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décorations, car proprement le mot de scène ne signifioit autre chose.

La petite partie du diametre que la corde de quatre-vingt-dix degrés avoir retranchée au derriere de la scene, étoit d’environ quatorze piés ; & à dix-huit piés de cette corde, allant vers le centre du cercle, on avoit tiré une ligne parallele à la face ou au-devant du proscénion, c’est ainsi qu’ils appelloient un exhaussement ou plate-forme qui servoit de poste aux comédiens, de sorte que l’enfoncement ou la largeur de ce poste étoit de dix huit piés ; & la face ou devant du proscénion retranchoit cent quarante-deux degrés, quarante-six minutes, de la circonférence du cercle : le reste, à savoir deux cens dix-sept degrés, quatorze minutes, déterminoit l’enceinte intérieure de l’édifice, dont le trait surpassoit le demi-cercle contre l’opinion de beaucoup de gens qui ont écrit que la figure du théatre grec étoit un hémicicle.

C’est le terrein de toute cette enceinte, que les Athéniens appelloient conistra, c’est-à-dire le parterre ; les Romains le nommoient l’arène. A Athènes, l’orchestre occupoit une partie du conistra, d’où vient que quelques-uns, prenant la partie pour le tout, l’appellerent aussi l’orchestre. Cette usurpation de mots est particulierement venue des Romains, sur quoi l’on remarquera qu’encore que le théatre romain eût à-peu-près les mêmes parties que celui d’Athènes, & que ces parties eussent presque les mêmes noms, il y avoit une notable différence dans leurs proportions, dans leurs situations & dans leurs usages ; mais il n’est ici question que du théatre des Grecs.

La structure intérieure du théatre regnoit donc en arc-de-cercle jusqu’aux deux encoignures de la face du proscénion ; sur cette portion de circonférence s’élevoient vingt-quatre rangs de sieges par étages qui regnoient circulairement autour du conistra ou parterre, pour placer les spectateurs.

Toute la hauteur de ces rangs étoit divisée de huit en huit rangs, par trois corridors, retraites ou palliers, que les Athéniens appelloient diazoma. Ils suivoient la courbure des rangs, & servoient à faire passer les spectateurs d’un rang à l’autre. sans incommoder ceux qui étoient déja placés. Et, pour la même commodité, il y avoit de petits escaliers ou gradins, qui alloient de haut en-bas d’un corridor à l’autre au-travers des rangs, pour monter & descendre sans embarrasser. Il y avoit auprès de ces gradins des passages qui donnoient dans les portiques de l’enceinte extérieure, & c’étoit par ces passages qu’entroient les spectateurs pour se venir placer sur les rangs.

Les meilleures places étoient sur les huit rangs, compris entre le huitieme & le dix-septieme ; c’est ce qu’ils appelloient bouleuticon, destiné particulierement pour les officiers de judicature. Les autres rangs s’appelloient éphébicon, où se plaçoient les citoyens, dès qu’ils entroient dans leur dix-neuvieme année.

La hauteur de chacun de ces rangs de degrés étoit de treize à quatorze pouces, la largeur environ de vingt-deux. On ne laissoit pas d’y être assis fort commodément. Théophraste dit que les plus riches y portoient chacun un petit carreau. Le plus bas rang avoit presque quatre piés de hauteur sur le niveau de la campagne. Chaque marche des petits escaliers ou gradins n’avoit que la moitié de la hauteur, & la moitié de la largeur d’un des rangs de degrés. Pour les corridors, la largeur & la hauteur de chacun d’eux étoit double de la hauteur & de la largeur des mêmes rangs ; mais les escaliers n’étoient point paralleles l’un à l’autre, car si on eût prolongé le trait de leur alignement depuis la plus haute de leurs marches jusqu’à la plus basse, toutes ces lignes produites se seroient venu couper du côté du parterre. Ainsi les degrés compris entre deux escaliers ou gradins, fai-

soient la figure d’un coin étroit par en-bas, & large

par en-haut : d’où vient que les Romains les appelloient cunei. Pour empêcher que la pluie gâtât rien à toutes ces marches, on leur avoit donné une petite pente, par où les eaux s’écouloient.

