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elle donne le plus beau blanc, elle est sans aucun mélange, & se prête à tous les procédés essentiels dont nous venons de donner les détails.

Ces considérations nous conduisent naturellement à faire mention du blanc qui se façonne au Cavereau, village à 9 lieues au-dessous d’Orléans, sur la Loire, & dont M. Salerne, médecin à Orléans, & correspondant de l’académie des Sciences parle, dans un discours inséré, tom. II. p. 5. des mémoires présentés à cette académie ; il nous apprend que cette craie de Cavereau est grasse & liée, propre à se détacher en masse comme la marne, & que les habitans de Cavereau la mêlent par petits tas, qu’ils pétrissent à piés nuds en ôtant toutes les petites pierres & en y jettant de l’eau à différentes reprises. Après cette premiere préparation ils en forment des rouleaux gros comme le bras, puis ils les coupent au couteau par morceaux de la longueur d’environ quatre à cinq pouces, pour les mouler quarrément & uniment en les tapant sur une petite planche. Tel est, ajoute-t il, le blanc d’Espagne qu’ils nomment grand blanc ou blanc quarré, à la différence d’une autre sorte qu’ils appellent petit blanc ou blanc rond ; le dernier est effectivement arrondi en forme de mamelle, il est plus fin & plus parfait que le précédent, parce qu’étant façonné à la main, il contient moins de gravier ou de pierrettes. Ce travail dure jusqu’à la vendange, ou jusqu’au commencement des froids & des mauvais tems, alors ils le cessent, parce qu’il faut un beau soleil pour sécher le blanc.

Après ces détails de la préparation du blanc au Cavereau, on peut se convaincre aisément que les différences sont à l’avantage du blanc façonné à Troyes ; il paroit d’abord que la viscosité est très-marquée dans la craie de Cavereau, ainsi que le gravier & autres pierres dures, & grumeaux terreux, ochreux, &c. J’ai vû moi-même dans ce village la matiere du blanc, c’est une marne blanche, douce au toucher, qui boit l’eau avec avidité, & se résout en pâte qui se paitrit aisément ; je l’ai trouvé mêlée pour-lors de petits débris de cos & de silex qui coupent quelquefois les doigts des ouvriers qui la paitrissent ; cette propriété qu’elle a de se paitrir & de se réduire en une pâte molle qui s’alonge sous les piés, semble indiquer une qualité argilleuse qui lie les parties, & permet de sécher les pains au soleil sans qu’ils se gercent ; en un mot elle a tous les caracteres de la marne, les pains d’ailleurs se séchent très-aisément, parce que la marne quitte l’eau plus facilement que la craie ; en conséquence de ces imperfections dans la matiere premiere, les manipulations ne s’y exécutent pas avec les attentions scrupuleuses dont on use à Troyes ; on voit bien que le mélange des petites pierres ne permettroit pas de faire usage du moulin ; les différentes qualités du blanc d’Orléans dépendent, à ce qu’il paroit, du plus ou moins de gravier qui s’y trouve mêlé ; au-lieu qu’à Troyes tout est égal, à la trituration près ; enfin les ouvriers de Troyes évitent le soleil, & y suppléent par un procédé très-ingénieux, qui n’est peut-être pas nécessaire au Cavereau, vû la viscosité de la craie, car l’action du soleil qui séche les pains du Cavereau, feroit gercer ceux de Troyes.

Je soupçonne que le nommé Vignereux, qui le premier a façonné le blanc au Cavereau, & qui y a laissé beaucoup de ses descendans, comme le rapporte M. Salerne, est un homme sorti de Troyes, car il y a encore dans un fauxbourg de Troyes une famille de ce nom ; cet homme aura reconnu une certaine analogie entre la matiere marneuse du Cavereau & le blanc de Troyes, mais ou il n’étoit pas instruit du procédé des artisans de Troyes, ou plutôt il aura trouvé une matiere peu susceptible de leurs préparations par les raisons que nous avons détaillées.

