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voit non seulement à y répandre une fraîcheur agréable, mais encore à y exhaler des parfums les plus exquis ; car cette pluie étoit toujours d’eau de senteur. Ainsi ces statues qui sembloient n’être mises au haut des portiques que pour l’ornement, étoient encore une source de délices pour l’assemblée, & enchérissant par leur influence sur la température des plus beaux jours, mettoient le comble à la magnificence du théatre, & servoient de toute maniere à en faire le couronnement.

Je ne dois pas oublier d’ajouter un mot des portiques qui étoient derriere les théatres, & où le peuple se retiroit lorsque quelque orage en interrompoit les représentations. Quoique ces portiques en fussent entierement détachés, Vitruve prétend que c’étoit où les chœurs alloient se reposer dans les entre-actes, & où ils achevoient de préparer ce qui leur restoit à représenter ; mais le principal usage de ces portiques consistoit dans les deux sortes de promenades qu’on y avoit menagées dans l’espace découvert qui étoit au milieu, & sous les galeries qui en formoient l’enceinte.

Comme ces portiques avoient quatre différentes faces, & que leurs arcades étoient ouvertes en dehors, on pouvoit, quelque tems qu’il fît, se promener à l’abri de leur mur intérieur, & profiter de leur différente exposition suivant la saison ; & comme l’espace découvert qui étoit au milieu, étoit un jardin public, on ne manquoit pas de l’orner de tout ce qui en pouvoit rendre l’usage plus agréable ou plus utile ; car les anciens avoient soin de joindre l’utile à l’agréable, dans tous leurs ouvrages, & surtout dans ces monumens publics qui devoient transmettre leur goût à la postérité, & justifier à ses yeux ce qu’ils publieroient eux-mêmes de leur grandeur.

Je dois ces détails à un excellent mémoire de M. Boindin, inseré dans le recueil de l’académie des Inscriptions ; & c’est tout ce que j’en pouvois tirer sans joindre des figures aux descriptions. Mais les théatres de Rome en particulier, m’offrent encore quelques particularités qu’il ne convient pas de supprimer.

Si nous remontons aux Grecs mêmes, nous trouverons d’abord que jusqu’à Cratinus, leurs théatres, ainsi que leurs amphitéatres, n’étoient que de charpente ; mais un jour que ce poëte faisoit jouer une de ses pieces, l’amphithéatre trop chargé se rompit & fondit tout-à-coup. Cet accident engagea les Athéniens à élever des théatres plus solides ; & comme vers ce tems-là la tragédie s’accrédita beaucoup à Athènes, & que cette république avoit depuis peu extrèmement augmenté sa puissance & ses richesses, les Athéniens firent construire des théatres qui ne le cédoient en magnificence à aucun édifice public, pas même aux temples de dieux.

Ainsi la scène née de la simplicité des premiers acteurs, qui se contentoient de l’ombre des arbres pour amuser le public, ne fut d’abord composée que d’arbres assemblés, & de verdures appropriées. On vint ensuite à charpenter des ais informes qu’on couvrit de toiles. Enfin l’Architecture éleva la scène en bâtiment ; le luxe l’embellit de tapisseries, & la Sculpture & la Peinture y prodiguerent leurs plus beaux ouvrages.

Les théatres à Rome ne se bâtissoient anciennement que de bois, & ne servoient que pendant quelques jours, de même que les échaffauds que nous faisons pour les cérémonies. L. Mummius fut le premier qui rendit ces théatres de bois plus splendides, en enrichissant les jeux qu’on fit à son triomphe, des débris du théatre de Corinthe. Ensuite Scaurus éleva le sien avec une telle magnificence, que la description de ce théatre paroît appartenir à l’histoire des Fées. Le théatre suspendu & brisé de Curion, fit voir

une machine merveilleuse, quoique d’un autre genre. Pompée bâtit le premier un magnifique théatre de pierre & de marbre. Marcellus en construisit un autre dans la neuvieme région de Rome, & ce fut Auguste qui le consacra. Voyez Théatre de Scaurus, Théatre de Curion, Théatre de Pompée, Théatre de Marcellus.

Les théatres de pierre se multiplierent bientôt ; on en comptoit jusqu’à quatre dans le seul camp de Flaminius. Trajan en éleva un des plus superbes, qu’Adrien fit ruiner.

Caius Pulcher fut un des premiers qui à la diversité des colonnes & des statues, joignit les peintures pour en orner la scène. Catulus la fit revêtir d’ébene ; Antoine enchérissant, la fit argenter ; & Néron pour régaler Tiridate, fit dorer tout le théatre.

Entre les rideaux, tapisseries, ou voiles du théatre des Romains, les uns servoient à orner la scène, d’autres à la spécifier, & d’autres à la commodité des spectateurs. Ceux qui servoient d’ornement, étoient les plus riches ; & ceux qui spécifioient la scène, représentoient toujours quelque chose de la piece qu’on jouoit. La décoration versatile étoit un triangle suspendu, facile à tourner, & portant des rideaux où étoient peintes différentes choses qui se trouvoient avoir du rapport au sujet de la fable, ou du chœur, ou des intermedes.

Les voiles tenoient lieu de couverture, & on s’en servoit pour la seule commodité des spectateurs, afin de les garantir des ardeurs du soleil. Catulus imagina le premier cette commodité, car il fit couvrir tout l’espace du théatre & de l’amphitéatre de voiles étendues sur des cordages, qui étoient attachés à des mâts de navires, ou à des troncs d’arbres fichés dans les murs. Lentulus Spinther en fit de lin d’une finesse jusqu’alors inconnue. Néron non seulement les fit teindre en pourpre, mais y ajouta encore des étoiles d’or, au milieu desquelles il étoit peint monté sur un char ; le tout travaillé à l’aiguille, avec tant d’adresse & d’intelligence, qu’il paroissoit comme un Phœbus qui modérant ses rayons dans un jour sérain, ne laissoit briller que le jour agréable d’une belle nuit.

Ce n’est pas tout, les anciens par la forme de leurs théatres donnoient plus d’étendue, & avec plus de vraissemblance à l’unité du lieu, que ne le peuvent les modernes. La scène, qui parmi ces derniers ne représente qu’une salle, un vestibule, où tout se dit en secret, d’où rien ne transpire au dehors, que ce que les acteurs y répetent ; la scène, dis-je, si resserrée parmi les modernes, fut immense chez les & Grecs les Romains. Elle représentoit des places publiques ; on y voyoit des palais, des obélisques, des temples, & sur-tout le lieu de l’action.

Le peu d’étendue de la scène théatrale moderne, a mis des entraves aux productions dramatiques. L’exposition doit être faite avec art, pour amener à-propos des circonstances qui réunissent dans un seul point de vûe, ce qui demanderoit une étendue de lieu que l’on n’a pas. Il faut que les confidens inutiles soient rendus nécessaires, qu’on leur fasse de longs détails de ce qu’ils devroient savoir, & que les catastrophes soient ramenées sur la scène par des narrations exactes. Les anciens par les illusions de la perspective, & par la vérité des reliefs, donnoient à la scène toute la vraissemblance, & toute l’étendue qu’elle pouvoit admettre. Il y avoit à Athènes une partie considérable des fonds publics destinée pour l’ornement & l’entretien du théatre. On dit même que les décorations des Bacchantes, des Phéniciennes, de la Médée d’Euripide, d’Œdipe, d’Antigone, d’Electre & de Sophocle, coûterent prodigieusement à la république.

La vérité du lieu qui étoit observée sur le théatre ancien, facilitoit l’illusion ; mais des toiles grossiere-