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le cou de la cornue, mais il faut avoir soin de ne pas toucher au corps de ce vaisseau.

Au reste, l’artiste doit toûjours se souvenir que les vaisseaux de verre ne souffrant point le passage soudain d’un certain degré de froid à un certain degré de chaleur, & réciproquement, on apprend par l’exercice à évaluer l’extension dans laquelle on peut sans péril leur faire éprouver des alternatives de froid & de chaud. Le balon échauffé par les produits les plus chauds des distillations ordinaires, soûtient fort bien l’application d’un linge en quatre doubles, trempé dans de l’eau froide, & légerement exprimé. On peut rafraîchir sans précaution les vaisseaux de métal.

Outre ces regles majeures que nous avons données pour des corollaires pratiques de notre théorie de la distillation ; il faut encore que le distillateur sache :

Premierement, que puisqu’il doit opérer dans des vaisseaux fermés, & que son appareil est composé de plusieurs pieces, il doit lutter exactement toutes les jointures des vaisseaux auxquelles les vapeurs peuvent parvenir. Voyez Lut & Lutter. Nous restraignons ainsi l’obligation de lutter, parce qu’elle n’a point lieu pour les jointures des vaisseaux que les vapeurs ne peuvent atteindre, comme celle du récipient & du bec du serpentin dans la distillation de l’eau-de-vie, &c.

Secondement, qu’il faut cependant laisser un peu de jour, ménager une issue à une partie des vapeurs (parce qu’il seroit très-difficile de rafraîchir assez, pour condenser & retenir toutes ces vapeurs dans des vaisseaux fragiles), à une partie des vapeurs, dis-je, & à l’air dégagé de la plûpart des corps distillés, & dont on ne peut, ni ne veut retenir aucune portion dans les appareils ordinaires. Les anciens Chimistes ne s’étoient pas avisés de la nécessité de ménager cette issue ; ils ont tous recommandé de fermer exactement, & ils l’ont fait autant qu’il a été en eux : mais heureusement ils n’ont pas sû lutter ; & c’est l’impuissance où ils étoient d’observer leur propre regle qui les a sauvés, sans qu’ils s’en doutassent, des inconvéniens qu’elle entrainoit. Nous qui luttons très-bien, nous faisons un petit trou au récipient, dans tous les cas où il importe de fermer exactement toutes les jointures des vaisseaux. C’est ici une invention moderne, dont l’auteur est inconnu. Au reste, il vaut mieux bien lutter, & avoir un récipient percé, que de lutter moins bien, & avoir des vaisseaux sans ouverture ; parce qu’on est maître d’un petit trou pratiqué à dessein, & qu’on ne l’est pas des pores & des crevasses d’un mauvais lut. La maniere ordinaire de gouverner le petit trou du balon, c’est de ne l’ouvrir que de tems en tems, toutes les cinq ou six minutes, plus ou moins, selon la vivacité du souffle qui en sort à chaque fois qu’on l’ouvre. Je crois qu’il est mieux, dans la plûpart des cas, de le laisser toûjours ouvert : 1°. parce qu’on risque moins la fracture des vaisseaux : 2°. parce qu’on ne perd pas davantage, peut-être moins.

Troisiemement, que les vaisseaux doivent être toûjours choisis d’une matiere convenable, pour que les corps à distiller, ou les produits de la distillation, ne les attaquent point, ou n’en soient point altérés ; & dans quelques cas particuliers, pour qu’on puisse rafraîchir commodément. Voyez Vaisseau.

Quant à l’art de gouverner le feu dans la distillation, c’est-là l’abc de l’artiste. Voyez Feu.

Dans la distillation, on évalue le degré de feu par ses effets : la quantité de vapeurs qui se manifestent par l’obscurcissement du balon, par sa chaleur, par la violence du souffle qui sort du petit trou, &c. annonce un feu fort : la fréquence des gouttes qui tombent du bec de la cornue, ou de celui du chapiteau ;

un ruisseau de liqueurs tombant d’un chapiteau, ou d’un serpentin, annonce la même chose : le feu doux est annoncé par les signes contraires : le degré moyen, & le plus propre au plus grand nombre de distillation, est annoncé par un petit ruisseau continu de liqueur, dans les cas de distillation droite, où l’on employe le serpentin, ou le grand chapiteau à refrigérant ; & dans les cas ordinaires de distillation latérale, & dans quelques distillations droites, par la chaleur médiocre du balon, le souffle modéré du petit trou, & la succession des gouttes dans un intervalle tel qu’on peut compter huit pulsations d’artere entre deux gouttes, ou articuler posément le nom des nombres jusqu’à huit : un, deux, trois, quatre, &c.

On trouvera dans les articles particuliers des différens sujets de la distillation, quelques manœuvres particulieres.

La rectification & la cohobation sont des especes de distillation. Voyez Cohobation & Rectification. (b)

DISTINCTE, (base) en Optique, est le nom que donnent quelques auteurs à la distance où il faut que soit un plan au-delà d’un verre convexe, pour que l’image des objets reçûe sur ce plan paroisse distincte ; de sorte que la base distincte est la même chose que ce qu’on appelle foyer : car imaginons un objet éloigné qui envoye des rayons sur un verre convexe, ces rayons se réuniront à-peu-près au foyer du verre ; & si on veut recevoir sur un papier l’image de cet objet, ce sera au foyer qu’il faudra placer le papier pour que l’image soit distincte. Voyez Foyer.

La base distincte est donc produite par la réunion qui se fait des rayons partis d’un seul point d’un objet, & concourant en un seul point de l’image ; & c’est pour cela que les verres concaves, qui, au lieu de réunir les rayons, les écartent, ne peuvent point avoir de base distincte réelle. Voyez Concave. (O)

DISTINCTION, s. f. (Métaph.) La distinction en général est la négation d’identité. Ainsi une chose est distinguée d’une autre, dès-là qu’elle n’est pas la même. Il y a une grande différence entre distinction, séparation, & diversité. Car, par exemple, le corps & l’ame sont distingués, & cependant ils ne sont pas séparés dans l’homme : Pierre & Paul sont distingués, encore qu’ils n’ayent pas une différente nature. La distinction est précisément la négation d’identité, comme nous venons de le voir ; au lieu que la séparation est la négation d’unité, & la diversité la négation de similitude.

Les Philosophes sont fort embarrassés pour assigner une marque caractéristique de la distinction des êtres. Les uns assignent la capacité que les êtres ont d’être séparés mutuellement ; les autres la font consister dans tout ce qui exclut l’unité numérique. Mais comment concilier cela avec la Trinité & la reproduction du corps de J. C. dans l’Eucharistie ; ces deux mysteres qui étonnent & confondent notre raison ?

La distinction est une source féconde de disputes entre les Thomistes & les Scotistes. Où les premiers ne découvrent qu’un être, les seconds ont le secret d’y en appercevoir une infinité. La grande maxime des Scotistes, c’est de multiplier les êtres à mesure qu’ils multiplient les idées. Or comme il n’y a point d’être, quelque simple qu’il soit, qui n’offre une foule d’idées partielles ; aussi n’y a-t-il point d’être où ils ne découvrent une infinité d’êtres distingués. Dieu, tout simple qu’il est, est donc pour les Scotistes un être des plus composés. Autant d’attributs, autant d’êtres distingués réellement. Il n’y a pas jusqu’aux idées abstraites de leur esprit qu’ils ne réalisent. Les genres, les especes, les différences, les propriétés,