Instruit de tous ces faits, j’ai été curieux de comparer ensemble les effets du blanc de Troyes avec ceux du blanc d’Orléans, & d’après la plus légere inspection & les usages les plus communs, il n’y a pas lieu d’hésiter à donner la préférence à celui de Troyes, les couches du blanc de Troyes sont plus uniformes, plus brillantes, plus blanches, parce que les molécules en sont plus fines & sans aucun mélange de grumeaux pierreux, tels qu’on les découvre aisément à l’œil dans les pains d’Orléans ; enfin si l’on emploie le blanc de Troyes comme terre absorbante, il y a tout lieu de croire que la matiere n’ayant aucune viscosité, & étant d’ailleurs réduite en molécules plus fines que celles du blanc d’Orléans, doit avoir des effets beaucoup plus complets & beaucoup plus prompts, car les terres absorbantes agissent en proportion de la division de leurs parties ; d’ailleurs les petites pierres & silex du blanc d’Orléans peuvent déchirer les étoffes & les parties ochreuses, les tacher, lorsqu’on emploie le blanc pour les degraisser.

Depuis quelque tems on débite à Paris des pains de blanc encore plus grossier que celui d’Orléans, sous le nom abusif de blanc d’Espagne ; la matiere de ce blanc se tire proche de Marly & au-dessous de Meudon, on la détrempe dans des tonneaux ; on la brasse, & l’on tire l’eau chargée des molécules craïeuses qu’on laisse reposer ensuite, & on forme les pains du sédiment qu’on fait sécher comme ceux du Cavereau, la craie paroit fort grasse au toucher, mélée de matiere ochreuse.

L’usage du blanc est assez connu, on en blanchir les appartemens ; il sert, comme nous l’avons dit, de terre absorbante pour dégraisser les serges, les draps, les couvertures, au-lieu de les blanchir au soufre ; on en met aussi une premiere couche avec de la colle sur les moulures qu’on se propose de dorer ; il sert aussi de base pour étendre certaine préparation terreuse colorée.

La matiere brute voiturée à Troyes vaut 4 à 5 sols le boisseau du pays ; les ouvriers prétendent qu’il en faut trois boisseaux pour un cent pesant, mais on en peut douter, si l’on considere que le boisseau de Troyes contient 20 pintes du pays, qui correspondent à 24 pintes de Paris ; & comme on mesure comble la matiere brute du blanc, il est à présumer que le boisseau contient alors 26 pintes de Paris ; il ne paroit pas vraissemblable qu’ils emploient 78 pintes de blanc pour un cent pesant ; quoi qu’il en soit, le blanc d’une médiocre qualité se vend actuellement 25 à 30 sols le cent ; & le plus parfait quelquefois jusqu’à 40 & 45 sols le cent pesant pris en gros. Cette marchandise est plus chere en tems de paix. Le blanc brut augmente aussi de prix à proportion. Les vinaigriers de Troyes en font des envois dans tout le royaume, & même en Allemagne. Voyez Mémoires de l’académie des Sciences, année 1754, & les Ephémérides troyennes, année 1759. Article de M. Desmarais.

TRUAGE, (Jurisp.) Voyez ci-devant Treu.

TRUAND, s. m. (Langue franç.) truand, truande, truander, truandaille, sont de vieux mots qui étoient autrefois fort en usage, comme il paroît par le roman de la Rose, Villon, l’auteur de la comédie de Pathelin, & autres.

Truand signifioit un mendiant valide qui fait métier de gueuser ; truander, demander l’aumône par fainéantise, par libertinage ; truandaille, nom collectif pour dire de la gueuserie, des gueux, des vauriens : ce mot se trouve dans la vieille bible des noëls.

Vous n’êtes que truandaille,
Vous ne logerez point céans.

Truande s’est dit encore dans le dernier siecle au figuré, pour une salope.