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quarrés  ; & une once d’or, qui mise en forme de cube n’est pas la moitié d’un pouce en épaisseur, longueur ou largeur, battue avec le marteau, peut s’étendre en une surface de 146 piés quarrés & , étendue près de la moitié plus grande que celle que l’on pouvoit lui donner il y a 90 ans. Du tems du pere Mersenne on regardoit comme une chose prodigieuse, qu’une once d’or pût former 1600 feuilles, lesquelles réunies ne faisoient qu’une surface de 105 piés quarrés.

Mais la distension de l’or sous le marteau, quoique très-considérable, n’est rien en comparaison de celle qu’il éprouve en passant par la filiere. Il y a des feuilles d’or qui ont à peine l’épaisseur de de pouce ; mais partie d’un pouce est une épaisseur considérable, en comparaison de l’épaisseur de l’or filé sur la soie dans nos galons d’or.

Pour concevoir cette ductilité prodigieuse, il est nécessaire de donner à nos lecteurs quelque idée de la maniere dont procedent les Tireurs d’or. Le fil que l’on appelle communément du fil d’or, & que tout le monde sait n’être autre chose qu’un fil d’argent doré ou recouvert d’or, se tire d’un gros lingot d’argent pesant ordinairement 45 marcs. On lui donne une forme de cylindre d’un pouce & demi environ de diametre, & long de 22 pouces. On le recouvre de feuilles préparées par le Batteur d’or, les posant l’une sur l’autre, jusqu’à ce qu’il y en ait assez pour faire une épaisseur beaucoup plus considérable que celle de nos dorures ordinaires : & néanmoins dans cet état cette épaisseur est très-mince, comme il est aisé de le concevoir par la quantité d’or que l’on employe à dorer les 45 marcs d’argent : deux onces en font ordinairement l’affaire, & fort souvent un peu plus qu’une. En effet, toute l’épaisseur de l’or sur le lingot excede rarement ou partie d’un pouce, & quelquefois elle n’en est pas la partie.

Mais il faut que cette enveloppe d’or si mince le devienne bien d’une autre maniere. On fait passer successivement le lingot par les trous de différentes filieres, toûjours plus petites les unes que les autres, jusqu’à ce qu’il devienne aussi fin ou même plus fin qu’un cheveu. Chaque nouveau trou diminue le diametre du lingot ; mais il gagne en longueur ce qu’il perd en épaisseur, & par conséquent sa surface augmente ; néanmoins l’or le recouvre toujours : il suit l’argent dans toute l’étendue dont il est susceptible ; & l’on ne remarque pas même au microscope qu’il en laisse à découvert la plus petite partie. Cependant à quel point de finesse doit-il être porté, lorsqu’il est tiré en un filet dont le diametre est neuf mille fois plus petit que celui du lingot ?

M. de Reaumur, par des mesures exactes & un calcul rigoureux, trouve qu’une once de ce fil s’allonge à 3232 piés, & tout le lingot à 1163520, mesure de Paris, ou 96 lieues françoises ; étendue qui surpasse de beaucoup ce que Mersenne, Rohault, Halley, &c. avoient imaginé.

Mersenne dit qu’une demi-once de ce fil est longue de 100 toises. Sur ce pié une once de ce fil ne s’étendroit qu’à 1200 piés ; au lieu que M. de Reaumur la trouve de 3232. M. Halley dit que six piés de fil ne pesent qu’un grain, & qu’un grain d’or s’étend jusqu’à 96 verges, & que par conséquent la dix-millieme partie d’un grain fait plus d’un tiers de pouce. Il trouve que le diametre du fil est une cent quatre-vingt-sixieme partie d’un pouce ; & l’épaisseur de l’or une 154500me partie d’un pouce. Mais ce compte est encore au-dessous de celui de M. de Reaumur ; car sur ce principe l’once de fil ne devroit être que de 2680 piés.

