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on peut se donner plus de licence, soit en rendant compte de la diversité d’opinions entre les auteurs, soit en se fixant à ce qui paroit le plus probable. Pour la chronologie incertaine des premiers âges, on peut s’en tenir à ce qui a été dit sur ce sujet dans l’article Chronologie, & s’attacher à quelqu’auteur accrédité qu’on suivra. Ce n’est pas que dans les articles importans, & sur-tout dans les articles généraux de chronologie, on doive tout-à-fait négliger les discussions ; mais il faut, comme dans les faits historiques, s’y borner à ce qu’il y a d’essentiel & d’instructif, & renvoyer pour le reste aux auteurs qui en ont le mieux traité.

A l’égard de la Géographie, elle renferme deux branches ; l’ancienne Géographie, & la moderne : par conséquent les articles de Géographie doivent faire mention, 1° des différens noms qu’on a donnés au pays ou à la ville dont on parle : 2° des différens peuples qui l’ont habitée : 3° des différens maîtres qu’elle a eus : 4° de sa situation, de son terroir, de son commerce ancien & moderne : 5° de la latitude & de la longitude, en distinguant avec soin celle qui est connue par observation immédiate, d’avec celle qui est connue seulement par estimation : 6° des mesures itinéraires anciennes & modernes ; matiere immense, & d’une discussion très-épineuse. On voit par-là quelle connoissance profonde de l’Histoire, & même à quelques égards de l’Astronomie, supposent de pareils articles : il ne suffit donc pas d’avoir lû superficiellement l’Histoire, ou même avec une attention ordinaire, pour être bon géographe. Souvent un fait essentiel se découvre en un endroit dans lequel personne ne l’avoit vû, ou ne songeoit à le trouver. Aussi cette partie est-elle fort imparfaite & fort négligée dans tous les dictionnaires : nous apprenons même qu’on la trouve souvent peu exacte dans l’Encyclopédie, où elle n’a été traitée que fort en abregé. Si ce reproche est fondé, comme nous le croyons sans peine, c’est à la disette de bonnes sources en matiere de Géographie, que nos lecteurs doivent s’en prendre. Un bon dictionnaire géographique seroit un ouvrage bien digne des soins & des connoissances de M. d’Anville, de l’académie des Belles-Lettres, l’homme de l’Europe peut-être le plus versé aujourd’hui dans cette partie de l’histoire ; un pareil travail demanderoit à être encouragé par le gouvernement.

Nous n’avons parlé jusqu’ici que de la Géographie purement historique ; celle qui tient à l’Astronomie, & qui consiste à connoître par observation la position des lieux de la terre & de la mer où on est, appartient proprement à un dictionnaire des Sciences : elle n’est pas l’objet du Dictionnaire dont il s’agit, si ce n’est peut-être indirectement, en tant que ce Dictionnaire renferme les latitudes & longitudes. Voyez Géographie.

Quoiqu’un dictionnaire historique ne doive point contenir d’articles de Sciences, il seroit cependant à propos, pour le rendre plus utile, d’y joindre aussi, soit dans un vocabulaire à part, soit dans le corps du dictionnaire même, des articles abregés qui renfermassent seulement l’explication des termes principaux des Sciences ou des Arts, parce que ces termes reviennent sans cesse dans l’histoire des gens de lettres, & qu’il est incommode d’avoir recours à un autre ouvrage pour en avoir l’explication. J’exclus de ce nombre les termes de Science ou d’Art qui sont connus de tout le monde, & ceux qui étant employés rarement, ne se trouveront point dans les articles historiques.

Dictionnaires de Sciences & d’Arts, tant libéraux que méchaniques. M. Diderot a traité cette matiere avec tant de soin & de précision dans le Prospectus de cet Ouvrage, imprimé de-

puis à la suite du Discours Préliminaire, que nous

n’avons rien à y ajoûter. Nous ne nous arrêterons ici que sur deux choses, sur l’utilité des ouvrages de cette espece, & (ce qui nous touche de plus près) sur les dictionnaires de Sciences & d’Arts, qui sont de plus encyclopédiques.

Nous avons déjà parlé assez au long du premier objet dans le Discours Préliminaire, page xxxjv. & dans l’avertissement du troisieme volume, p. vj. Ces sortes d’ouvrages sont un secours pour les savans, & sont pour les ignorans un moyen de ne l’être pas tout-à-fait : mais jamais aucun auteur de dictionnaire n’a prétendu qu’on pût dans un livre de cette espece, s’instruire à fond de la science qui en fait l’objet ; indépendamment de tout autre obstacle, l’ordre alphabétique seul en empêche. Un dictionnaire bien fait est un ouvrage que les vrais savans se bornent à consulter, & que les autres lisent pour en tirer quelques lumieres superficielles. Voilà pourquoi un dictionnaire peut & souvent même doit être autre chose qu’un simple vocabulaire, sans qu’il en résulte aucun inconvénient. Et quel mal peuvent faire aux Sciences des dictionnaires où l’on ne se borne pas à expliquer les mots, mais où l’on traite les matieres jusqu’à un certain point, surtout quand ces dictionnaires, comme l’Encyclopédie, renferment des choses nouvelles ?

Ces sortes d’ouvrages ne favorisent la paresse que de ceux qui n’auroient jamais eu par eux-mêmes la patience d’aller puiser dans les sources. Il est vrai que le nombre des vrais savans diminue tous les jours, & que le nombre des dictionnaires semble augmenter à proportion ; mais bien loin que le premier de ces deux effets soit la suite du second, je crois que c’est tout le contraire. C’est la fureur du bel esprit qui a diminué le goût de l’étude, & par conséquent les savans ; & c’est la diminution de ce goût qui a obligé de multiplier & de faciliter les moyens de s’instruire.

Enfin on pourroit demander aux censeurs des dictionnaires, s’ils ne croyent pas que les journaux littéraires soient utiles, du moins quand ils sont bien faits ; cependant on peut faire à ces sortes d’ouvrages le même reproche que l’on fait aux dictionnaires, celui de contribuer à étendre les connoissances en superficie, & à diminuer par ce moyen le véritable savoir. La multiplication des journaux est même en un sens moins utile que celle des dictionnaires, parce que tous les journaux ont ou doivent avoir par leur nature à peu-près le même objet, & que les dictionnaires au contraire peuvent varier à l’infini, soit par leur exécution, soit par la matiere qu’ils traitent.

A l’égard de l’ordre encyclopédique d’un dictionnaire, nous en avons aussi parlé dans le Discours Préliminaire, page xviij. & p. xxxvj. Nous avons fait voir en quoi consistoit cet ordre, & de quelle maniere il pouvoit s’allier avec l’ordre alphabétique. Ajoûtons ici les réflexions suivantes. Si on vouloit donner à quelqu’un l’idée d’une machine un peu compliquée, on commenceroit par démonter cette machine, par en faire voir séparement & distinctement toutes les pieces, & ensuite on expliqueroit le rapport de chacune de ces pieces à ses voisines ; & en procedant ainsi, on feroit entendre clairement le jeu de toute la machine, sans même être obligé de la remonter. Que doivent donc faire les auteurs d’un dictionnaire encyclopédique ? C’est de dresser d’abord, comme nous l’avons fait, une table générale des principaux objets des connoissances humaines. Voilà la machine démontée pour ainsi dire en gros : pour la démonter plus en détail, il faut ensuite faire sur chaque partie de la machine, ce qu’on a fait sur la machine entiere : il faut dresser une table des différens objets de cette partie, des termes