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petite. Quand la petite carde aura recueilli tout le coton de la grande, sans le plier ni le rompre, les filamens qui le composent auront tous été separés les uns des autres dans le courant de cette manœuvre, & il se trouvera en état d’être mis sur les quenouilles pour être filé.

Les quenouilles sont les cardes mêmes, & l’opération consiste à faire passer le coton de la petite carde sur la grande, s’attachant principalement à l’y distribuer également & legerement. Lorsque tout le coton est sur la grande carde, on examine au jour s’il n’y a point d’inégalités : s’il y en a, on se sert de la petite carde pour les enlever ; & ce qu’elle prend de coton dans ces derniers coups, suffit pour la charger & la faire servir elle-même de quenouille comme la grande.

Le coton est alors si facile à filer, que la manœuvre du filage devient une espece de devidage ; & le fil qui proviendra du coton ainsi préparé, sera propre pour toute sorte de toile. L’écheveau pesera depuis vingt jusqu’à trente grains, selon l’adresse de la fileuse. Au demeurant il est à-propos de savoir qu’un écheveau de coton contient toûjours 200 aunes de fil, que le numéro qu’il porte est le poids de ces 200 aunes ; ainsi que quand il s’agira d’un fil pesant 20 grains, il faudra entendre un écheveau de 200 aunes de ce poids : d’où l’on voit que plus le poids de l’écheveau est petit, la longueur du fil demeurant la même, plus il faut que le fil ait été filé fin ; pour l’obtenir très-fin, il faut étouper le coton.

Les ouvrages faits avec les cotons dont nous avons parlé, sont mousseux, parce que les bouts des filamens du coton paroissent sur les toiles ou estames qui en sont faites : c’est cette espece de mousse qui a fait donner le nom de mousseline à toutes les toiles de coton fines qui nous viennent des Indes, qui en effet ont toutes ce duvet. Pour réformer ce défaut, qui est considérable dans les estames & dans les mousselines très-fines, il faut séparer du coton tous les filamens courts qui ne peuvent être pris en long dans le tors du fil, qui lui donnent de la grosseur sans lui donner de la liaison. C’est ce qu’on appelle étouper.

Etouper le coton. Choisissez les plus belles gousses du coton de Siam blanc, qui ayent la soie fine & longue ; charpissez-les, & les démêlez sur les cardes au point d’être mis sur les quenouilles ; que votre coton soit partagé entre vos deux cardes : alors vous tournez les deux cardes du même sens, & posez les dents de l’une sur les dents de l’autre, les engageant legerement & de maniere que les bouts du coton qui sortent des cardes se réunissent. Voyez Pl. II. fig. 4. Fermez la main droite, saisissant entre le pouce & l’index tous ces bouts de coton que vous tirerez hors de la carde & sans lâcher prise ; portez ce que vous aurez saisi sur la partie de la grande carde qui restera découverte, comme vous voyez même figure ; afin seulement d’en peigner les extrémités en les passant dans les dents. Posez ensuite ce coton sur quelque objet rembruni, qui vous donne la facilité de le voir & de l’arranger ; continuez cette opération jusqu’à ce que vous ayez tiré tout le coton qui vous paroîtra long ; peignez derechef ce qui restera dans les cardes, & recommencez la même opération. Après cette seconde reprise, ce qui ne sera pas tiré sera l’étoupe du coton, & ne pourra servir à des ouvrages fins.