Cependant le lingot n’est pas encore parvenu à sa plus grande longueur, la plus grande partie de l’or

trait est filé ou travaillé sur soie ; & avant de le filer on l’applatit, en le faisant passer entre deux rouleaux ou roues d’un acier excessivement poli, ce qui le fait encore allonger de plus d’un septieme. M. de Reaumur trouve alors que la largeur de ces petites lames ou plaques n’est que la huitieme partie d’une ligne ou la 96e partie d’un pouce, & leur épaisseur une 3072e ; l’once d’or est alors étendue en une surface de 1190 piés quarrés ; au lieu que la plûpart des batteurs d’or, ainsi que nous l’avons observé, ne l’étendent qu’à 146 piés quarrés.

Mais quelle doit être la finesse de l’or étendu d’une maniere si excessive ? Suivant le calcul de M. de Reaumur, son épaisseur est la 175000me partie d’une ligne ou la 2100000me partie d’un pouce, ce qui n’est que la treizieme partie de l’épaisseur déterminée par M. Halley ; mais il ajoûte que cela suppose l’épaisseur de l’or par-tout égale, ce qui n’est pas probable ; car en battant les feuilles d’or, quelque attention que l’on y ait, il est impossible de les étendre également. C’est dequoi il est facile de juger par quelques parties qui sont plus opaques que d’autres ; ainsi la dorure du fil doit être plus épaisse aux endroits où la feuille est plus épaisse.

M. de Reaumur supputant quelle doit être l’épaisseur de l’or aux endroits où elle est la moins considérable, la trouve seulement d’une 3150000me partie d’un pouce ; mais qu’est-ce qu’une 3150000me partie d’un pouce ? Ce n’est pourtant pas encore la plus grande ductilité de l’or ; car au lieu de deux onces d’or que nous avons supposées au lingot, on peut n’y employer qu’une seule once ; & alors l’épaisseur de l’or aux endroits les plus minces ne seroit que la 6300000me partie d’un pouce.

Néanmoins quelque minces que soient les lames d’or, on peut les rendre deux fois plus minces, sans qu’elles cessent d’être dorées. En les pressant seulement beaucoup entre les roues, elles s’étendent au double de leur largeur, & proportionnellement en longueur ; de maniere que leur épaisseur sera réduite enfin à une treize ou quatorze millionieme partie d’un pouce.

Quelque effrayante que soit cette ténuité de l’or, il recouvre parfaitement l’argent qu’il accompagne. L’œil le plus perçant & le plus fort microscope ne peuvent y découvrir le moindre vuide ou la moindre discontinuité. Le fluide le plus subtil & la lumiere elle-même ne peuvent y trouver un passage : ajoûtez à cela que si l’on fait dissoudre dans de l’eau-forte une piece de cet or trait ou de cet or laminé, on appercevra la place de l’argent tout excavée, l’argent ayant été dissous par l’eau-forte, & l’or tout entier en forme de petits tubes.

Quant à la ductilité des corps qui ont de la mollesse, elle ne va pas à un degré si surprenant ; cependant le lecteur ne doit pas être surpris que, parmi les corps ductiles de cette classe, nous donnions la premiere place au verre, qui est de tous les corps durs le plus fragile.

Ductilité du verre. Tout le monde sait que quand le verre est bien pénétré de la chaleur du feu, les ouvriers peuvent le former & le façonner comme de la cire molle, mais ce qu’il y a de plus remarquable, c’est qu’on peut le réduire en fils d’une finesse & d’une longueur excessive.

Nos fileurs ordinaires ne font pas leurs fils de soie, de lin, ou d’autres matieres semblables, avec autant d’aisance & de célérité à beaucoup près que nos fileurs de verre qui travaillent sur une matiere si fragile.

On a des plumets de cette matiere pour orner la tête des enfans ; on en fait d’autres ouvrages beaucoup plus fins que les cheveux, qui se plient, qui se courbent, qui flotent comme eux au moindre vent.