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§. I. Premiere division générale des Tems. L’existence peut avoir, en général, trois sortes de rapports à l’époque de comparaison : rapport de simultanéité, lorsque l’existence est coïncidente avec l’époque ; rapport d’antériorité, lorsque l’existence précede l’époque ; & rapport de postériorité, lorsque l’existence succede à l’époque. De-là trois especes générales de tems, les présens, les prétérits & les futurs.

Les présens sont les formes du verbe, qui expriment la simultanéité d’existence à l’égard de l’époque de comparaison. On leur donne le nom de présens, parce qu’ils désignent une existence, qui, dans le tems même de l’époque, est réellement présente, puisqu’elle est simultanée avec l’époque.

Les prétérits sont les formes du verbe, qui expriment l’antériorité d’existence à l’égard de l’époque de comparaison. On leur donne le nom de prétérits, parce qu’ils désignent une existence, qui, dans le tems même de l’époque, est déja passée (præterita), puisqu’elle est antérieure à l’époque.

Les futurs sont les formes du verbe, qui expriment la postériorité d’existence à l’égard de l’époque de comparaison. On leur donne le nom de futurs, parce qu’ils désignent une existence, qui, dans le tems même de l’époque, est encore à venir (futura), puisqu’elle est postérieure à l’époque.

C’est véritablement du point de l’époque qu’il faut envisager les autres parties de la durée successive pour apprécier l’existence ; parce que l’époque est le point d’observation : ce qui co-existe est présent, ce qui précede est passé ou prétérit, ce qui suit est avenir ou futur. Rien donc de plus heureux que les dénominations ordinaires pour désigner les idées que l’on vient de développer ; rien de plus analogue que ces idées, pour expliquer d’une maniere plausible les termes que l’on vient de définir.

L’idée de simultanéité caractérise très-bien les présens ; celle d’antériorité est le caractere exact des prétérits ; & l’idée de postériorité offre nettement la différence des futurs.

Il n’est pas possible que les tems des verbes expriment autre chose que des rapports d’existence à quelque époque de comparaison ; il est également impossible d’imaginer quelque espece de rapport autre que ceux que l’on vient d’exposer : il ne peut donc en effet y avoir que trois especes générales de tems, & chacune doit être différenciée par l’un de ces trois rapports généraux.

Je dis trois especes générales de Tems, parce que chaque espece peut se soudiviser, & se soudivise réellement en plusieurs branches, dont les caracteres distinctifs dépendent des divers points de vue accessoires qui peuvent se combiner avec les idées générales & fondamentales de ces trois especes primitives.

§. 2. Seconde division générale des Tems. La soudivision la plus générale des tems doit se prendre dans la maniere d’envisager l’époque de comparaison, ou sous un point de vue général & indéterminé, ou sous un point de vue spécial & déterminé.

Sous le premier aspect, les tems des verbes expriment tel ou tel rapport d’existence à une époque quelconque & indéterminée : sous le second aspect, les tems des verbes expriment tel ou tel rapport d’existence à une époque précise & déterminée.

Les noms d’indéfinis & de définis employés ailleurs abusivement par le commun des Grammairiens, me paroissent assez propres à caractériser ces deux différences de tems. On peut donner le nom d’indéfinis à ceux de la premiere espece, parce qu’ils ne tiennent effectivement à aucune époque précise & déterminée, & qu’ils n’expriment en quelque sorte que l’un des trois rapports généraux d’existence, avec abstraction de toute époque de comparaison. Ceux de la seconde espece peuvent être nommés définis, parce

qu’ils sont essentiellement relatifs à quelque époque précise & déterminée.

Chacune des trois especes générales de tems est susceptible de cette distinction, parce qu’on peut également considérer & exprimer la simultanéité, l’antériorité & la postériorité, ou avec abstraction de toute époque, ou avec relation à une époque précise & déterminée ; on peut donc distinguer en indéfinis & définis, les présens, les prétérits & les futurs.

Un présent indéfini est une forme du verbe qui exprime la simultanéité d’existence à l’égard d’une époque quelconque ; un présent défini est une forme du verbe qui exprime la simultanéité d’existence à l’égard d’une époque précise & déterminée.

Un prétérit indéfini est une forme du verbe qui exprime l’antériorité d’existence à l’égard d’une époque quelconque ; un prétérit défini est une forme du verbe qui expriment l’antériorité d’existence à l’égard d’une époque précise & déterminée.

Un futur indéfini est une forme du verbe qui exprime la postériorité d’existence à l’égard d’une époque quelconque ; un futur défini est une forme du verbe qui exprime la postériorité d’existence à l’égard d’une époque précise & déterminée.

§. 3. Troisieme division générale des Tems. Il n’y a qu’une maniere de faire abstraction de toute époque, & c’est pour cela qu’il ne peut y avoir qu’un présent, un prétérit & un futur indéfini. Mais il peut y avoir fondement à la soudivision de toutes les especes de tems définis, dans les diverses positions de l’époque précise de comparaison, je veux dire, dans les diverses relations de cette époque à un point fixe de la durée.

Ce point fixe doit être le même pour celui qui parle & pour ceux à qui le discours est transmis, soit de vive voix soit par écrit ; autrement une langue ancienne seroit, si je puis le dire, intraduisible pour les modernes ; le langage d’un peuple seroit incommunicable à un autre peuple, celui même d’un homme seroit inintelligible pour un autre homme, quelque affinité qu’ils eussent d’ailleurs.

Mais dans cette suite infinie d’instans qui se succedent rapidement, & qui nous échappent sans cesse, auquel doit-on s’arrêter, & par quelle raison de préférence se déterminera-t-on pour l’un plutôt que pour l’autre ? Il en est du choix de ce point fondamental, dans la grammaire, comme de celui d’un premier méridien, dans la géographie ; rien de plus naturel que de se déterminer pour le méridien du lieu même où le géographe opere ; rien de plus raisonnable que de se fixer à l’instant même de la production de la parole. C’est en effet celui qui, dans toutes les langues, sert de dernier terme à toutes les relations de tems que l’on a besoin d’exprimer, sous quelque forme que l’on veuille les rendre sensibles.

On peut donc dire que la position de l’époque de comparaison est la relation à l’instant même de l’acte de la parole. Or cette relation peut être aussi ou de simultanéité, ou d’antériorité, ou de postériorité, ce qui peut faire distinguer trois sortes d’époques déterminées : une époque actuelle qui coïncide avec l’acte de la parole : une époque antérieure, qui précede l’acte de la parole : & une époque postérieure, qui suit l’acte de la parole.

De-là la distinction des trois especes de tems définis en trois especes subalternes, qui me semblent ne pouvoir être mieux caractérisées que par les dénominations d’actuel, d’antérieur & de postérieur tirées de la position même de l’époque déterminée qui les différencie.

Un présent défini est donc actuel, antérieur ou postérieur, selon qu’il exprime la simultanéité d’existence à l’égard d’une époque déterminément actuelle, antérieure ou postérieure.