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les expressions métaphoriques doivent être liées entr’elles de la même maniere qu’elles le seroient dans le sens propre. On a reproché à Malherbe d’avoir dit,

Prends ta foudre, Louis, & va comme un lion.

Il falloit dire, comme Jupiter : il y a disconvenance entre foudre & lion.

Dans les premieres éditions du Cid, Chimene disoit,

Malgré des feux si beaux qui rompent ma colere.


Feux & rompent ne vont point ensemble ; c’est une disconvenance, comme l’académie l’a remarqué. Ecorce se dit fort bien dans un sens métaphorique, pour les dehors, l’apparence des choses ; ainsi l’on dit que les ignorans s’arrêtent à l’écorce, qu’ils s’amusent a l’écorce. Ces verbes conviennent fort bien avec écorce pris au propre ; mais on ne diroit pas au propre, fondre l’écorce : fondre se dit de la glace ou du métal. J’avoue que fondre l’écorce m’a paru une expression trop hardie dans une ode de Rousseau :

Et les jeunes zéphirs par leurs chaudes haleines
Ont FONDU l’ÉCORCE des eaux. l. III. ode 6.

Il y a un grand nombre d’exemples de disconvenances de mots dans nos meilleurs écrivains, parce que dans la chaleur de la composition on est plus occupé des pensées, qu’on ne l’est des mots qui servent à énoncer les pensées.

On doit encore éviter les disconvenances dans le style, comme lorsque traitant un sujet grave, on se sert de termes bas, ou qui ne conviennent qu’au style simple. Il y a aussi des disconvenances dans les pensées, dans les gestes, & c.

Singula quæque locum teneant sortita decenter.
Ut ridentibus arrident, ita flentibus adsunt
Humani vultus. Si vis me flere, dolendum est
Primum ipse tibi, & c. Horat. de Arte poët. (F)

Disconvenance, correlatif de convenance. Voy. l’article Convenance.

DISCORDANT, adj on appelle ainsi en Musique, tout instrument qui n’est pas bien d’accord, toute voix qui chante faux, tout son qui n’est pas avec un autre dans le rapport qu’ils doivent avoir. (S)

DISCORDE, s. f. (Mythol.) les Peintres & les Sculpteurs la représentent ordinairement coëffée de serpens au lieu de cheveux, tenant une torche ardente d’une main, une couleuvre ou un poignard de l’autre, le teint livide, le regard farouche, la bouche écumante, les mains ensanglantées, avec un habit en desordre & déchiré. Tous nos poëtes modernes, anglois, françois, italiens, ont suivi ce tableau dans leurs peintures, mais sans avoir encore égalé la beauté du portrait qu’en fait Pétrone dans son poëme de la guerre civile de César & de Pompée, vers 272 & suiv. tout le monde le connoît :

Intremuêre tubæ, ac scisso discordia crine
Extulit ad superos stygium caput.... &c.

Et quand Homere dans la description de cette déesse (Iliade, liv. IV. vers 445) la dépeint comme ayant

La tête dans les cieux, & les piés sur la terre,


Cette grandeur qu’il lui donne, est moins la mesure de la discorde, que de l’élévation de l’esprit d’Homere, comme la description de la renommée, Ænæïd. jv. l’est pour Virgile. Art. de M. le Chevalier de Jaucourt.

DISCOURS, (Belles-Lett.) en général se prend pour tout ce qui part de la faculté de la parole, & est dérivé du verbe dicere, dire, parler ; il est genre par rapport à discours oratoire, harangue, oraison.

Discours, dans un sens plus strict, signifie un assemblage

de phrases & de raisonnemens réunis & disposés suivant les regles de l’art, préparé pour des occasions publiques & brillantes : c’est ce qu’on nomme discours oratoire ; dénomination générique qui convient encore à plusieurs especes, comme au plaidoyer, au panégyrique, à l’oraison funebre, à la harangue, au discours académique, & à ce qu’on nomme proprement oraison, oratio, telles qu’on en prononce dans les colleges. (G)

Le plaidoyer est ou doit être l’application du droit au fait, & la preuve de l’un par l’autre : le sermon, une exhortation à quelque vertu, ou le développement de quelque vérité chrétienne ; le discours académique, la discussion d’un trait de morale ou de littérature ; la harangue, un hommage rendu au mérite en dignité ; le panégyrique, le tableau de la vie d’un homme recommandable par ses actions & par ses mœurs. Chez les Egyptiens les oraisons funebres faisoient trembler les vivans, par la justice sévere qu’elles rendoient aux morts : à la vérité les prêtres égyptiens loüoient en présence des dieux un roi vivant, des vertus qu’il n’avoit pas ; mais il étoit jugé après sa mort en présence des hommes, sur les vices qu’il avoit eus. Il seroit à souhaiter que ce dernier usage se fût répandu & perpétué chez toutes les nations de la terre : le même orateur loüeroit un roi d’avoir eu les vertus guerrieres, & lui reprocheroit de les avoir fait servir au malheur de l’humanité ; il loüeroit un ministre d’avoir été un grand politique, & lui reprocheroit d’avoir été un mauvais citoyen, &c. Voyez Éloge. M. Marmontel.

Les parties du discours, selon les anciens, étoient l’exorde, la proposition ou la narration, la confirmation ou preuve, & la peroraison. Nos plaidoyers ont encore retenu cette forme ; un court exorde y précede le récit des faits ou l’énoncé de la question de droit ; suivent les preuves ou moyens, & enfin les conclusions.

La méthode des scholastiques a introduit dans l’éloquence une autre sorte de division qui consiste à distribuer un sujet en deux ou trois propositions générales, qu’on prouve séparément en subdivisant les moyens ou preuves qu’on apporte pour l’éclaircissement de chacune de ces propositions : de-là on dit qu’un discours est composé de deux ou trois points. (G)

La premiere de ces deux méthodes est la plus générale, attendu qu’il y a peu de sujets où l’on n’ait besoin d’exposer, de prouver & de conclure ; la seconde est reservée aux sujets compliqués : elle est inutile dans les sujets simples, & dont toute l’étendue peut être embrassée d’un coup d’œil. Une division superflue est une affectation puérile. Voyez Division. M. Marmontel.

Le discours, dit M. l’abbé Girard dans ses synonymes françois, s’adresse directement à l’esprit ; il se propose d’expliquer & d’instruire : ainsi un académicien prononce un discours, pour développer ou pour soûtenir un système ; sa beauté est d’être clair, juste & élégant. Voyez Diction, & c.

Accordons à cet auteur que ses notions sont exactes, mais en les restreignant aux discours académiques, qui ayant pour but l’instruction, sont plûtôt des écrits polémiques & des dissertations, que des discours oratoires. Il ne fait dans sa définition nulle mention du cœur, ni des passions & des mouvemens que l’orateur doit y exciter. Un plaidoyer, un sermon, une oraison funebre, sont des discours, & ils doivent être touchans, selon l’idée qu’on a toûjours eue de la véritable éloquence. On peut même dire que les discours de pur ornement, tels que ceux qui se prononcent à la reception des académiciens, ou les éloges académiques, n’excluent pas toute passion ; qu’ils se proposent d’en exciter de douces, telles