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le délicieux des odeurs. Le repos a aussi son délice ; mais qu’est-ce qu’un repos délicieux ? Celui-là seul en a connu le charme inexprimable, dont les organes étoient sensibles & délicats ; qui avoit reçu de la nature une ame tendre & un tempérament voluptueux ; qui joüissoit d’une santé parfaite ; qui se trouvoit à la fleur de son âge ; qui n’avoit l’esprit troublé d’aucun nuage, l’ame agitée d’aucune émotion trop vive ; qui sortoit d’une fatigue douce & legere, & qui éprouvoit dans toutes les partiès de son corps un plaisir si également répandu, qu’il ne se faisoit distinguer dans aucun. Il ne lui restoit dans ce moment d’enchantement & de foiblesse, ni mémoire du passé, ni desir de l’avenir, ni inquiétude sur le présent. Le tems avoit cessé de couler pour lui, parce qu’il existoit tout en lui-même ; le sentiment de son bonheur ne s’affoiblissoit qu’avec celui de son existence. Il passoit par un mouvement imperceptible de la veille au sommeil ; mais sur ce passage imperceptible, au milieu de la défaillance de toutes ses facultés, il veilloit encore assez, sinon pour penser à quelque chose de distinct, du moins pour sentir toute la douceur de son existence : mais il en jouissoit d’une jouissance tout-à-fait passive, sans y être attaché, sans y réflechir, sans s’en rejouir, sans s’en féliciter. Si l’on pouvoit fixer par la pensée cette situation de pur sentiment, où toutes les facultés du corps & de l’ame sont vivantes sans être agissantes, & attacher à ce quiétisme délicieux l’idée d’immutabilité, on se formeroit la notion du bonheur le plus grand & le plus pur que l’homme puisse imaginer.

DELICOTER (se), Manége. se dit d’un cheval, qui étant attaché avec son licol, trouve moyen de l’ôter de sa tête, & auquel il faut mettre une sous-gorge. Voyez Sous-gorge. (V)

* DÉLIÉ, adj. (Gramm.) il se dit au simple, de tout ce qui a très-peu d’épaisseur relativement à sa longueur, un fil délié, un trait délié, &c. & au figuré, d’un esprit propre aux affaires épineuses, fertile en expédiens, insinuant, fin, souple, caché, qualités qui lui sont communes avec l’esprit fourbe & méchant ; cependant on peut être délié sans être ni méchant ni fourbe. Un discours délié, est celui dont on ne démêle pas du premier coup d’œil l’artifice & la fin. Il ne faut pas confondre le délié avec le délicat. Les gens délicats sont assez souvent déliés ; mais les gens déliés sont rarement délicats. Répandez sur un discours délié la nuance du sentiment, & vous le rendrez délicat. Supposez à celui qui tient un discours délicat, quelque vûe intéressée & secrette, & vous en ferez à l’instant un homme délié. Quoi qu’il en soit de toutes ces distinctions, il seroit à souhaiter que quelqu’un à qui la langue fût bien connue, & qui eût beaucoup de finesse dans l’esprit, s’occupât à définir toutes ces sortes d’expressions, & à marquer avec exactitude les nuances imperceptibles qui les distinguent. Tel sait développer toutes les regles de la syntaxe, qui ne feroit pas une ligne de cette grammaire. Outre une grande habitude de penser & d’écrire, elle exige encore de la délicatesse & du goût. On sent à chaque instant des choses pour lesquelles on manque de termes, & l’on est forcé de se jetter dans les exemples.

Délié, adj. pris subst. (Ecriture.) il se prend dans cet art par opposition à plein. On dit les déliés & les pleins de l’écriture : les déliés sont les parties fines & menues des lettres ; les pleins sont les parties grosses & fortes. Les déliés se tracent communément par l’action d’un des becs de la plume, & les pleins par l’action des deux.

