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toûjours purger en attendant… Les fievres inflammatoires ne se terminent heureusement qu’à certains jours fixes, comme le septieme, le quatorzieme, & vingt-unieme… On reviendra, au sept, aux délayans ; c’est un jour respectable & qui demande une suspension des grands remedes : le tems de la digestion des humeurs, ou celui de la résolution est de cinq jours, de sept, de onze, & de quatorze, ou bien de dix-huit & de vingt-un, & cela plus communément qu’au six, au neuf, au douze, au quinze… Le premier terme critique des inflammations est le septieme ; & lorsqu’elles ne peuvent y arriver, elles s’arrêtent au deuxieme & au troisieme. Habemus confitentem reum, diront les sectateurs de l’antiquité ; en faut-il davantage pour faire sentir la certitude, l’invariabilité, & la nécessité de la doctrine des anciens ? Le septieme, le quatorzieme, le vingt-unieme, sont ordinairement heureux, de l’aveu de Chirac ; le sixieme l’est moins que le septieme ; le onzieme & le quatorzieme le suivent de près : n’est-ce pas-là précisément ce que Galien & Hippocrate ont enseigné ?

A quoi se réduisent donc les efforts & les projets des medecins actifs qui prétendent diriger la Nature, puisqu’ils sont obligés de recourir au compte des jours ? la ressource qu’ils veulent se ménager par la liberté où ils disent qu’ils sont de manier & d’appliquer la saignée & les purgatifs, ne vaut pas à beaucoup près ce qu’ils imaginent. En effet, la multitude des saignées auxquelles bien des medecins semblent borner tous les secours de l’art, n’est pas bien parlante en faveur de la medecine active : on réitere souvent ce secours ou cet adminicule, il est vrai, mais les anciens tiroient plus de sang dans une seule saignée qu’on n’en tire aujourd’hui en six : on les traite de timides, ils étoient plus entreprenans que les modernes ; car quel peut être l’effet de quelques onces de sang qu’on fait tirer par jour ? la plupart de ces évacuations sont souvent comme non avenues, & heureusement elles ne sont qu’inutiles ; elles n’empêchent pas le cours des maladies. Les medecins qui saignent fréquemment & peu à la fois, attendent des crises sans le savoir ; & voilà à quoi tous leurs efforts se bornent : heureux encore de ne rien déranger, ce qui arrive dans quelques maladies, comme on veut bien l’accorder : mais il est aussi des maladies dans lesquelles le nombre des saignées n’est point indifférent ; & on nie hautement à leurs partisans, qu’ils viennent à bout de ces maladies aussi aisément qu’on pourroit le penser, en s’en rapportant à ce qu’ils avancent ; il suffit pour s’en convaincre d’opposer les modernes à eux-mêmes, ils sont partagés. Ceux qui se laissant emporter à la théorie des prétendues inflammations, ne veulent jamais qu’évacuer le sang, & qui sont sectateurs de Chirac, dont ils mêlent la pratique à la théorie legere & spécieuse de Hecquet ; ces medecins, dis-je, sont directement opposés à d’autres sectateurs du même Chirac, qui sont plus attachés à la purgation qu’à la saignée. C’est-là aujourd’hui un des grands sujets de dispute entre les praticiens ; les uns ont recours à la saignée plus souvent que Chirac même, & les autres prétendent que les purgations fréquentes sont très-préférables aux saignées : il y a même des gens qui croyent que c’est ici une dispute entre les medecins de Paris & ceux de Montpellier ; les premiers, dit-on, saignent souvent & purgent peu, & ceux de Montpellier purgent beaucoup & ne saignent presque pas. Quoi qu’il en soit, dira le partisan des anciens ou le pyrrhonien, voilà les medecins actifs divisés entr’eux sur la maniere d’agir, avant d’avoir bien démontré qu’on doit agir en effet.

