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donné au plan la forme d’une croix ; on a réservé tous les ornemens pour l’intérieur. On a ouvert plusieurs portes ; on a fait des bas côtés ; il y a eu des fenêtres sur toute la longueur & à toute hauteur ; & c’est ce qu’on ne voyoit point aux temples des Grecs ; mais aussi on a mis le chœur & la nef dans une même direction ; on a supprimé les faisceaux des colonnes, pour n’en admettre qu’un seul ordre avec un entablement régulier ; les vitres ont été laissées dans leur transparence ; les ornemens n’ont été employés qu’avec économie, & ce sont-là tout autant de corrections des erreurs gothiques.

Les modernes, ajoutera quelqu’un, pratiquent encore de belles décorations ; j’en conviens : mais elles sont rarement à leur place. Ainsi, quoique plus rapprochés en apparence des Grecs, que ne l’étoient les Goths, nous pourrions à certains égards, nous en être fort éloignés. Je le crois d’abord par la vérité du fait ; en second lieu, parce que nous nous en croyons plus près ; enfin, parce que nous sommes venus après les Goths, & que la succession des goûts pourroit nous avoir détourné de la pureté primitive.

Quoiqu’il ait paru de tems à autres des artistes très-habiles, avec un peu d’attention, on ne peut méconnoître la dégradation du goût, & cette fatalité qui a toujours interrompu l’esprit dans sa marche. Dans tous les arts, il a fallu pendant long-tems, se traîner dans la carriere fatigante & incertaine des essais mal conçus, avant que de franchir l’intervalle immense qui peut conduire à quelque perfection. Lorsque l’esprit a atteint à quelques beautés vraies & constantes, rarement sait-il s’y reposer. De fausses subtilités se présentent ; on croit en s’y abandonnant, renchérir sur la belle simplicité de la nature ; & les arts retombent dans la période des erreurs, que l’imbécillité d’un instinct perverti fait néanmoins applaudir.

L’architecture des temples mahométans n’est pas propre à rectifier notre goût ; car ce sont des ouvrages communément tout ronds avec plusieurs tours. Quelques-unes de ces tours qui sont à la mosquée de Médine, où est le tombeau de Mahomet, sont torses, non pas cependant comme nos colonnes, dont les spires sont dans différens plans ; ce sont plutôt comme des courbes, qui rampent autour de ces tours circulaires. Cette figure des temples mahométans, aux tours près, est celle que les anciens avoient constamment employée dans les temples de Vénus. Se seroit-on asservi à cette similitude, parce que le ciel de Mahomet est celui de la déesse des plaisirs ? (Le chevalier de Jaucourt.)

Temples des Siamois, (Idolat. asiat.) Voyez Siam. (Géogr. mod.)

Temple de la Gloire, (Morale.) le temple de la gloire est une belle expression figurée qui peint la haute considération, & pour ainsi dire le culte que méritent ceux qui se sont rendus célebres par de grandes & de belles actions.

La gloire est une illustre & large renommée de plusieurs & grands bienfaits exercés sur notre patrie, ou sur toute la race du genre humain ; telle est la belle définition qu’en donne Cicéron ; ce n’est pas, ajoute-t-il, le vain soufle d’une faveur populaire, ni les applaudissemens d’une imbécille multitude que les sages dédaignent, qui constitue la place dans le temple de la gloire ; mais c’est l’approbation unanime des grandes actions, approbation donnée par tous les honnêtes-gens, & par le suffrage incorruptible de ceux qui peuvent juger de l’excellence du mérite, car des témoignages de cette espece répondent toujours à la vertu, comme l’écho répond à la voix.

Puisque la vraie gloire est la récompense générale des belles actions, on conçoit sans peine qu’elle sera chere aux gens de bien, & qu’ils la préféreront

à toute autre. Ceux qui y aspirent, ne doivent point attendre pour prix de leurs travaux les ans, le plaisir, ni la tranquillité de la vie ; au contraire, ils doivent sacrifier leur propre tranquillité pour assurer celle des autres, s’exposer aux tempêtes & aux dangers pour le bien public, soutenir des combats avec ceux qui veulent le détruire, avec les audacieux, & même avec les plus puissans.

Ils doivent marcher dans cette carriere par amour pour la vertu, & non pour captiver l’affection & les louanges d’un peuple volage. Ceux qui sont touchés de la vaine gloire, disent, comme Philippe : « ô Athéniens, si vous saviez tout ce que je fais pour être loué de vous ». Mais ceux qui ne goutent que la vraie gloire, disent avec Socrate : « ô Athéniens, ce n’est pas pour être loué de vous que je suis le pénible chemin de la vertu, c’est pour la vertu seule ».

Voilà les notions que Cicéron inculque pour engager les hommes à tâcher de mériter une place dans le temple de la gloire, dont il avoue qu’il étoit amoureux ; eh quel amour peut être mieux placé ? Cette passion est surement un des plus nobles principes qui puissent enflammer une belle ame. Elle est plantée par Dieu dans notre nature pour la dignifier, si je puis parler ainsi, & elle se trouve toujours la plus forte dans les ames sublimes. C’est à elle que nous devons les grandes & admirables choses dont parle l’histoire dans tous les âges du paganisme.

Il n’y a peut-être point d’exemple qu’aucun homme sensible aux périls de son pays, n’ait été porté à le servir par la gloire qu’il acquerroit. Donnez moi un enfant que la gloire échauffe, disoit Quintilien, & je répondrai du succés de mes leçons. Je ne sai, dit Pline, si la postérité daignera jetter quelques regards sur moi ; mais je suis sûr d’en mériter quelque chose, non pas par mon esprit & par quelques foibles talens, ce seroit pur orgueil ; mais par le zele & par le respect que je lui ai toujours voué.

Il ne paroîtra point étrange, que les plus sages des anciens aient considéré la gloire comme la plus grande récompense d’une belle vie, & qu’ils aient poussé ce principe aussi loin qu’il étoit possible, quand on réfléchira que le grand nombre d’entr’eux n’avoit pas la moindre notion d’aucune autre récompense ; si quelques-uns goutoient l’opinion d’un état à venir de félicité pour les gens vertueux, ils la goutoient plutôt comme une chose désirable, que comme une opinion fondée ; c’est pour cela qu’ils s’efforçoient de tenir leur gloire & leur immortalité des suffrages de leurs descendans ; ainsi par une fiction agreable, ils envisageoient cette renommée à venir, comme une propagation de leur vie, & une éternisation de leur existence ; ils n’avoient pas une petite joie d’imaginer, que si ce sentiment n’atteignoit pas jusqu’à eux, du-moins il s’étendroit aux autres, & qu’ils feroient encore du bien étant morts, en laissant l’exemple de leur conduite à imiter au genre humain.

Tous ces grands hommes ne regardoient jamais que ce fût proprement leur vie, celle qui étoit bornée à un cercle étroit d’années sur la terre ; mais ils envisageoient leurs actions comme des graines semées dans les champs immenses de l’univers, qui leur porteroient le fruit de l’immortalité à-travers de la succession des siecles.

Telle étoit l’espérance de Cicéron, & il faut convenir qu’il n’a pas été déçu dans son espoir. Quoi qu’en disent de prétendus beaux esprits modernes, qui nomment le sauveur de la république, le plus vain des mortels ; tant que le nom de Rome subsistera, tant que le savoir, la vertu & la liberté auront quelque crédit dans le monde, Cicéron sera grand & couvert d’actions glorieuses.

Si quelqu’un demandoit à-présent, quelles sont