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me est aisé à resoudre, puisqu’il consiste à faire ensorte que le fil noir du chariot soit au nombre des fils blancs qui passent sur les roüets, comme la vîtesse du chariot doit être à celle du quarré. On s’apperçoit bien que nous avons recommandé de mettre un fil noir au chariot, & un fil blanc au quarré, pour qu’on pût reconnoître plus aisément à qui appartient le fil qui molliroit.

Autre mauvaise pratique des Cordiers. Quand le quarré n’est pas rendu aux 120 brasses, qui est la longueur que je suppose que l’on veut donner à la piece de cordage, quoique le toupin touche aux palombes, il y a des Cordiers qui continuent de faire virer la manivelle du quarré, pendant que les manuelles du chantier restent immobiles ; ils tordent ainsi la piece de cordage qui se raccourcit, & ne comptent leurs pieces bien commises que quand le quarré est rendu aux 120 brasses qu’ils veulent donner à leur piece ; ils prétendent donner par-là plus de grace à leur cordage, & faire qu’il se roue plus aisément : mais ils sont mal fondés à le penser.

Détacher la piece & la faire rasseoir. Quand le maître cordier voit que sa piece est précisément de la longueur qu’il s’est proposé de la faire ; quand il pense qu’elle est suffisamment tortillée, qu’elle a toute sa perfection, & qu’elle est en état d’être livrée au magasin des cordages, il fait arrêter la manivelle du quarré, il fait lier avec un fil de carret goudronné, & le plus serré qu’il le peut, les trois torons les uns avec les autres, tant auprès du toupin qu’auprès de la manivelle du quarré, afin que les torons ne se séparent pas les uns des autres : on détache ensuite la piece, tant de la grande manivelle du quarré que des palombes, & or la porte sur des chevalets qui sont rangés à dessein le long du mur de la corderie, ou sur des piquets qui y ont été scellés pour cet usage. On travaille une autre piece de cordage, & pendant ce tems-là celle qui vient d’être commise se rasseoit, comme disent les ouvriers, c’est-à-dire que les fils prennent le pli qu’on leur a donné en les commettant ; & à la fin de la journée on roüe toutes les pieces qui ont été commises.

Roüer. Il faut de nécessité plier les cordages pour les conserver dans les magasins ; ceux qui sont fort gros, comme les cables, se portent tout entiers par le moyen de chevalets à rouleau, ou sur l’épaule : on les place en rond dans le magasin sur des chantiers. A l’égard des cordages de moindre grosseur, on les roüe dans la corderie, c’est-à-dire qu’on en fait un paquet qui ressemble à une roüe, ou plûtôt à une meule. Il faut expliquer comment on s’y prend pour cela.

Le maître cordier commence par lier ensemble deux bouts de corde d’étoupe, d’une longueur & d’une grosseur proportionnées à la grosseur du cordage qu’on veut roüer ; mais cette corde doit être très-peu tortillée, pour qu’elle soit fort souple : ces deux cordes ainsi réunies s’appellent une liasse. On pose cette liasse à terre, de façon que les quatre bouts fassent une croix ; ensuite mettant le pié sur l’extrémité de la corde qu’on veut roüer, on en forme un cercle plus ou moins grand, suivant la flexibilité & la grosseur de la corde, & on a soin que le nœud de la liasse se trouve au centre de ce cercle de corde. Quand la premiere révolution est achevée, on lie avec un fil de carret le bout de la corde avec la portion de la corde qui lui répond ; & cette premiere révolution étant bien assujettie, on l’enveloppe par d’autres qu’on serre bien les unes contre les autres, en halant seulement dessus, si la corde est menue & n’est point trop roide ; ou à coups de maillet, si elle ne veut pas obéir aux simples efforts des bras. On continue à ajoûter des révolutions jusqu’à ce qu’on ait formé une espece de bourlet en spirale, qui ait

un pié, un pié & demi, deux piés ou plus de largeur, suivant que la corde est plus ou moins grosse ou longue. Ce premier rang de spirale fait, on le recouvre d’un autre tout semblable, excepté qu’on commence par la plus grande révolution, & qu’on finit par la plus petite ; au troisieme rang on commence par la plus petite, & on finit par la plus grande ; au quatrieme on commence par la grande, & on finit par la petite : ce que l’on continue alternativement jusqu’à ce que le cordage soit tout roüé. Alors on prend les bouts de la liasse qui sont à la circonférence de la meule de cordages, on les passe dans la croix que forme la liasse au milieu de la meule ; & halant sur les quatre bouts à la fois, on serre bien toutes les révolutions les unes contre les autres. Quand on a arrêté les bouts de la liasse, & que la meule est bien assujettie, on la peut porter sur l’épaule, ou passer dans le milieu un levier pour la porter à deux ; on peut aussi la rouler, si la grosseur & le poids de la piece le demandent : car on n’a point à craindre que la meule se défasse. Le bitord, le lusin & le merlin sont trop flexibles pour être roüés ; on a coûtume de les dévider sur une espece de moulinet en forme d’écheveau, qu’on arrête avec une commande, ou, comme disent les tisserands, avec une centaine. Tous les soirs on porte les pieces qui ont été fabriquées, dans le magasin des cordages, où l’écrivain du Roi, qui en a le détail, les passe en recette après les avoir fait peser ; & cette recette doit quadrer avec la consommation qui a été faite au magasin des tourets, parce que dans cette opération il n’y a point de déchet. Le tord qu’on fait prendre aux pieces de cordage, lorsque le toupin est rendu auprès de l’attelier, après qu’elles sont commises, fait qu’elles se roüent plus aisément. Ce tortillement qui ne résulte point de la force élastique des torons, & qui est uniquement produit par la grande manivelle du quarré, donne à toute la piece un degré de force élastique qui fait que, si on la plioit en deux, elle se rouleroit, ou, ce qui est la même chose, les deux portions de cette corde pliée se commettroient un peu ; or cette force élastique qui donne aux cordes cette disposition à se rouler, fait aussi qu’elles se roüent plus aisément. Ceux qui prendront la peine de roüer une piece de cordage qui a reçû le tortillement dont nous venons de parler, en concevront aisément la raison ; c’est pourquoi nous ne nous y arrêterons pas davantage : il nous suffira de faire remarquer que ce petit avantage doit être négligé, à cause des inconvéniens dont nous allons parler.

Il convient de faire remarquer que sur les vaisseaux on roüe différemment les cordages ; car on commence toûjours par la plus petite révolution, soit au premier, soit au second, soit au troisieme rang, jusqu’au bout de la corde. Cette pratique est préférée à bord des vaisseaux, parce que les cordages prennent moins de coques, & on l’appelle roüer à la hollandoise.

Nous avons observé en parlant du bitord, que le tortillement qui étoit produit par l’élasticité des torons, ne pouvoit pas se perdre ; mais que celui qui ne résultoit pas de cette élasticité, étoit semblable au tortillement d’un fil de carret, qui se détruit presqu’entierement si-tôt qu’on abandonne ce fil à lui-même. Assûrément le tortillement que les cordiers donnent à leurs pieces de cordage, quand elles sont commises, est dans ce cas. Il est donc certain que ce tortillement se perdra tôt ou tard par le service, d’où on peut déjà conclure qu’il est inutile. Ce tortillement ne laisse pas de subsister quelque tems dans les pieces à qui on l’a donné, ce qui produit une grande disposition à prendre des coques ; c’est un défaut considérable pour les manœuvres qui doivent courir dans les poulies. Si le tortillement dont nous parlons subsistoit