet égard étoient assûrément outrées : mais nous leur opposons le même excès dans notre indifférence sur des matieres les plus faites pour exciter notre zele par la gloire & l’avantage qui en reviendroient à l’art.

Sensibilité par rapport aux climats. Cette matiere est tellement liée aux précédentes, que nous aurions dû les confondre ensemble, sans la crainte de déro-

ger à l’ordre que nous avons suivi dès le commencement ;

il n’est pas douteux que les climats n’influent pour beaucoup sur la sensibilité. Les différentes températures dans un même climat variant la disposition & le tissu de nos parties, quelle prodigieuse différence ne doit-il pas y avoir dans les effets de la sensibilité par rapport aux individus d’un climat, comparés à ceux d’un autre climat ? Voyez Climat, Médecine. C’est en ce sens qu’on pourroit compter des nuances de sensibilité, comme on en compte de la couleur des peuples depuis le nord jusqu’à la ligne ; en sorte qu’un habitant de ces dernieres contrées, comparé avec un lapon, donnera presque une idée des contrastes en sensibilité : mais en évaluant ainsi les tempéramens de sensibilité par les différentes latitudes, on n’en doit jamais séparer l’idée physique d’avec l’idée morale ; car nous croyons pouvoir nous dispenser d’observer ici, vu la publicité du livre immortel de l’Esprit des lois, combien les usages, les coutumes des pays, &c. méritent de considérations dans l’estimation des facultés sensitives. Il est encore plus important de ne pas perdre de vue cette activité originale de l’ame sensible, qui est la même dans tous les individus d’une même espece, & qui ne sauroit éprouver des variétés que dans ses organes ; un observateur exact aura tôt ou tard occasion de s’en convaincre. C’est ainsi qu’Hippocrate a observé que les crises avoient lieu dans l’île de Thase, qui est voisine de la Thrace, aussi-bien que dans l’île de Cos ; deux îles dont les climats sont tout différens ; & des observations modernes ont enfin constaté que les crises étoient à-peu-près les mêmes dans tous les climats ; Il en est, dit Hippocrate (car les vues supérieures de ce grand homme se sont portées sur tout) ; il en est des constitutions des individus, comme de la nature du sol qu’ils habitent ; les animaux, les plantes, & quelques autres productions de la terre, ont donc à cet égard une entiere conformité de sort entre eux ; cela n’a pas besoin de preuves.

On peut encore juger de cette influence des climats sur les effets de la sensibilité, par les affections corporelles qu’on éprouve dans des pays d’une température différente de la natale. Il se trouve, par exemple, des montagnards qui ne sauroient habiter des villes situées dans des plaines ; dans quelques-uns même un pareil séjour développe le germe de beaucoup de maladies, comme les écrouelles, que l’air de la montagne retenoit dans un état d’inertie. Il faut ajouter que les mœurs & la qualité des alimens, qui sont autant de créatures des climats, peuvent contribuer encore à ce développement. Ceci analysé & suivi, donnera la raison des maladies endémiques, de la différence des vertus dans les mêmes remedes, & de plusieurs autres objets de cette nature, sur lesquels on ne doit pas s’attendre à trouver ici un plus long détail.

Nous nous sommes trop étendus sur cette matiere, pour passer sous silence un système qu’on peut regarder comme une branche égarée de l’ame sensitive, qui cherche à se rejoindre à son tronc, dont réellement elle ne peut pas plus être séparée, que l’effet ne peut l’être de la cause. Nous voulons parler du nouveau système de l’irritabilité, sur lequel la réputation méritée de son auteur (M. le baron de Haller), ses talens continuellement employés à des travaux utiles pour l’art, demandent que nous entrions dans quelques discussions qui mettent le lecteur à portée d’asseoir un jugement sur ce système.

Pour cet effet, nous allons voir ce que cette irritabilité, qu’il seroit peut-être mieux d’appeller de son ancien nom d’irritation, ainsi que nous l’avons observé à l’article Secrétions (Voyez ce mot) ; nous allons voir, dis-je, ce qu’elle a d’essentiel en soi, pour en autoriser les réflexions qu’elle nous don-