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cice est l’attention à la liaison immédiate qu’a une idée avec une autre idée, pour former une proposition juste & un jugement exact : c’est-là ce qu’on peut appeller l’essentiel & la derniere fin de la logique. Sans cette attention, l’exercice même du syllogisme pourroit éloigner de la vérité, degénérant en sophisme ; au lieu qu’avec cette attention seule, on peut se mettre à couvert de l’illusion des sophismes.

Au reste, dans tout ce que je viens de dire, je n’ai garde de blâmer ceux qui s’aident des regles syllogistiques pour découvrir la vérité. Il y a des yeux qui ont besoin de lunettes pour voir clairement & distinctement les objets ; mais ceux qui s’en servent, ne doivent pas dire pour cela que personne ne peut bien voir sans lunettes. On aura raison de juger de ceux qui en usent ainsi, qu’ils veulent un peu trop rabaisser la nature en faveur d’un art auquel ils sont peut-être redevables. Lorsque la raison est ferme & accoutumée à s’exercer, elle voit plus promptement & plus nettement par sa propre pénétration, que lorsqu’elle est offusquée, retenue & contrainte par les formes syllogistiques. Mais si l’usage de cette espece de lunettes a si fort offusqué la vue d’un logicien, qu’il ne puisse voir sans leur secours, les conséquences ou les inconséquences d’un raisonnement, on auroit tort de le blâmer parce qu’il s’en sert. Chacun connoît mieux qu’aucun autre ce qui convient le mieux à sa vue ; mais qu’il ne conclue pas de-là, que tous ceux qui n’emploient pas justement les mêmes secours qu’il trouve lui être nécessaires, sont dans les ténebres ; quoiqu’à dire le vrai il paroisse assez plaisant, que la raison soit attachée à ces mots barbara, celarent, darii, ferio, &c, qui tiennent tant soit peu de la magie, & qui ne sont guere d’un plus grand secours à l’entendement, qu’ils sont doux à l’oreille. Il a été sans doute permis à M. de Gravesande, de vouloir apprendre aux hommes à parler & à penser d’une maniere juste & précise, par un certain arrangement de lettres de l’alphabet. Mais il seroit fort injuste à lui de trouver mauvais qu’on se moquât d’une méthode si extraordinaire. Je pense, dit un critique moderne, que ces préceptes figureroient fort bien dans le Bourgeois Gentilhomme ; il me semble ouir M. Jourdain, a e e, a o o, o a o, e i o, e a e, e a o. Que cela est beau ! que cela est savant ! La façon d’apprendre aux hommes a raisonner est bien sublime & bien élevée.

Montagne ne se contente pas de mépriser, ainsi que Loke, les regles de l’argumentation ; il prétend que la logique ordinaire ne sert qu’à former des pédans crotés & enfumés. « La plus expresse marque, dit-il, de la sagesse, c’est une jouissance constante ; son état est comme des choses au-dessus de la lune toujours serein. Ces baroco & baralipton qui rendent leurs suppôts ainsi crottés & enfumés, ce n’est pas elle, ils ne la connoissent que par oui-dire, comme elle fait état de sereiner les tempêtes de l’ame & d’apprendre à rire la faim & les fievres, non par épicyles imaginaires, mais par raisons naturelles & probables ». Si Montagne avoit vu les aa & les oo du professeur hollandois, sans doute qu’il en eût dit ce qu’il a dit des baroco & des baralipton.

Enfin pour terminer ce que j’ai à dire sur le syllogisme, je dirai qu’il est principalement d’usage dans les écoles, où l’on n’a pas honte de nier la convenance manifeste des idées, ou bien hors des écoles à l’égard de ceux qui, à l’occasion & à l’exemple de ce que les doctes n’ont pas honte de faire, ont appris aussi à nier sans pudeur la connexion des idées qu’ils ne peuvent s’empêcher de voir eux-mêmes. Pour ceux qui cherchent sincérement la vérité, ils n’ont aucun besoin de ces formes syllogistiques, pour être forcés à reconnoître la conséquence, dont la vérité

