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du total. On permit ensuite de donner trois onces, tant pour la mere que pour les enfans, ce qui fut étendu jusqu’à six onces ; & on leur accorda deux onces ab intestat, dont la mere auroit une portion virile, le tout dans le cas où il n’y auroit ni enfans ni femme légitimes.

Les enfans procréés des concubines n’étoient pas soûmis à la puissance paternelle, & n’étoient ni légitimes ni héritiers de leur pere, si ce n’est dans le cas où il n’avoit point d’autres enfans légitimes ; ils ne portoient pas le nom de leur pere, mais on ne les traitoit pas de spurii, comme ceux qui étoient les fruits de la débauche ; ils portoient publiquement le nom de leur mere & le surnom de leur pere ; & quoiqu’ils ne fussent point de la famille paternelle, leur état n’étoit point honteux, & ils n’étoient point privés du commerce des autres citoyens.

Le concubinage, tel qu’on vient de l’expliquer, fut long-tems autorisé chez les Romains : on ne sait pas bien certainement par qui il fut aboli ; les uns disent que ce fut Constantin le grand, d’autres que ce fut l’empereur Léon ; tous deux en effet eurent part à ce changement.

Constantin le grand commença à restraindre indirectement cet usage, en ordonnant aux citoyens d’épouser les filles qu’ils auroient eues auparavant pour concubines ; & que ceux qui ne voudroient pas se conformer à cette ordonnance, ne pourroient avantager leurs concubines, ni les enfans naturels qu’ils auroient eu d’elles.

Valentinien adoucit cette défense, & permit de laisser quelque chose aux enfans naturels.

Ceux qui épouserent leurs concubines suivant l’ordonnance de Constantin, légitimerent par ce moyen leurs enfans comme l’empereur leur en avoit accorde le privilége.

Justinien donna le même effet au mariage subséquent ; mais le concubinage n’étoit point encore aboli de son tems : on l’appelloit encore licita consuetudo, & il étoit permis à chacun d’avoir une concubine.

Ce fut l’empereur Léon qui défendit absolument le concubinage par sa novelle 91. laquelle ne fut observée que dans l’empire d’Orient. Dans l’Occident le concubinage continua d’être fréquent chez les Lombards & les Germains ; il fut même long-tems en usage en France.

Le concubinage est encore usité en quelques pays, où il s’appelle demi-mariage, ou mariage de la main gauche, mariage à la Morganatique ces sortes de mariages sont communs en Allemagne, dans les pays ou l’on suit la confession d’Ausbourg.

Suivant le droit canon, le concubinage, & même la simple fornication, sont expressément défendus : Hæc est voluntas Domini, dit S. Paul aux Thessaloniciens, ut abstineatis à fornicatione ; & S. Augustin, distinct. 24. Fornicari vobis non licet, sufficiant vobis uxores ; & si non habetis uxores, tamen non licet vobis habere concubinas. Ducange observe que suivant plusieurs épîtres des papes, les concubines paroissent avoir été autrefois tolérées ; mais cela se doit entendre des mariages, lesquels quoique moins solennels, ne laissoient pas d’être légitimes. C’est aussi dans le même sens que l’on doit prendre le dix-septieme canon du premier concile de Tolede, qui porte que celui qui avec une femme fidele a une concubine, est excommunié ; mais que si la concubine lui tient lieu d’épouse, de sorte qu’il n’ait qu’une seule femme à titre d’épouse ou concubine à son choix, il ne sera point rejetté de la communion. Quelques auteurs prétendent qu’il en étoit de même des concubines de Clovis, de Théodoric, & de Charlemagne ; que c’étoient des femmes épousées moins solennellement, & non pas des maîtresses.

Comme les ecclésiastiques doivent donner aux

autres l’exemple de la pureté des mœurs, le concubinage est encore plus scandaleux chez eux que dans les laïcs. Cela arrivoit peu dans les premiers siecles de l’Église ; les prétres étoient long-tems éprouvés avant l’ordination ; les clercs inférieurs étoient la plûpart mariés.

Mais dans le dixieme siecle la concubinage étoit si commun & si public, même chez les prêtres, qu’on le regardoit presque comme permis, ou au moins toléré.

Dans la suite on fit plusieurs lois pour réprimer ce desordre. Il fut défendu au peuple d’entendre la messe d’un prêtre concubinaire ; & on ordonna que les prêtres qui seroient convaincus de ce crime, seroient déposés.

Le concile provincial de Cologne, tenu en 1260, dénote pourtant que le concubinage étoit encore commun parmi les clercs.

Cet abus régnoit pareillement encore parmi ceux d’Espagne, suivant le concile de Valladolid, tenu en 1322, qui prononce des peines plus grieves contre ceux dont les concubines n’étoient pas Chrétiennes.

Le mal continuant toûjours, la rigueur des peines s’est adoucie.

Suivant le concile de Bâle, les clercs concubinaires doivent d’abord être privés pendant trois mois des fruits de leurs bénéfices, après lequel tems ils doivent être privés des bénéfices mêmes, s’ils ne quittent leurs concubines ; & en cas de rechûte, ils doivent être déclarés incapables de tous offices & bénéfices ecclésiastiques pour toûjours.

Ce decret du concile de Bâle fut adopté par la pragmatique-sanction, & ensuite compris dans le concordat.

Le concile de Trente a encore adouci la peine des clercs concubinaires ; après une premiere monition, ils sont seulement privés de la troisieme partie des fruits ; après la seconde, ils perdent la totalité des fruits, & sont suspendus de toutes fonctions ; après la troisieme, ils sont privés de tous leurs bénéfices & offices ecclésiastiques, & déclarés incapables d’en posséder aucun ; en cas de rechûte, ils encourent l’excommunication.

En France, le concubinage est aussi regardé comme une débauche contraire à la pureté du Christianisme, aux bonnes mœurs, non-seulement par rapport aux clercs, mais aussi pour les laïcs : c’est un délit contraire à l’intérêt de l’état. Reipublicæ enim interest legitima sobole repleri civitatem.

Si les ordonnances n’ont point prononcé directement de peine contre ceux qui vivent en concubinage, c’est que ces sortes de conjonctions illicites sont le plus souvent cachées, & que le ministere public n’a pas coûtume d’agir pour réprimer la débauche, à moins qu’elle n’occasionne un scandale public.

Mais nos lois réprouvent toutes donations faites entre concubinaires : c’est la disposition des coûtumes de Tours, art. 246. Anjou, 342. Maine, 354. Grandperche, art. 150. Lodunois, ch. xxv. art. 10. Cambrai, tit. iij. art. 7. Celle de Normandie, art. 437 & 438, défend même de donner aux bâtards.

La coûtume de Paris n’en parle pas : mais l’article 282 défendant aux mari & femme de s’avantager, à plus forte raison ne permet-elle pas de le faire entre concubinaires qui sont moins favorisés, & entre lesquels la séduction est encore plus à craindre.

L’ordonnance du mois de Janvier 1629, art. 132. défend toutes donations entre concubinaires.

Conformément à cette ordonnance, toutes donations de cette nature faites entrevifs ou par testament, sont nulles, ou du moins réductibles à de simples alimens ; car on peut donner des alimens à une concubine, & aux enfans naturels ; on accorde mê-