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n’ont pas été suffisamment nourris dans les fosses ; c’est lorsqu’en les fendant, on apperçoit dans le milieu une raie blanchâtre, que l’on appelle la corne ou la crudité du cuir ; c’est ce défaut qui est cause que les semelles des souliers ou des bottes s’étendent, tirent l’eau, & enfin se pourrissent en très-peu de tems. Les cuirs une fois suffisamment tannés, on les tire de la fosse pour les faire sécher en les pendant en l’air ; ensuite on les nétoie de leur tan, & on les met dans un lieu ni trop sec ni trop humide, on les étend après, on les empile les uns sur les autres, & on met dessus de grosses pierres ou des poids de fer afin de les redresser ; c’est en cet état que le Tanneur peut alors recueillir légitimement le fruit de ses travaux, de sa patience, & de son industrie. Les cuirs ainsi apprêtés s’appellent cuirs plaqués, pour les distinguer des autres différemment travaillés ; cette maniere de tanner, s’appelle tanner en fort. On peut tanner, & on tanne effectivement en fort des cuirs de vaches & de chevaux, & ils se traitent de la même maniere que nous venons d’exposer ; mais il ne faut, eu égard à leur force qui est moindre, ni qu’ils séjournent aussi long-tems dans les plains & dans les fosses, ni qu’ils soient aussi nourris ; l’usage indiquera la quantité de tems & de nourriture qu’exigeront les cuirs, sur-tout lorsque le Tanneur saura en distinguer exactement la force. Lorsqu’on destine les cuirs de vaches ou de chevaux à faire les empeignes & les quartiers des souliers, & des bottes, on doit les rougir, ce qui s’appelle les mettre en coudrement, ce qui se fait de la maniere suivante ; après qu’ils ont été plamés à la chaux de la façon que nous avons indiquée, ce qui exige beaucoup moins de tems, vu qu’ils ne sont pas à beaucoup près si forts que les cuirs de bœufs. On les arrange dans une cuve de bois, appellée emprimerie, on y met ensuite de l’eau froide en assez grande quantité pour pouvoir remuer les cuirs, en leur donnant un mouvement circulaire ; & c’est précisément dans ce tems qu’on verse peu-à-peu & très-doucement le long des bords de la cuve, de l’eau un peu plus que tiede en assez grande quantité pour échauffer le tout, ensuite on jette par-dessus plein une corbeille de tan en poudre, il faut bien se donner de garde de cesser de remuer les cuirs en tournant, autrement l’eau & le tan pourroient les brûler ; cette opération s’appelle coudrer les cuirs, ou les brasser pour faire lever le grain ; après que les cuirs ont été ainsi tournés dans la cuve pendant une heure ou deux plus ou moins, suivant leur force & la chaleur du coudrement ; on les met dans l’eau froide pendant un jour entier, on les remet ensuite dans la même cuve & dans la même eau qui a servi à les rougir, dans laquelle ils restent huit jours : ce tems expiré on les retire, on les met dans la fosse, & on leur donne seulement trois poudres de tan dont la premiere dure cinq à six semaines, la seconde deux mois, & la troisieme environ trois. Tout le reste se pratique de même que pour les cuirs forts. Ces cuirs ainsi apprêtés, servent encore aux Selliers & aux Malliers. Les peaux de veaux reçoivent les mêmes apprêts que ceux des vaches & chevaux qu’on a mis en coudrement, cependant avec cette différence que les premiers doivent être rougis ou tournés dans la cuve plus de tems que les derniers. Quand les cuirs de chevaux, de vaches & de veaux ont été plamés, coudrés & tannés, & qu’on les a fait sécher au sortir de la fosse au tan ; on les appelle cuirs ou peaux en croute, pour les distinguer des cuirs plaqués, qui ne servent uniquement qu’à faire les semelles des souliers & des bottes. Les peaux de veaux en coudrement servent aux mêmes ouvrages que les cuirs des vaches qui ont eu le même apprêt ; mais elles servent à couvrir les livres, à faire des fourreaux d’épée, des étuits & des gaînes à couteaux,