Le long de chaque corridor, il y avoit de distance en distance dans l’épaisseur du bâtiment des petits réduits ou cellules, appellées echœa, qui étoient occupés par des vaisseaux d’airain en façon de tonneaux, chaque vaisseau étoit ouvert par un de ses fonds ; ce fond-là étoit tourné vers la scène, & y regardoit par de petites ouvertures qu’avoit chaque réduit pour un usage admirable que je dirai dans la suite, la répercussion de la voix.

Au-dessus du troisieme corridor s’élevoit une galerie ou portique, qui s’appelloit cercys. C’étoit-là que les Athéniens plaçoient leurs femmes : celles d’une vie déréglée avoient un lieu séparé. On mettoit aussi dans le cercys les étrangers & les amis de province ; car il falloit nécessairement avoir le droit de bourgeoisie, pour être placé sur les degrés ; il y avoit même des places qui appartenoient en propre à des particuliers ; & c’étoit un bien de succession, qui alloit aux aînés de la maison.

Le théatre des Grecs n’étoit pas de la capacité de celui que l’édile Marcus Scaurus fit bâtir à Rome, où il y avoit place pour soixante-dix-neuf mille hommes. Il sera facile aux Géometres de savoir, par exemple, le nombre des spectateurs que contenoit le théatre de Bacchus à Athenes. L’arc d’un pié & demi est ce qu’on donne ordinairement pour la place qu’un homme peut occuper ; mais on remarquera que, comme les assemblées du peuple s’y faisoient quelquefois pour regler les affaires d’état, il falloit du-moins qu’il pût contenir six mille hommes ; car les lois attiques vouloient positivement qu’il y eût au-moins six mille suffrages pour autoriser un decret du peuple.

Voilà ce qui regarde le lieu des spectateurs. Quand, au-lieu des spectacles, l’orchestre, qui étoit une estrade, une élévation dans le conistra ou parterre, commençoit à-peu-près à cinquante-quatre piés de la face du proscénion ou poste des comédiens, & venoit finir sur le trait du même proscénion ; la hauteur de l’orchestre étoit environ de quatre piés, autant qu’en avoit le premier rang des degrés sur le rez-de-chaussée. La figure de son plan étoit un quarré long, détaché des sieges des spectateurs ; c’étoit dans un endroit de l’orchestre que nous allons décrire, que se mettoient les musiciens, le chœur & les mimes. Chez les Romains, elle avoit un plus noble usage, car l’empereur, le sénat, les vestales & les autres personnes de qualité y avoient leurs sieges.

Sur le plan de l’orchestre d’Athènes, tirant vers le poste des comédiens, il y avoit un autre exhaussement ou petite plate-forme, nommée logéon ou thimélé. Les Romains l’appelloient pulpitum. Le logeon étoit élevé environ neuf piés sur le rez-de-chaussée, & cinq sur le plan de l’orchestre. Sa figure étoit un quarré de vingt-quatre piés à chaque face. C’étoit-là que venoient les mimes pour marquer les entre-actes de la piece, & c’étoit-là que le chœur faisoit ses récits.

Au pié du logéon sur le même plan de l’orchestre, il y avoit une enceinte de colonnes qui enfermoit une espace de l’orchestre, appellé hyposcénion. Voilà la partie du théatre grec, que les écrivains modernes ont le plus mal entendue. Les uns l’ont confondue avec le podion ou balustrade, qui étoit entre le proscénion & la scène du théatre romain, ce qu’on peut convaincre d’absurdité par la différence de leurs situations & de leurs usages. Quelques autres disent que l’hyposcénion étoit la face du proscénion, comprise depuis le niveau de l’orchestre jusqu’à l’esplanade du