D’ailleurs, ajoûteront-ils, prenez-garde que la plûpart des medecins purgeurs, qui prétendent guérir & emporter leurs maladies avec les catartiques, profitent comme les medecins saigneurs, de quelques

mouvemens legers auxquels la Nature veut bien se prêter, quoiqu’occupée au fond à conduire la maladie principale à sa fin ; ils attendent les crises sans s’en douter, comme les medecins qui font des saignées peu copieuses & réitérées : ils purgent ordinairement avec de la casse & des tamarins ; ils ont recours à des lavemens pour avoir deux ou trois selles, qui ne sont souvent que le produit de la quantité de la medecine elle-même. Quels purgatifs ! Quelle activité que celle de ces drogues ! En un mot, il est très-rare qu’elles fassent un effet de purgation bien marqué : on peut les prendre sur le pié de très-legers laxatifs ou de lavages ; & c’est à ce titre qu’heureusement ils ne dérangent pas toûjours le cours de la maladie : ainsi, que ceux qui y ont recours avec beaucoup de confiance, cessent de nous vanter leur efficacité.

Il est vrai qu’il y a quelques medecins qui semblent regarder comme des remedes de peu de conséquence, les lavages, les apozemes, les sirops, & toutes les sortes de tisannes légerement aiguisées, qu’on employe communément, sous prétexte qu’il faut toûjours tâcher d’avoir quelqu’evacution sans trop irriter. Les medecins vraiment purgeurs, & en cela fideles sectateurs des anciens, employent comme eux les remedes à forte dose ; mais ils ménagent leurs coups, ils attendent le moment favorable pour placer leurs purgatifs, c’est-à-dire qu’ils purgent au commencement d’une maladie, ou lorsque la coction est faite, à-peu-près comme les anciens eux-mêmes ; & ceux qui les verront pratiquer auront lieu d’observer que s’ils manquent l’occasion favorable, & surtout s’ils purgent violemment lorsque la Nature a affecté quelqu’organe particulier pour évacuer la matiere morbifique cuite, ils font de très-grands ravages ; c’est ce qui fait qu’ils deviennent d’eux-mêmes très-réservés, & que peu s’en faut qu’ils ne comptent les jours ainsi que les anciens.

Les mêmes sectateurs des anciens diront encore, que quelques prétentions que puissent avoir les medecins modernes non expectateurs, quoiqu’ils avancent que leurs principes sont non-seulement appuyés de l’expérience, mais encore évidens par eux-mêmes, il seroit aisé de leur faire voir qu’il en est peu qui puissent être regardés autrement que comme des hypotheses ingénieuses, ou plutôt hardies, qui, en réduisant toute la medecine à quelques possibilités & à des raisonnemens vagues, n’en ont fait que des systèmes purement rationnels très-variables, ouvrant ainsi dans un art sacré, dont l’expérience seule apprend les détours, une carriere qu’on parcourt très facilement lorsqu’on se livre au desordre de l’imagination.

Prenons pour exemple quelques-uns des principes des disciples de Chirac ; principes déjà adoptés par Freind dans ses commentaires sur les épidémies, & qui ont, à dire vrai, quelque chose de spécieux & de séduisant. Veulent-ils prouver qu’il faut saigner dans les maladies aiguës ? voici comment ils raisonnent : La nature, disent-ils, livrée à elle-même, procure des hémorrhagies du nez & des autres parties : il suit de-là qu’il est essentiel de faire des saignées artificielles pour suppléer aux saignées naturelles ; mais on ne prend pas garde que la nature suit des lois particulieres dans ses évacuations ; qu’elle choisit des tems marqués pour agir ; qu’elle affecte de faire ces évacuations par des organes, ou des parties déterminées. Comment s’est-on convaincu que l’art peut à son gré changer le lieu, le tems & l’ordre d’une évacuation ? En raisonnant sur ce principe, il n’y auroit qu’à saigner une femme qui est au point d’avoir ses regles, pour suppléer à cette évacuation ; il n’y auroit qu’à saigner une femme qui doit avoir ses vuidanges, dans la même vûe : enfin il n’y auroit qu’à saigner un homme qui a des hé-