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ans avant J. C. Archimede avoit souhaité que ceux qui prendroient soin de sa sépulture, fissent graver sur son tombeau une sphere & un cylindre, ce qu’ils ne manquerent pas d’exécuter, & ils y ajouterent une inscription en vers de six piés. Son dessein étoit d’apprendre à la postérité, que si parmi ce grand nombre de découvertes qu’il avoit faites en Géométrie, il en estimoit quelqu’une plus que les autres, c’étoit d’avoir trouvé la proportion du cylindre à la sphere qui y est contenue.

Cicéron nous apprend dans ses tusculanes, liv. V. n°. 62-66. que ce monument si remarquable étoit inconnu de son tems à Syracuse. « Lors, dit-il, que j’étois questeur en Sicile, la curiosité me porta à chercher le tombeau d’Archimede. Je le démêlai, malgré les ronces & les épines dont il étoit presque couvert ; & malgré l’ignorance des Syracusains, qui me soutenoient que ma recherche seroit inutile, & qu’ils n’avoient point chez eux ce monument. Cependant je savois par cœur certains vers sénaires que l’on m’avoit donnés pour ceux qui étoient gravés sur ce tombeau, & où il étoit fait mention d’une figure sphérique, & d’un cylindre qui devoient y être. Etant donc un jour hors de la porte qui regarde Agragas (Agrigente), & jettant les yeux avec soin de tous côtés, j’apperçus parmi un grand nombre de tombeaux qui sont dans cet endroit-là, une colonne un peu plus élevée que les ronces qui l’environnoient, & j’y remarquai la figure d’une sphere & d’un cylindre. Aussi-tôt adressant la parole aux principaux de la ville qui étoient avec moi, je leur dis que je croyois voir le tombeau d’Archimede. On envoya sur le champ des hommes qui nettoyerent la place avec des faulx, & nous firent un passage. Nous approchâmes, & nous vîmes l’inscription qui paroissoit encore, quoique la moitié des lignes fût effacée par le tems. Ainsi la plus grande ville de Grece, & qui anciennement avoit été la plus florissante par l’étude des lettres, n’eût pas connu le trésor qu’elle possédoit, si un homme, né dans un pays qu’elle regardoit presque comme barbare, un arpinate, n’eût été lui découvrir le tombeau d’un de ses citoyens, si distingué par la justesse & par la pénétration de son esprit ».

Le peuple de Syracuse, si passionné autrefois pour les sciences, qui avoit fourni au monde des hommes illustres en toute espece de littérature ; ces hommes si amoureux de la belle poésie, que dans la déroute des Athéniens, ils accordoient la vie à celui qui pouvoit leur réciter les vers d’Eurypide ; ces mêmes hommes étoient tombés dans une profonde ignorance, soit par une révolution, qui n’est que trop naturelle aux choses du monde, soit que le changement arrivé plusieurs fois dans le gouvernement en eût apporté dans l’éducation des hommes & dans les manieres de penser. La domination des Romains avoit frappé le dernier coup, & abâtardi les esprits au point qu’ils l’étoient, lorsque Ciceron alla questeur en Sicile.

Le même jour qui met un homme libre aux fers,
Lui ravit la moitié de sa vertu premiere.

Tandis qu’on est obligé à Cicéron de son curieux récit de la découverte du tombeau d’Archimede, on ne lui pardonne pas la maniere méprisante dont on croit qu’il a parlé d’abord du grand mathématicien de Syracuse, immédiatement avant le morceau qu’on vient de lire. L’orateur de Rome voulant opposer à la vie malheureuse de Denys le tyran, le bonheur d’une vie modérée & pleine de sagesse, dit : « je ne comparerai point la vie d’un Platon & d’un Archytas, personnages consommés en doctrine & en vertu, avec la vie de Denys, la plus affreuse, la plus remplie de miseres, & la plus détestable que l’on

puisse imaginer. J’aurai recours à un homme de la même ville que lui, un homme obscur, qui a vécu plusieurs années après lui. Je le tirerai de sa poussiere, & je le ferai paroître sur la scène, le compas à la main, cet homme est Archimede, dont j’ai découvert le tombeau » ; & le reste que nous avons d’abord traduit ci-dessus. Ex eadem urbe hominem homuncionem à pulvere & radio excitabo, qui multis annis post fuit, Archimedem.

