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le roi n’y venoit pas, il envoyoit le connétable à sa place.

Il y avoit encore beaucoup d’autres cérémonies dont nous omettons le détail, pour nous attacher à ce qui peut avoir un peu plus de rapport à la Jurisprudence. Ceux qui voudront savoir plus à fond tous les usages qui s’observoient en pareil cas, peuvent voir Lacolombiere en son traité des duels ; Sauval, en ses antiquités de Paris, & autres auteurs qui ont écrit des duels.

Le vaincu encouroit l’infamie, étoit traîné sur la claie en chemise, ensuite pendu ou brûlé, ou du moins on lui coupoit quelque membre ; la peine qu’on lui infligeoit étoit plus ou moins grande, selon la qualité du crime dont il étoit réputé convaincu. L’autre s’en retournoit triomphant ; on lui donnoit un jugement favorable.

La même chose s’observoit en Allemagne, en Espagne, & en Angleterre : celui qui se rendoit pour une blessure étoit infame ; il ne pouvoit couper sa barbe, ni porter les armes, ni monter à cheval. Il n’y avoit que trois endroits dans l’Allemagne où on pût se battre ; Witzbourg en Franconie, Uspach & Hall en Suabe : ainsi les duels y devoient être rares.

Ils étoient au contraire fort communs en France depuis le commencement de la monarchie jusqu’au tems de S. Louis, & même encore long-tems après.

Il n’étoit cependant pas permis à tout le monde indifféremment de se battre en duel : car outre qu’il falloit une permission du juge, il y avoit des cas dans lesquels on ne l’accordoit point.

Par exemple, lorsqu’une femme appelloit en duel, & qu’elle n’avoit point retenu d’avoüé : car elle ne pouvoit pas se battre en personne.

De même une femme en puissance de mari ne pouvoit pas appeller en duel sans le consentement & l’autorisation de son mari.

Le duel n’étoit pas admis non plus, lorsque l’appellant n’avoit aucune parenté ni affinité avec celui pour lequel il appelloit.

L’appellé en duel n’étoit pas obligé de l’accepter, lorsqu’il avoit combattu pour celui au nom duquel il étoit appellé.

Si l’appellant étoit serf, & qu’il appellât un homme franc & libre, celui-ci n’étoit pas obligé de se battre.

Un ecclésiastique, soit l’appellant ou l’appellé, ne pouvoit pas s’engager au duel en cour-laye ; parce qu’il n’étoit sujet à cette jurisdiction que pour la propriété de son temporel.

Le duel n’avoit pas lieu non plus pour un cas sur lequel il étoit déja intervenu un jugement, ni pour un fait notoirement faux ; ou lorsqu’on avoit d’ailleurs des preuves suffisantes, ou que la chose pouvoit se prouver par témoins ou autrement.

Un bâtard ne pouvoit pas appeller en duel un homme légitime & libre : mais deux bâtards pouvoient se battre l’un contre l’autre.

Lorsque la paix avoit été faite entre les parties, & confirmée par la justice supérieure, l’appel en duel n’étoit plus recevable pour le même fait.

Si quelqu’un étoit appellé en duel pour cause d’homicide, & que celui en la personne duquel l’homicide avoit été commis eût déclaré avant de mourir les auteurs du crime, & que l’accusé en étoit innocent, il ne pouvoit plus être poursuivi.

L’appellant ou l’appellé en duel étant mineur, on n’ordonnoit pas le duel.

Un lépreux ou ladre ne pouvoit pas appeller en duel un homme qui étoit sain, ni un homme sain se battre contre un lépreux.

Enfin il y avoit encore certains cas où l’on ne recevoit pas de gages de bataille entre certaines personnes, comme du pere contre le fils, ou du fils

contre le pere, ou du frere contre son frere. Il y en a une disposition dans les assises de Jérusalem.

Du Tillet dit que les princes du sang sont dispensés de se battre en duel : ce qui en effet s’observoit déjà du tems de Beaumanoir, lorsqu’il ne s’agissoit que de meubles ou d’héritages ; mais quand il s’agissoit de meurtre ou de trahison, les princes, comme d’autres, étoient obligés de se soûmettre à l’épreuve du duel.

On s’est toûjours recrié, & avec raison, contre cette coûtume barbare des duels.

Les papes, les évêques, les conciles, ont souvent condamné ces desordres : ils ont prononcé anathème contre les duellistes ; entre autres le concile de Valence, tenu en 855 ; Nicolas I. dans une épître à Charles-le-Chauve ; Agobard, dans ses livres contre la loi gombette & contre le jugement de Dieu ; le pape Célestin III. & Alexandre III. & le concile de Trente, sess. 25. chap, xjx. Yves de Chartres dans plusieurs de ses épîtres ; l’auteur du livre appellé fleta, & plusieurs écrivains contemporains.

Les empereurs, les rois, & autres princes, ont aussi fait tous leurs efforts pour déraciner cette odieuse coûtume. Luithprand, roi des Lombards, l’appelle impie, & dit qu’il n’avoit pû l’abolir parmi ses sujets, parce que l’usage avoit prévalu.

Frédéric I. dans ses constitutions de Sicile, défendit l’usage des duels. Frédéric II. accorda aux habitans de Vienne en Autriche le privilege de ne pouvoir être forcés d’accepter le duel. Edoüard, roi d’Angleterre, accorda le même privilége à certaines villes de son royaume. Guillaume comte de Flandre, ordonna la même chose pour ses sujets, en 1127.

En France, Louis VII. fut le premier qui commença à restraindre l’usage des duels : c’est ce que l’on voit dans des lettres de ce prince de l’an 1168, par-lesquelles en abolissant plusieurs mauvaises coûtumes de la ville d’Orléans, il ordonna entre autres choses que pour une dette de cinq sous ou de moins qui seroit niée, il n’y auroit plus bataille entre deux personnes, c’est-à-dire que le duel ne seroit plus ordonné.

S. Louis alla plus loin ; après avoir défendu les guerres privées en 1245, par son ordonnance de 1260, il défendit aussi absolument les duels dans ses domaines, tant en matiere civile que criminelle ; & au lieu du duel, il enjoignit que l’on auroit recours à la preuve par témoins : mais cette ordonnance n’avoit pas lieu dans les terres des barons, au moyen dequoi il étoit toûjours au pouvoir de ceux-ci d’ordonner le duel, comme le remarque Beaumanoir qui écrivoit en 1283 ; & suivant le même auteur, quand le plaid étoit commencé dans les justices des barons, on ne pouvoit plus revenir à l’ancien droit, ni ordonner les gages de bataille. Saint Louis accorda aussi aux habitans de Saint-Omer, qu’ils ne seroient tenus de se battre en duel que dans leur ville.

Les seigneurs refuserent long-tems de se conformer à ce que S. Louis avoit ordonné dans ses domaines ; le motif qui les retenoit, est qu’ils gagnoient une amende de 60 sous, quand le vaincu étoit un roturier, & de 60 liv. quand c’étoit un gentil-homme.

Alphonse, comte de Poitou & d’Auvergne, suivit néanmoins en quelque sorte l’exemple de S. Louis, en accordant à ses sujets, en 1270, par forme de privilége, qu’on ne pourroit les contraindre au duel ; & que celui qui refuseroit de se battre, ne seroit pas pour cela réputé convaincu du fait en question, mais que l’appellant auroit la liberté de se servir des autres preuves.

Du reste, les bonnes intentions de S. Louis demeurerent alors sans effet, même dans ses domaines, tant la coûtume du duel étoit invétérée.