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dis que la lumiere qui fait effort en tout sens, pénétrera de toutes parts, & que l’esprit du siecle avancera la révolution qu’il a commencée, les arts méchaniques s’arrêteront où ils en sont, si le gouvernement dédaigne de s’intéresser à leurs progrès d’une maniere plus utile. Ne seroit-il pas à souhaiter qu’ils eussent leur académie ? Croit-on que les cinquante mille francs que le gouvernement employeroit par an à la fonder & à la soûtenir, fussent mal employés ? Quant à moi, il m’est démontré qu’en vingt ans de tems il en sortiroit cinquante volumes in-4°. où l’on trouveroit à peine cinquante lignes inutiles ; les inventions dont nous sommes en possession, se perfectionneroient ; la communication des lumieres en feroit nécessairement naître de nouvelles, & recouvrer d’anciennes qui se sont perdues ; & l’état présenteroit à quarante malheureux citoyens qui se sont épuisés de travail, & à qui il reste à peine du pain pour eux & pour leurs enfans, une ressource honorable & le moyen de continuer à la société des services plus grands peut-être encore que ceux qu’ils lui ont rendus, en consignant dans des mémoires les observations précieuses qu’ils ont faites pendant un grand nombre d’années. De quel avantage ne seroit-il pas pour ceux qui se destineroient à la même carriere, d’y entrer avec toute l’expérience de ceux qui n’en sortent qu’après y avoir blanchi ? Mais faute de l’établissement que je propose, toutes ces observations sont perdues, toute cette expérience s’évanoüit, les siecles s’écoulent, le monde vieillit, & les arts méchaniques restent toûjours enfans.

Après avoir donné un abrégé historique de la vie des principaux Eclectiques, il nous reste à exposer les points fondamentaux de leur philosophie. C’est la tâche que nous nous sommes imposée dans le reste de cet article. Malgré l’attention que nous avons eu d’en écarter tout ce qui nous a paru inintelligible (quoique peut-être il ne l’eût pas été pour d’autres), il s’en faut beaucoup que nous ayons réussi à répandre sur ce que nous avons conservé, une clarté que quelques lecteurs pourront desirer. Au reste, nous conseillons à ceux à qui le jargon de la philosophie scholastique ne sera pas familier, de s’en tenir à ce qui précede ; & à ceux qui auront les connoissances nécessaires pour entendre ce qui suit, de ne pas s’en estimer davantage.

Philosophie des Eclectiques.

Principes de la dialectique des Eclectiques. Cette partie de leur philosophie n’est pas sans obscurité ; ce sont des idées aristotéliques si quintessenciées & si rafinées, que le bon sens s’en est évaporé, & qu’on se trouve à tout moment sur les confins du verbiage : au reste, on est presque sûr d’en venir-là toutes les fois qu’on ne mettra aucune sobriété dans l’argumentation, & qu’on la poussera jusqu’où elle peut aller. C’étoit une des ruses du Scepticisme. Si vous suiviez le sceptique, il vous égaroit dans des ténebres inextricables ; si vous refusiez de le suivre, il tiroit de votre pusillanimité des inductions assez vraissemblables, & contre votre these en particulier, & contre la philosophie dogmatique en général. Les Eclectiques disoient :

1. On ne peut appeller véritablement être, que ce qui exclut absolument la qualité la plus contraire à l’entité, la privation d’entité.

2. Il y a dans le premier être, des qualités qui ont pour principe l’unité ; mais l’unité ne se comptant point parmi les genres, elle n’empêche point l’être premier d’être premier, quoiqu’on dise de lui qu’il est un.

3. C’est par la raison que tout ce qui est un, n’est ni même, ni semblable, que l’unité n’empêche pas l’être premier d’être le premier genre, le genre suprème.

4. Ce qu’on apperçoit d’abord, c’est l’existence, l’action, & l’état ; ils sont un dans le sujet ; en eux-mêmes, ils sont trois.

Voilà les fondemens sur lesquels Plotin éleve son système de dialectique. Il ajoûte :

5. Le nombre, la quantité, la qualité, ne sont pas des êtres premiers entre les êtres ; ils sont postérieurs à l’essence : car il faut commencer par être possible.

6. La séité ou le soi, la quiddité ou le ce, l’identité, la diversité, ou l’altérité, ne sont pas, à proprement parler, les qualités de l’être ; mais ce sont ses propriétés, des concomitans nécessaires de l’existence actuelle.

7. La relation, le lieu, le tems, l’état, l’habitude, l’action, ne sont point genres premiers ; ce sont des accidens qui marquent composition ou défaut.

8. Le retour de l’entendement sur son premier acte lui offre nombre, c’est-à-dire un & plusieurs ; force, intensité, remission, puissance, grandeur, infini, quantité, qualité, quiddité, similitude, différence, diversité, &c. d’où découlent une infinité d’autres notions. L’entendement se joue en allant de lui-même aux objets, & en revenant des objets à lui-même.

9. L’entendement occupé de ses idées, ou l’intelligence est inhérente à je ne sai quoi de plus général qu’elle.

10. Après l’entendement, je descends à l’ame qui est une en soi, & en chaque partie d’elle-même à l’infini. L’intelligence est une de ses qualités ; c’est l’acte pur d’elle une en soi, ou d’elle une en chaque partie d’elle-même à l’infini.

11. Il y a cinq genres analogues les uns aux autres, tant dans le monde intelligible, que dans le monde corporel.

12. Il ne faut pas confondre l’essence avec la corporéité, ou matérialité ; celle-ci enferme la notion de flux, & on l’appelleroit plus exactement génération.

13. Les cinq genres du monde corporel, qu’on pourroit réduire à trois, sont la substance, l’accident qui est dans la substance, l’accident dans lequel est la substance, le mouvement, & la relation. Accident se prend évidemment ici pour mode ; & l’accident dans lequel est la substance, est selon toute apparence, le lieu.

14. La substance est une espece de base, de suppôt ; elle est par elle-même, & non par un autre ; c’est ou un tout, ou une partie : si c’est une partie, c’est la partie d’un composé qu’elle peut compléter, & qu’elle complete, tant que le tout est tout.

15. Il est essentiel à une substance qu’on ne puisse dire d’elle qu’elle est un sujet. Sujet se prend ici logiquement.

16. On seroit conduit à la division des substances génériques en especes, par les sensations, ou par la considération des qualités simples ou composées, par les formes, les figures, & les lieux.

17. C’est le nombre & la grandeur qui constituent la quantité ; c’est la relation qui constitue le tems & l’espace. Il ne faut point compter ces êtres parmi les quantités.

18. Il faut considérer la qualité en elle-même dans son mouvement & dans son sujet.

19. Le mouvement sera ou ne sera pas un genre, selon la maniere dont on l’envisagera ; c’est une progression de l’être, la nature de l’être restant la même ou changeant.

20. L’idée de progression commune à tout mouvement, entraîne l’idée d’exercice d’une puissance ou force.

21. Le mouvement dans les corps est une tendance d’un corps vers un autre, qui doit en être sollicité