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des gens qui croyoient à ces humeurs ; la mélancholie, ajoûte-t-il, qui se meut de quatre en quatre jours, fait que tous les quartenaires sont critiques. En effet, il est vraissemblable que toutes les humeurs pechent plus ou moins dans la plûpart des maladies ; ces humeurs peccantes sont celles dont la nature tâche de se défaire ; elle ne le peut si ces humeurs ne sont préparées, la coction devant toûjours précéder une bonne crise : or la coction de la mélancholie ayant besoin de quatre jours pour être parfaite, puisque la coction doit suivre les mouvemens des humeurs, il suit de-là que la crise se fera de quatre en quatre jours, c’est-à-dire dans le tems du mouvement de la mélancholie, qui étant la plus épaisse & la plus lourde des humeurs, doit pour ainsi dire entraîner toutes les autres lorsqu’elle se meut, & causer une secousse qui fait la crise.

Mais l’humeur mélancholique ne se trouve pas toûjours en même quantité, & les autres sont plus ou moins abondantes qu’elle. Ces différences font qu’elle se meut plus ou moins évidemment ou plus ou moins vîte, & qu’elle paroît suivre quelquefois le mouvement des autres humeurs ; & c’est de-là que dépendent les différentes maladies, & leurs différentes coctions ou crises : par exemple, les maladies aiguës étant occasionnées par une matiere extrèmement chaude autre que la mélancholie, leur mouvement commence dès le premier jour ; au lieu que les humeurs étant lentes & tenaces dans les maladies longues, rien ne force la melancholie à se mouvoir avant le quatrieme jour ; & elle se meut au deuxieme dans les maladies médiocres, vû le degré d’activité de la matiere qui la détermine. Si donc la mélancholie se meut dès le premier jour, les crises seront au quatrieme jour, au septieme, au dixieme, au treizieme, suivant le plus ou le moins de division des humeurs ; si la mélancholie ne se meut qu’au deuxieme jour, alors les mouvemens critiques se manifesteront au cinquieme, au huitieme, au onzieme, au quatorzieme, au dix-septieme, au vingtieme ; & enfin si la mélancholie ne se meut qu’au troisieme jour, alors le sixieme, le neuvieme, le douzieme, le quinzieme, le dix-huitieme, le vingt-unieme, le vingt-quatrieme, le vingt septieme, & le trentieme, seront les jours critiques, qui sont de trois ordres ou de trois especes dans l’opinion de Fracastor.

On voit que ce système dérange les calculs des anciens ; c’est-là aussi ce qu’on lui a opposé de plus fort ; & la plûpart des medecins qui ont succédé à Fracastor, s’en sont tenus à admettre les jours critiques à la façon de Galien, en donnant cependant pour causes des crises & des jours critiques la diversité des humeurs à cuire, la différence des tempéramens, & même l’action de la lune à laquelle on attribuoit plus ou moins de vertu : ils ont établi une de ces opinions mixtes qui sont intermédiaires entre les systèmes, ou qui sont des especes de recueils ; ressource ordinaire des compilateurs. Prosper Alpin, qu’on doit mettre dans cette classe, mérite d’être consulté, tant par rapport à ses observations précieuses, que par rapport à ses mouvemens combinés de l’atrabile & de la bile, &c.

On trouvera tous les auteurs Galénistes qui ont travaillé depuis Fracastor, occupés des mêmes questions, & suivant à-peu-près le même plan, c’est-à-dire ce que leurs prédécesseurs leur avoient appris. Dulaurens chancelier de la faculté de Montpellier, & premier medecin d’Henri IV. a été un de ceux qui ont donné un traité des plus complets & des mieux faits sur les crises : il y a dans ce traité des idées particulieres à l’auteur, qui méritent beaucoup d’attention ; & son exactitude a fait que plusieurs medecins qui ont travaillé depuis lui, se sont contentés de le copier : tel est entr’autres, pour le dire ici en passant,

le fameux Sennert : ceux qui ont dit de ce dernier que Riviere, un des plus grands medecins de son siecle, l’avoit copié & abregé, auroient pû ajoûter que le medecin françois n’a fait que reprendre au sujet des crises, ce que Sennert a pris dans Dulaurens, & que pour le reste Riviere & Sennert ont puisé dans les mêmes sources, & n’ont fait que suivre leurs prédécesseurs dans la plûpart des questions ; en cela fort ressemblans à bien des modernes qui se sont copiés les uns les autres, depuis Harvée, Vieussens, & Baglivi, jusqu’à nos jours.