& la justesse paroissent bien mieux en mettant les idées dans un ordre simple & naturel. De-là vient que les hommes ne font jamais des syllogismes en eux-mêmes lorsqu’ils cherchent la vérité ; parce qu’avant de pouvoir mettre leurs pensées en forme syllogistique, il faut qu’ils voient la connexion qui est entre l’idée moyenne & les deux autres idées auxquelles elle est appliquée, pour faire voir leur convenance ; & lorsqu’ils voient une fois cela, ils voient si la conséquence est bonne ou mauvaise ; & par conséquent le syllogisme vient trop tard pour l’établir.

On croit, à la vérité, qu’il est à-propos de connoître le secret du syllogisme, pour démêler en quoi consiste le vice des raisonnemens captieux, par lesquels on voudroit nous embarrasser & nous surprendre, & dont la fausseté se dérobe sous l’éclat brillant d’une figure de rhétorique, & d’une période harmonieuse qui remplit agréablement l’esprit. Mais on se trompe en cela. Si ces sortes de discours vagues & sans liaison, qui ne sont pleins que d’une vaine rhétorique, imposent quelquefois à des gens qui aiment la vérité, c’est que leur imagination étant frappée par quelques métaphores vives & brillantes, ils négligent d’examiner quelles sont les véritables idées d’où dépend la conséquence du discours, ou bien éblouis de l’éclat de ces figures, ils ont de la peine à découvrir ces idées. Mais pour leur faire voir la foiblesse de ces sortes de raisonnemens, il ne faut que les dépouiller d’un faux éclat, qui impose d’abord à l’esprit, des idées superflues, qui, mêlées & confondues avec celles d’où dépend la conséquence, semblent faire voir une connexion où il n’y en a point ; après quoi il faut placer dans leur ordre naturel ces idées nues, d’où dépend la force de l’argumentation ; & l’esprit venant à les considérer en elles-mêmes dans une telle position, voit bientôt, sans le secours d’aucun syllogisme, quelles connexions elles ont entr’elles. Les meilleurs ouvrages que nous ayons, les plus étendus, les plus clairs, les plus profonds & les mieux raisonnés, ne sont point hérissés de syllogismes, ils ne sont qu’un tissu de propositions ; tant il est vrai que l’art du syllogisme n’est pas le moyen le plus immédiat, le plus simple & le plus commode de découvrir & de démontrer la vérité. Lisez le chap. xj. qui traite de la raison, liv. IV. de l’essai sur l’entendement humain, où l’inutilité du syllogisme est approfondie.

SYLT ou SYLOT, (Géog. mod.) petite île du royaume de Danemarck, sur la côte occidentale du duché de Sleswick, au nord de l’île Fora, dont elle est séparée par le Rode-Tift, ou canal rouge. Sylt n’a que 4 milles de longueur, dont la plus grande partie est couverte de collines de sable & de bruyeres. Ses habitans au nombre d’environ quinze cens, partagés en quatre paroisses, vivent de la pêche de la baleine, qu’ils vont faire du côté de l’Islande, de Groënlande & du Spitzberg. Ils parlent la langue des anciens Frisons, & conservent leur ancienne maniere de s’habiller, particulierement les femmes qui portent des robes qui ne tombent que jusqu’aux genoux. (D. J.)

SYLVE, voyez Sylve.

Sylve, s. f. (Jeux rom.) en latin sylva, divertissement & jeux publics des Romains, qui consistoient dans une espece de chasse. On construisoit une forêt artificielle dans le cirque avec de grands arbres que l’on faisoit apporter par les soldats & qu’on y replantoit ; on y lâchoit quantité de bêtes que le peuple poursuivoit à la course, & qu’il falloit prendre vives ; c’est pourquoi on n’y lâchoit point de bêtes féroces, comme on faisoit au pancarpe, qui étoit un autre spectacle à-peu-près semblable.

Plusieurs auteurs prétendent, que c’étoit le même divertissement, connu sous deux différens noms. Telle est l’opinion de Casaubon, de Cujas & de Fran-