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Pythagore, qui trouva le premier les rapports des intervalles harmoniques, prétendoit que ces rapports fussent observés dans toute la rigueur mathématique ; sans rien accorder à la tolérance de l’oreille. Cette sévérité pouvoit être bonne pour son tems, où toute l’étendue du système se bornoit encore à un si petit nombre de cordes. Mais comme la plûpart des instrumens des anciens étoient composés de cordes qui se touchoient à vuide, & qu’il leur falloit, par conséquent, une corde pour chaque son ; à mesure que le système s’étendit, ils ne tarderent pas à s’appercevoir que la regle de Pythagore eût trop multiplié les cordes, & empêché d’en tirer tous les usages dont elles étoient susceptibles. Aristoxene, disciple d’Aristote, voyant combien l’exactitude des calculs de Pythagore étoit nuisible au progrès de la Musique, & à la facilité de l’exécution, prit l’autre extrémité ; & abandonnant presque entierement ces calculs, il s’en rapporta uniquement au jugement de l’oreille, & rejetta comme inutile tout ce que Pythagore avoit établi.

Cela forma dans la Musique deux sectes qui ont long-tems subsisté chez les Grecs ; l’une, des Aristoxéniens, qui étoient les musiciens de pratique ; & l’autre, des Pythagoriciens, qui étoient les philosophes.

Dans la suite, Ptolomée & Dydime trouvant, avec raison, que Pythagore & Aristoxene avoient donné dans des extrémités également insoutenables ; & consultant à la-fois le sens & la raison, travaillerent chacun de leur côté à la réforme de l’ancien système diatonique. Mais comme ils ne s’éloignerent pas des principes établis pour la division des tétracordes, & que reconnoissant la différence du ton majeur au ton mineur, ils n’oserent toucher à celui-ci pour le partager comme l’autre par une corde chromatique en deux parties égales, le système général demeura encore long-tems dans un état d’imperfection qui ne permettoit pas d’appercevoir le vrai principe du tempérament.

Enfin Guy d’Arezze vint, qui refondit en quelque maniere la Musique, & qui inventa, dit-on, le clavecin. Or il est certain que cet instrument n’a pu subsister, non plus que l’orgue, du-moins tels ou à-peu-près que nous les connoissons aujourd’hui, que l’on n’ait en même tems trouvé le tempérament, sans lequel il est impossible de les accorder. Ces diverses inventions, dans quelque tems qu’elles aient été trouvées, n’ont donc pu être sort éloignées l’une de l’autre ; c’est tout ce que nous en savons.

Mais quoique la regle du tempérament soit connue depuis long-tems, il n’en est pas de même du principe sur lequel elle est établie. Le siecle dernier qui fut le siecle des découvertes en tout genre, est le premier qui nous ait donné des lumieres bien nettes sur cette pratique. Le pere Mersenne & M. Loullié se sont exercés à en nous en donner des regles. M. Sauveur a trouvé des divisions de l’octave qui fournissent tous les tempéramens possibles. Enfin M. Rameau, après tous les autres, a cru developper tout de nouveau la véritable théorie du tempérament, & a même prétendu sur cette théorie établir sous son nom une pratique très-ancienne dont nous parlerons bientôt. En voilà assez sur l’histoire du tempérament ; passons à la chose même.

Si l’on accorde bien juste quatre quintes de suite, comme ut, sol, ré, la, mi, on trouvera que cette quatrieme quinte mi, fera avec l’ut une tierce majeure discordante, & de beaucoup trop forte ; c’est que ce mi engendré comme quinte de la, n’est pas le même son qui doit faire la tierce majeure de l’ut. En voici la raison. Le rapport de la quinte est de 2 à 3, ou, si l’on veut, d’1 à 3 ; car c’est ici la même chose, 2 & 1 étant l’octave l’un de l’autre ; ainsi la succès-

sion des quintes formant une progression triple, on

aura ut 1, sol 3, 9, la 27, & mi 81.

Considerons maintenant ce mi comme tierce majeure d’ut. Son rapport est 4, 5, ou 1, 5 ; car 4 n’est que la double octave d’1. Si nous rapprochons d’octave en octave ce mi du précédent, nous trouverons mi 5, mi 10, mi 20, mi 40 & mi 80 ; ainsi la quinte de la étant mi 81, la tierce majeure d’ut est mi 80 ; ces deux mi ne sont donc pas le même ; leur rapport est  : ce qui fait précisément le comma majeur.

D’un autre côté, si nous procédons de quinte en quinte jusqu’à la douzieme puissance d’ut qui est le si dièse, nous trouverons que ce si excede l’ut dont il devroit faire l’unisson, & qu’il est avec lui en rapport de 531441 à 524288, rapport qui donne le comma de Pythagore. De sorte que par le calcul précédent le si dièse devroit exceder l’ut de trois comma majeurs, & par celui-ci, il doit seulement l’excéder du comma de Pythagore.

Mais il faut que le même son mi qui fait la quinte du la, serve encore à faire la tierce majeure de l’ut : il faut que le même si dièse, qui forme la treizieme quinte de ce même ut, en fasse en même tems l’octave, & il faut enfin que ces deux différentes regles se combinent de maniere qu’elles concourent à la constitution générale de tout le système. C’est la maniere d’exécuter tout cela qu’on appelle tempérament.

Si l’on accorde toutes les quintes justes, toutes les tierces majeures seront trop fortes, par conséquent les tierces mineures trop foibles, & la partition, au-lieu de se trouver juste, voyez Partition, donnera à la treizieme quinte une octave de beaucoup trop forte.

Si l’on diminue chaque quinte de la quatrieme partie du comma majeur, les tierces majeures seront très-justes, mais les tierces mineures seront encore trop foibles ; & quand on sera au bout de la partition, on trouvera l’octave fausse, & trop foible de beaucoup.

Que si l’on diminue proportionnellement chaque quinte (c’est le système de M. Rameau), seulement de la douzieme partie du comma de Pythagore, ce sera la distribution la plus égale qu’on puisse imaginer, & la partition se trouvera juste ; mais toutes les tierces majeures seront trop fortes.

Tout ceci n’est que des conséquences nécessaires de ce que nous venons d’établir, & l’on peut voir par-là qu’il est impossible d’éviter tous les inconvéniens. On ne sauroit gagner d’un côté qu’on ne perde de l’autre. Voyons de quelle maniere on combine tout cela, & comment par le tempérament ordinaire on met cette perte même à profit.

Il faut d’abord remarquer ces trois choses : 1°. que l’oreille qui souffre & demande même quelque affoiblissement dans la quinte, est blessée de la moindre altération dans la justesse de la tierce majeure. 2°. Qu’en tempérant les quintes, comme on voudra, il est impossible d’avoir jamais toutes les tierces justes. 3°. Qu’il y a des tons beaucoup moins usités que d’autres, & qu’on n’emploie guere ces premiers que pour les morceaux d’expression.

Relativement à ces observations, les regles du tempérament doivent donc être 1°. de rendre autant qu’il est possible les tierces justes, même aux dépens des quintes, & de rejetter dans les tons qu’on emploie le moins celles qu’on est contraint d’altérer ; car par cette méthode on fait entendre ces tierces le plus rarement qu’il se peut, & l’on les reserve pour les morceaux d’expression qui demandent une harmonie plus extraordinaire. Or c’est ce qu’on observe parfaitement par la regle commune du tempérament.

Pour cela 1°. on commence par l’ut du milieu du clavier, & l’on affoiblit les quatre premieres quintes