Lustrer le coton. Voulez-vous approcher encore davantage de la perfection, & donner du lustre à votre coton ; faites de ce coton tiré des cardes dans l’étoupage, de petits flocons gros comme une plume, rassemblant les filamens longitudinalement, & les tordant entre les doigts, comme vous voyez fig. 1. Planc. III. assez fortement, en commençant par le milieu, comme si vous en vouliez faire un cordon ;

que ce tors se fasse sentir d’un bout à l’autre du flocon. Quand vous viendrez ensuite à le détordre, vous vous appercevrez que le coton se sera allongé, & qu’il aura pris du lustre comme la soie. Si vous voulez charpir un peu ce coton & le tordre une seconde fois, il n’en sera que plus beau. Voyez, Pl. II. fig. 5. & 6. deux flocons ; l’un, fig. 5. lustré une premiere fois ; & l’autre, fig. 6. lustré une seconde fois. Pour le filer, on le met sur les quenouilles comme le coton non lustré, observant de les charger peu si l’on veut filer fin. Le fil du coton ainsi préparé, sert à faire des toiles très-fines & des bas qui surpassent en beauté ce qu’on peut imaginer ; ils ont l’avantage d’être ras & lustrés comme la soie. Le fil sera filé fin, au point que l’écheveau pourra ne peser que huit ou dix grains ; mais il y a plus de curiosité que d’utilité à cette extrême finesse.

Le détail de toutes ces opérations, dit M. Jore dans des mémoires très-circonstanciés & très-clairs, d’après lesquels nous donnons cette manœuvre (comme si cet homme sensé eût prévû les objections qu’il avoit à craindre de la futilité de je ne sais quelle petite espece de lecteurs) ; le détail de toutes ces opérations paroîtra peut-être minutieux : mais si les objets sont petits, la valeur n’en est pas moins considérable. Un gros de coton suffit pour occuper une femme tout un jour, & la faire subsister ; une once fait une aune de mousseline, qui vaut depuis 12 livres jusqu’à 24 livres, suivant la perfection ; une paire de bas pesant une once & demie deux onces, vaut depuis 30 livres jusqu’à 60 & 80 livres. Il n’y a nul inconvénient pour la fileuse à employer deux heures de son tems à préparer le coton qu’elle peut filer en un jour ; puisque c’est de cette attention que dépend la solidité du fil, la célérité dans les autres opérations, & la perfection de tous les ouvrages qu’on en peut faire. L’habitude rend cet ouvrage très-courant.

Mêler des cotons de différentes sortes. On a dit que le beau coton de Saint-Domingue pouvoit être employé à certains ouvrages, & sur-tout qu’on le mêloit avantageusement. Employé seul, on en fileroit du fil pesant 72 grains, qui serviroit en chaîne pour des toiles qu’on voudroit brocher sur le métier, ou pour des mouchoirs de couleur. En le mêlant par moitié avec des cotons fins, le fil pesera 54 à 50 grains, & sera propre à tramer les toiles & mouchoirs dont nous venons de parler, & à faire des toiles fines qu’on pourra peindre. En mêlant trois quarts de coton fin avec un quart de coton de Saint-Domingue bien préparé & lustré, on en pourra faire les rayures des mousselines rayées, des mousselines claires & unies, & le fil en pesera 36 à 30 grains. Ce mêlange se fait dans la premiere opération, lorsque le fil est en flocons ; on met sur la carde tant de flocons d’une telle qualité, & tant d’une autre, suivant l’usage qu’on en veut faire. Les Indiens ne connoissent point ces mêlanges. La diversité des especes que la nature leur fournit, les met en état de satisfaire à toutes les fantaisies de l’art. Au reste, les préparations qu’ils donnent à leurs cotons, n’ont nul rapport avec ce qui vient d’être dit ci-dessus. Voyez la vingt-deuxieme des Lettres édifiantes. Leur coton recueilli, ils le séparent de la graine par deux cylindres de fer, qui roulent l’un sur l’autre ; ils l’étendent ensuite sur une natte, & le battent pendant quelque tems avec des baguettes ; puis, avec un arc tendu, ils achevent de le rendre rare, en lui faisant souffrir les vibrations réitérées de la corde : c’est-à-dire qu’ils l’arçonnent. V. à l’art. Chapelier, comment ces ouvriers font subir au poil la même opération, qui le divise extraordinairement, & qui ne paroît pas peu contraire au but de l’ourdissage & de tout art où l’on tortillera des filamens ; car il est bien