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choix du cerf, la meute, les relais, le laissé-courre, le lancer, la chasse proprement dite, les ruses, le forcer, la mort, la curée, & la retraite.

Des quêtes. Après ce que nous avons dit des changemens de pays & de viandis, on sait en quel lieu les quêtes doivent être faites, selon les différentes saisons. Lorsque l’on se propose de courre un cerf, on va au bois les uns à cheval sans limiers, les autres à pié avec les limiers. On sépare les cantons, on distribue les quêtes ou les lieux dans lesquels chacun doit s’assûrer s’il y a un cerf ou s’il n’y en a point, ce qui se fait à l’aide d’un limier qu’on conduit au trait. Lorsque le limier rencontre, on l’arrête par le trait, on examine si c’est un cerf, sans l’effrayer ni le lancer, ce qui le feroit passer d’une quête dans une autre. Quand on s’est bien assûré de sa présence, on fait des brisées. On en distingue de deux sortes ; les hautes & les basses. Faire des brisées hautes, c’est rompre des branches & les laisser pendantes : faire des brisées basses, c’est les répandre sur sa route, la pointe tournée vers l’endroit d’où le cerf vient, & le gros bout tourné où le cerf va. Alors le cerf est ce qu’on appelle détourné, & les brisées basses servent à conduire le chasseur à la réposée du cerf le jour destiné pour le courre.

Du rendez-vous. C’est ainsi qu’on appelle un lieu indiqué dans la forêt, où tous les chasseurs se rassemblent & d’où ils se séparent pour la chasse. Il faut le choisir le plus commode qu’il est possible.

Du choix du cerf. Lorsqu’il se trouve du cerf dans plusieurs quêtes, il faut préférer celle qui n’a qu’une refuite à celle qui en a deux (on entend par refuite, le lieu par lequel le cerf a coûtume de sortir) ; celle où il n’y a qu’un seul cerf, à celle où il y en a plusieurs ; attaquer au buisson plûtôt qu’au grand bois, & préférer le cerf de dix cors au jeune cerf.

Il y en a qui distinguent trois especes de cerfs, les bruns, les fauves, & les rougeâtres. Les bruns passent pour les plus forts & les plus vîtes ; les fauves pour avoir la tête haute & le bois foible ; les rougeâtres pour jeunes & vigoureux. On estime sur-tout ceux qui ont sur le dos une raie d’un brun noir. La regle est de n’attaquer que les cerfs de dix cors.

De la meute. Une meute est au moins de cent chiens ; alors on la divise en cinq parties. Les vingt qui donneront les premiers, s’appellent chiens de meute ; les vingt du premier relais, vieille meute ; les vingt du second relais, seconde vieille meute ; le dernier relais, relais de six chiens ; le nombre en est cependant beaucoup plus grand, & il est à propos de réserver les meilleurs. On a encore quelquefois un relais volant. Ce relais se transporte & suit la chasse, au lieu que les autres l’attendent.

Des relais. C’est un proverbe parmi les chasseurs, qu’un cerf bien donné aux chiens est à demi-pris. Il est donc à propos que ceux qui ont la conduite des relais connoissent les lieux & soient entendus dans la chasse, soit pour les placer convenablement, soit pour les donner à tems. Il faut aussi des relais de chevaux ; il faut placer les meilleurs coureurs au premier relais.

Du laissé-courre. On donne ce nom au moment & au lieu où on lâche les chiens, quand on est arrivé à l’endroit où le cerf a été détourné. Lorsque les relais sont placés, on suit les brisées & l’on s’avance jusqu’aux environs de cet endroit ; ensuite on lâche quelques-uns des meilleurs chiens. Ceux qui doivent faire chasser les chiens se nomment piqueurs ; il est essentiel de les avoir excellens. Leur talent principal est de savoir animer les chiens du cor & de la voix, & avertir exactement les chasseurs des mouvemens du cerf.