lorsqu’elles ont été outre cela passées en alun. Les peaux de mouton, béliers ou brebis en coudrement qu’on nomme bazannes, servent aussi à couvrir des livres, & les Cordonniers les employent aux talons des souliers & des bottes pour les couvrir. Enfin les Tanneurs passent encore en coudrement & en alun, des peaux de sangliers, de cochons ou de truies ; ces peaux servent à couvrir des tables, des malles & des livres d’église. Il est à-propos d’observer ici, que presque tous les artisans qui employent ces différentes especes de peaux, ne se servent de la plûpart qu’après qu’elles ont encore été apprêtées par les Courroyeurs ; nous traiterons cet article en son tems : passons à la façons de plamer les peaux à l’orge.

Article II. Maniere de plamer les peaux a l’orge. Après avoir ôté les cornes, les oreilles & la queue aux peaux & les avoir lavées & nettoyées comme nous l’avons indiqué pour les plamer à la chaux ; on les met dans des cuves, soit de bois, soit de pierre, & au lieu de chaux, on se sert de farine d’orge, & on les fait passer successivement dans quatre, six & même huit cuves, suivant la force des cuirs : ces cuves s’appellent bassemens & équivalent aux plains ; il est à remarquer, que quoique les Tanneurs n’ayent pas effectivement le nombre de plains ou de bassemens que nous indiquons être nécessaires ; les peaux sont cependant censées passer par ce nombre de plains ou de bassemens, parce que la même cuve peut, en remettant, ou de la chaux, si c’est un plain, ou de la farine d’orge, si c’est un bassement, tenir lieu d’une, de deux, même de trois, soit plains, soit bassemens ; de sorte que pour ce qui regarde les plains, la cuve qui aura servi au mort-plain, peut servir après de plain-vif, si on le pence pour cet effet, & ainsi des bassemens. Les peaux restent dans ces différens bassemens, environ quinze jours dans chaque, & cette progression successive des peaux de bassement en bassement, peut durer quatre, cinq, même six mois, selon que le tanneur les a poussées & nourries, & selon la force des cuirs qu’il y a posés.

Ordinairement les peaux sortant du premier bassement sont en état d’être ébourrées ; l’ouvrier attentif peut seul décider de cet instant, & le saisir. Lorsque les peaux ont suffisamment séjourné dans les bassemens, on les lave, on les nettoie & on les écharne, comme nous l’avons indiqué en traitant la maniere de plamer à la chaux ; après quoi on les pose dans les fosses, & on les y traite de la même façon que ci-dessus. La seule différence qu’il pourroit y avoir, c’est qu’elles ne séjournent pas à beaucoup près si long-tems dans les bassemens, sur-tout s’ils sont bien nourris, que dans les plains qu’il n’est guere possible de hâter, crainte de brûler les cuirs. Nous appellerons ces sortes de bassemens bassemens blancs, pour les distinguer des bassemens rouges, dont nous allons parler en expliquant la maniere de plamer les peaux à la gigée.

Article III. Maniere de plamer les cuirs à la gigée. Les peaux sorties des mains du boucher, on les nettoie comme pour les plamer des deux façons que nous venons de traiter ; lorsqu’elles sont bien lavées & bien égouttées, on les met dans des étuves, on les étend sur des perches les unes sur les autres ; quand la chaleur les a pénétrées, & quand elles sont échauffées au point que le poil les puisse facilement quitter, on le met sur le chevalet pour les ébourrer ; & s’il se trouve des endroits où le poil résiste, on se sert du sable que l’on seme sur la peau ; & en la frottant avec le couteau de riviere, dont nous avons parlé en traitant la maniere de plamer à la chaux, on enleve le poil qui avoit d’abord résisté à la seule action du couteau. Les peaux ne restent ordinairement que trois ou quatre jours dans ces étuves ; au reste, le plus ou moins de tems dépend absolument du plus