Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 5.djvu/1004

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

1°. S’il est vrai de dire en général, comme on doit en convenir, que le bon-marché de la denrée en procure un plus grand débit, il n’arrive pas toûjours pour cela que le débit s’accroisse dans une proportion exacte de la baisse des prix. Outre qu’il est des denrées dont la consommation est bornée par elle-même, le marchand qui les revend fait tout son possible pour retenir une partie du bon marché à son profit particulier.

2°. L’argent se soûtiendra cher par la diminution de la confiance, & le grand nombre de faillites qu’aura occasionné le passage du surhaussement : ainsi, quoique la main-d’œuvre & les denrées n’ayent haussé que d’un quart en numéraire, il est certain que l’intérêt des avances faites par les Négocians, sera de moitié plus fort en numéraire ; & que cette moitié en sus du numéraire de l’intérêt, doit être ajoûtée au surhaussement des denrées, que nous avons supposé être d’un quart.

Si cet intérêt étoit de 6 pour , ce seroit un douzieme & demi en sus. Celui qui possédoit dans son commerce 100 liv. avant le surhaussement, se trouvera posséder numérairement 150 livres. L’augmentation des denrées étant du quart, il sembleroit qu’avec ces 100 liv. on pourroit commercer sur 25 liv. de plus en denrées.

Mais il faut observer que l’intérêt de 150 liv. est 9 liv. à 6 pour  ; ainsi il faut retrancher sur :

150 liv.
à raison de cet intérêt, 9 liv.
Restent 141
L’augmentation du prix des denrées a été du quart, 25
116

Reste donc pour 16 livres de plus en denrées, qu’on n’en avoit avant l’augmentation des especes. Cependant comme l’intérêt de ces 100 liv. étoit de 6 pour également, il convient d’ajoûter 6 liv. aux 16 liv. ce qui en fera 22 liv.

Mais le plus fort numéraire des intérêts a évidemment diminué 3 livres sur les 25 livres que l’on espéroit trouver de plus en denrées, à raison de l’inégalité du surhaussement des denrées en proportion de celui des especes.

Ce calcul pourroit encore être poussé plus loin, si l’on évalue le bénéfice du commerçant, qui est toûjours au moins du double de l’intérêt.

3°. Toutes les manufactures où il entre des matieres étrangeres, hausseront non-seulement d’un quart, comme toutes les autres denrées, mais encore de l’excédent du numéraire qu’on donnera de plus qu’auparavant pour payer ces matieres.

4°. Si le pays qui a haussé sa monnoie, tire de l’étranger une partie des matieres nécessaires à la Navigation, son fret renchérira d’autant en numéraire ; il faudra encore y ajoûter le plus grand numéraire, & à raison de l’intérêt de l’argent, & à raison du prix des assûrances. Toutes ces augmentations formeront une valeur intrinseque qui donnera la supériorité dans cette partie essentielle, aux étrangers qui payent l’argent moins cher.

5°. Tout ce qui manquera à l’achat des étrangers pour répondre à ce quart de diminution sur le prix, diminuera la balance intrinseque de l’état. Si dans l’exemple proposé, au lieu d’exporter 72 on n’exporte que 66, la balance numéraire sera de 12, comme auparavant ; mais la balance intrinseque ne sera que 8.

6°. En supposant même le quart entier d’accroissement sur les ventes, ce qui n’est pas vraissemblable cependant, il est clair, suivant la remarque de M. Dutot, que l’étranger n’aura donné aucun équivalent en échange.

7°. Je conviens que l’état aura occupé plus d’hom-

mes : c’est un avantage très-réel ; mais il faut reconnoître

aussi que les denrées haussant successivement, comme l’expérience l’a toûjours vérifié, les ventes diminueront successivement dans la même proportion. La balance diminuera avec elles numérairement & intrinséquement ; & suivant les principes établis sur la circulation, le peuple sera en peu de tems plus malheureux qu’il n’étoit : car son occupation diminuera ; le nombre des signes qui avoit coûtume d’entrer en concurrence avec les denrées, n’entrant plus dans le commerce, la circulation s’affoiblira, l’intérêt de l’argent se soûtiendra toûjours. Telle est la vraie pierre de touche de la prospérité intérieure d’un état. Je veux bien compter pour rien le dérangement des fortunes particulieres & des familles, puisque la masse de ces fortunes restera la même dans l’état ; mais je demanderai toûjours s’il y a moins de pauvres, s’il y en aura moins par la suite, parce que la ressource de l’état peut être mesurée sur leur nombre.

Je ne crois point qu’on m’accuse d’avoir dissimulé les raisons favorables à l’opinion de M. Melon ; je les ai cherchées avec soin, parce qu’il ne me paroissoit pas naturel qu’un habile homme avançât un sentiment sans l’avoir médité. J’avoue même que d’abord j’ai hésité ; mais les suites pernicieuses & prochaines de cet embonpoint passager du corps politique, m’ont intimement convaincu qu’il n’étoit pas naturel ; enfin que l’opération n’est utile en aucun sens. C’est ainsi qu’en ont pensé Mun, Locke, & le célébre Law, qu’on peut prendre pour juges en ces matieres, lorsque leur avis se réunit. Il ne faut pas s’imaginer que l’utilité des augmentations numéraires n’ait pû se développer que parmi nous, à moins que l’influence du climat ne change aussi quelque chose dans la combinaison des nombres.

Enfin je ne me serai point trompé, si malgré une augmentation de denrée à raison de l’aggrandissement du royaume, malgré une augmentation de valeur de 150 millions dans nos colonies, la balance du commerce étranger n’est pas plus considérable depuis vingt-trois ans, que de 1660 à 1683.

Nous avons évidemment gagné, puisque depuis la derniere réforme il a été monnoyé près de treize cents millions ; mais il s’agit de savoir si nous n’aurions pas gagné davantage, en cas qu’on n’eût point haussé les monnoies ; si l’on verroit en Italie, en Allemagne, en Hollande sur-tout & en Angleterre, pour des centaines de millions de vieilles monnoies de France.

Jean de Wit évaluoit la balance que la Hollande payoit de son tems à la France, à 30 millions, qui en feroient aujourd’hui plus de 55. Je sais que nous avons étendu notre commerce : mais sans compter l’augmentation de nos terres & l’amélioration de nos colonies, supposons (ce qui n’est pas) que nous avons fait par nous-mêmes ou par d’autres peuples, les trois quarts du commerce que la Hollande faisoit pour nous en 1655, la balance avec elle devroit rester de plus de treize millions ; en 1752 elle n’a été que de huit.

Regle générale à laquelle j’en reviendrai toûjours, parce qu’elle est d’une application très-étendue : par-tout où l’intérêt de l’argent se soûtient haut, la circulation n’est pas libre. C’est donc avec peu de fondement que M. Melon a comparé les surhaussemens des monnoies, même sans réforme ni refonte, aux multiplications des papiers circulans. Je regarde ces papiers comme un remede dangereux par les suites qu’ils entraînent ; mais ils se corrigent en partie par la diminution des intérêts, & donnent au moins les signes & les effets d’une circulation intérieure, libre & durable. Ils peuvent nuire un jour à la richesse de l’état, mais constamment le peuple