Les Chimistes ayant foudroyé le Galénisme, & la plûpart des opinions répandues dans les écoles, qui avoient, à dire vrai, besoin d’une pareille secousse, la doctrine des crises se ressentit de la fougue des réformateurs. Ce fut en vain qu’Arnaud de Villeneuve qui se montre toûjours fort sage dans la pratique, se déclara pour les jours critiques, en avançant qu’on passoit les bornes de la Medecine, si on prétend aller plus loin qu’Hippocrate à cet égard. C’est en vain que Paracelse eut recours aux différens sels pour expliquer les crises : Il n’est rien, disoit Vanhelmont toûjours en colere, de plus impertinent que la comparaison qu’on a fait des crises avec un combat ; un vrai médecin doit nécessairement négliger les crises auxquelles il ne faut point avoir recours, lorsqu’on sait enlever la maladie à propos. A quoi servent tant de pénibles recherches sur les jours critiques ? Le vrai médecin est celui qui sait prévenir ou modérer la malignité des maladies mortelles, & abréger celles qui doivent être longues, en un mot empêcher les crises. J’ai, ajoûte-t-il, composé étant jeune cinq livres sur les jours critiques, & je les ai fait brûler depuis. Il y avoit déjà long-tems que la doctrine des crises avoit été combattue par des clameurs & des bons mots ; on avoit traité la medecine des anciens de méditation sur la mort. Ainsi Vanhelmont se servoit pour lors des mêmes traits lancés par des esprits non moins ardens que le sien ; & ces répétitions ne paroissent pas devoir faire regretter les livres qu’il a brûlés. Il faut pourtant convenir que les expressions ou la contenance de Vanhelmont ne peuvent que frapper tout lecteur impartial ; on est naturellement porté à approuver ou à desirer une medecine héroïque & vigoureuse qui sut résister efficacement aux maladies & les emporter d’emblée. La doctrine des crises & des jours critiques a un air de lenteur qui semble devoir ennuyer les moins impatiens, & donner singulierement à mordre aux Pyrrhoniens.

Les chimistes plus modernes, & moins ennemis des écoles que Vanhelmont, tels que Sylvius-Deleboë, & quelques autres, n’ont pas même daigné parler des crises & des jours critiques, & on les a totalement perdues de vûe, ou du moins on n’a fait qu’étendre les railleries de Vanhelmont ; il faut avoüer que la brillante théorie des chimistes, leurs spécifiques, & leurs altérans, ne pouvoient guere conduire qu’à cela : enfin les chimistes ont perdu peut-être trop tôt l’empire de la medecine qu’ils avoient arraché à force ouverte à ceux qui en étoient en possession, & qui avoient fait dans l’art une de ces grandes révolutions dont les avantages & les desavantages sont si confondus, qu’il est bien difficile de juger quels sont ceux qui l’emportent.

Baglivi parut, il consulta la nature ; il crut la trouver bien peinte dans Hippocrate : Il est inutile, s’écria-t-il, de se moquer des anciens, & de ce qu’ils ont dit des jours critiques ; laissons toutes les injures qu’on leur a dites, venons au fait. La fermentation à laquelle on convient que le mouvement du sang a du rapport, a ses lois, & son tems marqué pour se manifester ; pourquoi les dépurations du sang n’auroient-elles pas les leurs ? On observera les crises évidemment sur les paysans qui n’ont pas recours aux medecins ; & il ne faut