Je ne puis me persuader que Cicéron, si curieux de découvrir le tombeau d’Archimede, triomphant en quelque maniere d’avoir réussi, & d’avoir fait revivre cet homme si distingué par la pénétration & par la justesse de son esprit, ce sont ses termes : je ne puis, dis-je, me persuader qu’il ait eu dessein de marquer en même tems du mépris pour lui, & qu’il se soit contredit si grossierement. Disons donc que Cicéron fait allusion à l’oubli dans lequel Archimede étoit tombé, jusques-là, que ses propres concitoyens l’ignoroient. Ainsi la pensée de Cicéron est, qu’il ne mettroit pas Denys en parallele avec des hommes célebres étrangers & connus, mais avec un homme obscur en apparence, enseveli dans l’oubli, inconnu dans sa propre patrie, qu’il avoit été obligé d’y déterrer, & qui par cela-même faisoit un contraste plus frappant.

Par ces mots je le tirerai de la poussiere, cette poussiere ne doit pas se prendre dans le sens figuré, mais dans le sens propre ; c’est la poussiere sur laquelle on traçoit des figures de géométrie dans les écoles d’Athènes. Si cette poussiere, pulvis, n’a rien de bas, ce radius, cette baguette qui servoit à y tracer des figures, n’a rien qui le soit non-plus : Descripsit radio totum qui gentibus orbem. C’est cette baguette que Pythagore tient à la main dans un beau revers d’une médaille des Samiens, frappée à l’honneur de l’empereur Commode, & dans une autre, frappée par les mêmes Samiens, en l’honneur d’Herennia Etruscilla, femme de Trajanus Decius.

Il nous reste plusieurs ouvrages d’Archimede, & l’on sait qu’il y en a plusieurs de perdus. Entre les ouvrages qui nous restent, il faut mettre assumptorum, sive lemmatum liber, qu’Abraham Echellensis a traduit de l’arabe, & qui a paru avec les notes de Borelli à Florence, en 1661, in fol. Il y a sous le nom d’Archimede un traité des miroirs ardens, traduit de l’arabe en latin par Antoine Gogava. On a d’ailleurs les ouvrages suivans, qui ne sont pas imprimés : de fractione circuli, en arabe, par Thebit. perspectiva, en arabe. Opera geometrica Archimedis in compendium redacta per Albertum. Bartolocci assure qu’on trouve dans la bibliotheque du Vatican, en hébreu ms. les élemens de mathématique d’Archimede.

On pourroit mettre au rang des ouvrages perdus de ce grand homme, la description des inventions dont il étoit l’auteur, & qu’on peut recueillir des ses écrits, & des autres anciens. Tels sont 1°. περὶ τῆς Στεφάνης, méthode pour découvrir la quantité d’argent mêlé avec l’or dans une couronne ; voyez le récit que Vitruve, l. IX. c. iij. nous a fait de cette découverte. 2°. Une autre invention d’Achimede, le κόχλιον, machine à vis pour vuider l’eau de tous endroits. Diodore de Sicile nous apprend qu’il inventa la roue égyptienne, qui tire l’eau des lieux les plus profonds. 3°. L’helix, machine à plusieurs cordes & poulies, avec laquelle il remua une galere du roi Hiéron. 4°. Le trispaste ou polyspastes, machine pour enlever les fardeaux. 5°. Les machines dont il se servit pour la défense de Syracuse, que Polybe, Tite-Live & Plutarque, ont amplement décrites. 6°. Les miroirs ardens avec lesquels on dit qu’il mit le feu aux galeres des Romains. Voyez les mém. de l’acad. des Sciences. 7° Ses machines pneu-