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l’espece de philosophie, qu’on nomme autrement & plus communément scholastique, qui a substitué les mots aux choses, & les questions frivoles ou ridicules, aux grands objets de la véritable Philosophie ; qui explique par des termes barbares des choses inintelligibles ; qui a fait naître ou mis en honneur les universaux, les cathégories, les prédicamens, les degrés métaphysiques, les secondes intentions, l’horreur du vuide, &c. Cette philosophie est née de l’esprit & de l’ignorance. On peut rapporter son origine, ou du moins sa plus brillante époque, au douzieme siecle, dans le tems où l’université de Paris a commencé à prendre une forme éclatante & durable. Le peu de connoissances qui étoit alors répandu dans l’univers, le défaut de livres, d’observations, & le peu de facilité qu’on avoit à s’en procurer, tournerent tous les esprits du côté des questions oisives ; on raisonna sur les abstractions, au lieu de raisonner sur les êtres réels : on créa pour ce nouveau genre d’étude une langue nouvelle, & on se crut savant parce qu’on avoit appris cette langue. On ne peut trop regretter que la plûpart des auteurs scholastiques ayent fait un usage si misérable de la sagacité & de la subtilité extrème qu’on remarque dans leurs écrits ; tant d’esprit mieux employé, eût fait faire aux Sciences de grands progrès dans un autre tems ; & il semble que dans les grandes bibliotheques on pourroit écrire au-dessus des endroits où la collection des scholastiques est renfermée, ut quid perditio hæc ?

C’est à Descartes que nous avons l’obligation principale d’avoir secoüé le joug de cette barbarie ; ce grand homme nous a détrompés de la philosophie de l’école (& peut-être même, sans le vouloir, de la sienne ; mais ce n’est pas dequoi il s’agit ici). L’université de Paris, grace à quelques professeurs vraiment éclairés, se délivre insensiblement de cette lepre ; cependant elle n’en est pas encore tout-à-fait guérie. Mais les universités d’Espagne & de Portugal, grace à l’inquisition qui les tyrannise, sont beaucoup moins avancées ; la Philosophie y est encore dans le même état où elle a été parmi nous depuis le douzieme jusqu’au dix-septieme siecles ; les professeurs jurent même de n’en jamais enseigner d’autre : cela s’appelle prendre toutes les précautions possibles contre la lumiere. Dans un des journaux des savans de l’année 1752, à l’article des nouvelles littéraires, on ne peut lire sans étonnement & sans affliction, le titre de ce livre nouvellement imprimé à Lisbonne (au milieu du dix-huitieme siécle) : Systema aristotelicum de formis substantialibus, &c. cum dissertatione de accidentibus absolutis. Ulyssipone 1750. On seroit tenté de croire que c’est une faute d’impression, & qu’il faut lire 1550. Voyez Aristotélisme, Scholastique, &c.

Nous seroit-il permis d’observer que la nomenclature inutile & fatigante, dont plusieurs sciences sont encore chargées, est peut-être un mauvais reste de l’ancien goût pour la philosophie de l’école ? Voy. Botanique, Méthode, &c. (O)

Ecoles de Droit, (Jurispr :) sont des lieux où l’on enseigne publiquement la Jurisprudence.

Il n’y avoit point encore d’école publique de cette espece, sous les premiers empereurs romains ; les jurisconsultes qu’ils avoient autorisés à répondre sur le droit, n’avoient d’autre fonction que de donner des consultations à ceux qui leur en demandoient, & de composer des commentaires sur les lois.

Ceux qui s’adonnoient à l’étude de la Jurisprudence, s’instruisoient par la lecture des lois & des ouvrages des jurisconsultes, & en conversant avec eux.

Quelques-uns de ces jurisconsultes, tels que Quintus Mucius, & peu après Trébatius, Cascelius, &

Ofilius, tenoient chez eux des assemblées qui étoient en quelque sorte publiques par le concours de ceux qui y venoient pour apprendre sous eux la Jurisprudence.

Le jurisconsulte Ofilius avoit formé un éleve nommé Atteius Capiton, & Trébatius avoit de même formé Antistitius Labeo ; ces deux éleves furent chacun auteurs d’une secte fameuse : savoir, Capiton de la secte des Sabiniens, ainsi appellée de Massurius Sabinus, premier disciple de Capito & premier chef de cette secte : Labeo fut auteur de la secte des Proculéiens, ainsi appellée de Proculus, un de ses sectateurs.

Ces assemblées des jurisconsultes avec leurs éleves & leurs sectateurs, formoient des especes d’écoles, mais qui n’étoient point publiques.

La loi 5, au ff. de extraord. cogn. parle néanmoins de professeurs en droit civil, qui sont appellés professores juris civilis ; mais ce n’étoient pas des professeurs publics : on les appelloit aussi juris studiosi, nom qui leur étoit commun avec leurs éleves & avec les assesseurs des juges.

L’école de Beryte ou Beroé, ville de Phénicie, paroît être la plus ancienne école publique de droit : c’est de-là qu’elle est nommée nutrix legum dans la constitution de Justinien, de ratione & methodo juris, §. 7. On ne sait pas précisément en quel tems elle fut fondée. Justinien en parle comme d’un établissement déjà ancien, qui avoit-été fait par ses prédécesseurs ; & on la trouve déjà établie dans la loi premiere, au code qui ætate vel professione se excusant, laquelle est des empereurs Dioclétien & Maxime, qui regnoient en 285. Nicéphore Calliste, Sozomene, & Sidoine Apollinaire, en font aussi mention. Mais le premier qui en ait parlé, selon que le remarque M. Menage en ses amenités de droit, est Grégoire Thaumaturge, lequel vivoit sous Alexandre Severe, dont l’empire commença en 222. Cette école étoit une des plus florissantes, & distinguée des autres en ce qu’il y avoit alors quatre professeurs en droit : au lieu que dans les autres dont on va parler, il n’y en avoit que deux. Les incendies, les inondations, & les tremblemens de terre, qui ruinerent Béryte en divers tems, entre autres le tremblement de terre qui arriva du tems de l’empereur Constant, n’empêcherent pas que l’école de droit ne s’y rétablît. Elle le fut de nouveau par Justinien, & étoit encore célebre dans le septieme siecle, & qualifiée de mere des lois, comme on voit dans Zacharie de Myrilene :

Les empereurs Théodose le jeune & Valentinien III. établirent une autre école de droit à Constantinople en 425. Cette école étoit remplie par deux professeurs, dont l’un nommé Léontius, fut honoré des premiers emplois.

Quelques-uns ont avancé, mais sans preuve, que les mêmes empereurs avoient aussi établi deux professeurs de droit à Rome ; il paroît seulement que l’école de Rome étoit déjà établie avant Justinien.

En effet, cet empereur voulant que l’étude du droit fût mieux reglée que par le passé, restraignit la faculté d’enseigner le droit aux trois écoles ou académies qui étoient déjà établies dans les trois principales villes de l’empire, qui étoient Rome, Constantinople, & Beryte. Théodore & Cratinus furent professeurs à Constantinople ; Dorothée & Anatolius, à Beryte ; ceux de Rome furent sans doute aussi choisis parmi les jurisconsultes, auxquels Justinien adresse sa constitution au sujet de l’étude du droit.

Pour animer le zele de ces professeurs & leur attirer plus de considération, Justinien les fit participer aux premieres charges de l’empire ; Théophile fut fait conseiller d’état, Cratinus thrésorier des libéralités du prince, Anatolius consul : tous furent