DELIES, adj. pris subst. (Hist. anc. & Mythol.) delia, fête qui se célebroit à Athenes en l’honneur d’Apollon, surnommé delius. La principale cérémonie de cette fête étoit une ambassade des Athéniens

à l’Apollon de Délos, ou bien un pélerinage qu’ils y faisoient faire tous les cinq ans. Ils choisissoient pour cela un certain nombre de citoyens, qu’on chargeoit de cette commission ; c’est pourquoi on les appelloit Déliastes, Δηλιασταὶ, ou Théores, Θεωροὶ c’est-à-dire les voyans, ceux qui vont voir. Le chef de l’ambassade ou de la députation s’appelloit archithéore, ἀρχιθεωρὸς. On y joignoit quatre personnes de la famille des Ceryques, prêtres descendans de Mercure, qui demeuroient à Délos toute l’année pour y servir dans le temple. Toute cette députation partoit sur cinq vaisseaux, qui portoient tout ce qui étoit nécessaire pour la fête & les sacrifices.

Le vaisseau qui portoit les déliastes ou théores, étoit appellé Déliade, Δηλιὰς ou Théoride ; les quatre autres vaisseaux sacrés qui l’accompagnoient se nommoient le Parale, l’Antigonide, la Ptolemaïde, l’Ammonide. Cette circonstance a donné lieu à plusieurs disputes entre les savans qui se repaissent des niaiseries de la critique.

Les déliastes qui montoient le premier vaisseau, étoient couronnés de laurier. Quand ils étoient arrivés, ils offroient d’abord un sacrifice à Apollon, après lequel de jeunes filles dansoient autour de l’autel une danse nommée en grec γέρανος, & dans laquelle, par leurs mouvemens embarrassés & la maniere dont elles figuroient ensemble, elles représentoient les tours & les détours du labyrinthe. V. Danse. Quand les déliastes revenoient, le peuple alloit au-devant d’eux, & les recevoit avec de grandes acclamations & de grands cris de joie. Ils ne quittoient point leur couronne que toute leur commission ne fût terminée, après quoi ils les alloient consacrer à quelque divinité dans son temple.

Tout le tems que duroit l’allée & le retour, & toute la cérémonie, s’appelloit les délies ; & pendant tous ces jours-là les lois défendoient d’exécuter aucun criminel, privilége singulier de cette fête d’Apollon, & que n’avoient pas même celles de Jupiter ; car Plutarque remarque que ce fut un jour consacré à Jupiter, qu’on fit prendre à Phocion le poison auquel il avoit été condamné ; & on attendit au contraire trente jours pour le donner à Socrate, parce que c’étoient les délies, & que le vaisseau envoyé à Délos n’étoit point encore de retour.

Thucydide dit que ce fut pendant l’hyver de la sixieme année de la guerre du Péloponnese, que les Athéniens instituerent les délies, après qu’ils eurent expié l’île de Délos, & en eurent ôté tous les tombeaux, & ordonné que personne n’y naîtroit & n’y mourroit dans la suite, mais que l’on transporteroit tous les moribonds dans une petite île appellée Rhenie, qui touche presqu’à Delos. Long tems avant ce tems-là, les Ioniens & les insulaires voisins de l’Ionie faisoient des especes de délies, c’est-à-dire des fêtes & des jeux semblables aux éphesies qu’ils célebrerent dans la suite. Dict. de Trév. & Chambers. (G)

DELIAQUE, (Hist. anc.) Les déliaques chaponnoient les coqs, engraissoient la volaille ; & on les appelloit ainsi, parce que c’étoit les habitans de l’île de Délos, qui les premiers avoient inventé cette sorte de pratique. Ils vendoient aussi les œufs, comme il paroît par Cicéron dans ses questions académiques, lib. IV. Pline, lib. X. cap. xxx. & Columelle, lib. VIII. cap. viij. parlent aussi des déliaques.

Problème déliaque, problema deliacum, fameux problème chez les anciens, sur la duplication du cube. Voyez Cube & Duplication. (G)

DELILERS, s. m. pl. (Hist. mod.) espece de hussards Turcs, qu’on tire de la Servie, de la Bulgarie, & de la Croatie. Ce sont de vieux soldats robustes & expérimentés, fort adroits à manier le cimeterre qu’ils portent pendu à l’arçon de la selle. Ils sont armés d’ailleurs d’un bouclier & d’une lance plus lon-