Du lancer. On lançoit jadis avec les limiers, aujourd’hui on découple dans l’enceinte ; & le lancer

est proprement le premier bond du cerf hors de sa reposée. Le piqueur l’annonce en criant gare ; il crie vauceletz s’il voit la réposée, & tayau s’il voit l’animal.

De la chasse proprement dite : elle commence à ce moment, & consiste à suivre le même cerf sans relâche, malgré ses ruses, & à le forcer.

Des ruses : on en raconte une infinité ; tantôt le cerf chassé en substitue un autre à sa place, tantôt il se jette dans la harde ou troupe des biches, se mêle à des bestiaux, revient sur ses pas, tâche à dérouter les chiens par des bonds, suit un courant, &c. mais il y a des chiens auxquels il ne donne jamais le change. Le piqueur doit les connoître, & s’en tenir à ce qu’ils indiquent.

On a remarqué qu’un cerf blessé aux parties génitales ou châtré dans sa jeunesse, ne porte point de bois, reste comme une biche, & devient seulement plus fort de corps ; que si l’accident lui est arrivé après avoir déjà porté son bois, il continue de pousser mais avec peine, & ne parvient jamais à sa perfection ; & que si son bois étoit à sa perfection il ne le perd plus.

Mort du cerf. Lorsque le cerf est forcé, le piqueur crie halali, lui coupe le jarret & sonne la mort. Cependant un autre lui enleve le pié droit de devant, & va le présenter au grand veneur. On met le reste sur un chariot, & on le porte au lieu destiné pour la curée.

De la curée. Les valets de chien mettent le cerf sur le dos & le dépecent. Ils commencent par couper les daintiers, puis ils ouvrent la nappe ou peau, la fendant sous la gorge jusqu’où étoient les daintiers. Ils prennent le pié droit, dont ils coupent la peau à l’entour de la jambe, & l’ouvrent jusqu’au milieu de la poitrine ; ils en font autant aux autres piés, & ils achevent la dépouille. Cela fait, ils ouvrent le ventre, & l’on distribue l’animal par morceaux. On enlevera la panse, qui sera vuidée & lavée ; le membre génital ; l’os ou cartilage du cœur ; une partie du cœur, du foie, & de la ratte, que les valets de limiers distribueront à leurs chiens ; les épaules, les petits filets, le cimier, les grands filets, les feuillets, & les nombres. On a conservé le sang ; on a deux ou trois seaux de lait ; on coupe la panse & les boyaux nettoyés avec le reste de la ratte & du foie ; on mêle le tout avec le sang, le lait, & du pain : en hyver qu’on a peu de lait, on y substitue du sain-doux. On verse la moüée sur la nappe, on la remue, alors la curée est prête. Reste le coffre du cerf & les petits boyaux qu’on appelle le forhu. On met le coffre sur une place herbue à quelque distance de la moüée, & le forhu sur une fourche de bois émoussée. Enfin on abandonne les chiens à la moüée, & ensuite au coffre, puis au forhu, non sans avoir sonné toutes ces manœuvres. On sonne en dernier lieu la retraite. Nos ayeux exécutoient toutes les parties, tant de la chasse que de la curée, avec autant & plus de cérémonies qu’on n’en fait dans aucune occasion importante. Ils chassoient un cerf à peu près comme ils attaquoient une femme, & il étoit presqu’aussi humiliant pour eux d’échoüer dans l’une de ces entreprises que dans l’autre. Le goût de la chasse du cerf s’est augmenté parmi nous ; quant au cérémonial qui l’accompagnoit, il a presqu’entierement disparu, & la chasse ne s’en fait pas plus mal.

La partie la meilleure à manger du cerf, est le cou avec les trois côtes qui en sont les plus proches ; le reste est dur & indigeste. Les petits cerfs, lactantes, sont les meilleurs ; puis ceux d’un an, adolescentes ; ensuite ceux de deux ans, juvenes ; passé ce tems ils sont durs & mal-sains. On dit aussi que leur chair est un mauvais aliment pendant l’été, parce qu’ils se nourrissent de serpens & de reptiles, ce que peu de gens croyent.