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Dieu n’opere rien hors de lui.

Il n’y a point de créature hors de Dieu ; cependant l’essence de la créature differe de l’essence de Dieu.

L’essence de la créature consiste à agir & à souffrir, ou à mouvoir & à être mue ; & c’est ainsi que la sensation de l’homme a lieu.

La perception par l’inclination est la plus déliée ; il n’y en a point de plus subtile ; le tact le plus délicat ne lui peut être comparé.

Tout mouvement se fait par attouchement ou contact, ou application ou approche de la chose qui meut à la chose qui est mue.

La sensation se fait par l’aproximation de la chose au sens, & l’inclination par l’aproximation de la chose au cœur.

Le sens est touché d’une maniere visible, le cœur d’une maniere invisible.

Tout contact du sens se fait par pulsion ; toute motion de l’inclination, ou par pulsion ou par attraction.

La créature passive, l’être purement patient, s’appelle matiere ; c’est l’opposé de l’esprit. Les opposés ont des effets opposés.

L’esprit est l’être agissant & mouvant.

Tout ce qui caractérise passion est affection de la matiere ; tout ce qui marque action est affection de l’esprit.

La passion indique étendu, divisible, mobile ; elle est donc de la matiere.

La matiere est pénétrable, non pénétrante, capable d’union, de génération, de corruption, d’illumination & de chaleur.

Son essence est donc froide & ténébreuse ; car il n’y a rien dans cela qui ne soit passif.

Dieu a donné à la matiere le mouvement de non être à l’être ; mais l’esprit l’étend, la divise, la meut, la pénetre, l’unit, l’engendre, la corrompt, l’illumine, l’échauffe & la refroidit ; car tous ces effets marquent action.

L’esprit est par sa nature lucide, chaud & spirant, ou il éclaire, échauffe, étend, meut, divise, pénetre, unit, engendre, corrompt, illumine, échauffe, refroidit.

L’esprit ne peut souffrit aucun de ces effets de la matiere ; cependant il n’a ni sa motion, ni sa lumiere de lui-même, parce qu’il est une créature, & de Dieu.

Dieu peut anéantir un esprit.

L’essence de l’esprit en elle-même consiste en vertu ou puissance active. Son intention donne la vie à la matiere, forme son essence & la fait ce qu’elle est, après l’existence qu’elle tient de Dieu.

La matiere est un être mort, sans vertu ; ce qu’elle en a, elle le tient de l’esprit qui fait son essence & sa vie.

La matiere devient informe, si l’esprit l’abandonne à elle.

Un esprit peut être sans matiere ; mais la matiere ne peut être sans un esprit.

Un esprit destiné à la matiere desire de s’y unir & d’exercer sa vertu en elle.

Tous les corps sont composés de matiere & d’esprit ; ils ont donc une sorte de vie en conséquence de laquelle leurs parties s’unissent & se tiennent.

L’esprit est dans tous les corps comme au centre ; c’est de-là qu’il agit par rayons, & qu’il étend la matiere.

S’il retire ses rayons au centre, le corps se résout & se corrompt.

Un esprit peut attirer & pousser un esprit.

Ces forces s’exercent sensiblement dans la matiere unie à l’esprit.

Dans l’homme l’attraction & l’impulsion s’appel-

lent amour & haine, dans les autres corps sympathie

& antipathie.

L’esprit ne s’apperçoit point par les organes des sens, parce que rien ne souffre par la matiere.

La matiere ténébreuse en elle-même ne peut être ni vue, ni touchée ; c’est par l’esprit qui l’illumine qu’elle est visible ; c’est par l’esprit qui la meut qu’elle est perceptible à l’oreille, &c.

La différence des couleurs, des sons, des odeurs, des saveurs, du toucher, naît de l’efformation & configuration du reste de la matiere.

La chaleur & le froid sont produits par la diversité de la motion de l’esprit dans la matiere : & cette motion est ou rectiligne ou circulaire.

C’est l’attraction de l’esprit qui constitue la solidité & la fluidité.

La fluidité est de l’attraction de l’esprit solaire ; la solidité est de l’attraction de l’esprit terrestre.

C’est la quantité de la matiere qui fait la gravité ou la légereté, l’esprit du corps séparé de son tout étant attiré & incliné par l’esprit universel ; c’est ainsi qu’il faut expliquer l’élasticité & la raréfaction.

L’esprit en lui-même n’est point opposé à l’esprit. La sympathie & l’antipathie, l’amour & la haine naissent d’opérations diverses que l’esprit exécute dans la matiere, selon la diversité de son efformation & de sa configuration.

Le corps humain, ainsi que tous les autres, a esprit & matiere.

Il ne faut pas confondre en lui l’esprit corporel & l’ame.

Dans tous les corps la matiere mue par l’esprit touche immédiatement la matiere d’un autre corps ; mais la matiere touchée n’apperçoit pas l’attouchement ; c’est la fonction de l’esprit qui lui appartient.

J’entends ici par appercevoir, comprendre & approuver la vertu d’un autre, chercher à s’unir à elle, à augmenter sa propre vertu, lui céder la place, se resserrer. Ces perceptions varient dans les corps avec les figures, & selon les especes. L’esprit au contraire d’un corps à un autre ne differe que par l’acte intuitif, plus ou moins intense.

La division des corps en esprits est une suite de la varieté de la matiere & de sa structure.

Il y a des corps lucides ; il y en a de transparens & d’opaques, selon la quantité plus ou moins grande de la matiere, & les motions diverses de l’esprit.

L’opération ou la perception de l’esprit animal consiste dans l’animal, en ce que l’image du contact est comprise par le cerveau, & approuvée par le cœur ; & conséquemment les membres de l’animal sont déterminés par l’esprit à approcher la chose qui a touché, ou à la fuir.

Si ce mouvement est empêché, l’esprit moteur dans l’animal excite le desir des choses agréables & l’aversion des autres.

La structure de la matiere du corps de l’homme est telle que l’esprit ou conserve les images qu’il a reçues, ou les divise, ou les compose, ou les approuve, ou les haïsse, même dans l’absence des choses, & en soit réjoui ou tourmenté.

Cet esprit & l’esprit de tous les autres corps est immatériel ; il est cependant capable d’approuver le contact de la matiere, du plaisir & de la peine ; il est assujetti à l’intention des opérations conséquentes aux changemens de la matiere ; il est, pour ainsi dire, adhérent aux autres corps terrestres, & il ne peut sans eux perseverer dans son union avec son propre corps.

L’homme consideré sous l’aspect de matiere unie à cet esprit, est l’homme animal.

Sa propriété de comprendre les usages des choses, de les composer & de les diviser, s’appelle l’entendement actif.