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Caravage & du Bamboche. Il avoit une imagination pleine de feu, une grande facilité, & un goût quelquefois bisarre : sa touche est legere, & son coloris brillant. Ses compositions sont ingénieuses, souvent extraordinaires ; ses expressions sont vives, & ses attitudes variées. On lui reproche de n’être pas correct. Il finissoit peu ses tableaux : mais les moins finis sont les plus recherchés.

Le Bourdon a embrassé tous les genres de Peinture. Ses paysages sont estimés par le coloris & par une bisarrerie piquante. On voit encore de cet habile artiste des pastorales, des bambochades, des corps-de-garde, outre des sujets d’histoire. Trois des meilleurs tableaux qui ornent l’église de S. Pierre de Rome, sont du Poussin, du Valentin, & du Bourdon. Le fameux tableau du martyre de S. Pierre, est de ce dernier.

Sueur, (Eustache le) né à Paris en 1617, mourut à la fleur de son âge dans la même ville, en 1655 ; c’est un des plus grands maîtres de l’école françoise. On connoît les peintures dont il a orné le petit cloître des Chartreux, & qui ont été gâtées par quelques envieux de son rare mérite. Cet ouvrage consiste en 22 tableaux, où la vie de S. Bruno est représentée : le 7, le 13, & le 21, sont les plus beaux ; le dernier sur-tout étoit traité d’une maniere très-savante, pour la disposition des figures & les différentes expressions des religieux qui regardent leur pere expirer. La lumiere des flambeaux se voyoit répandue sur tous les corps, avec une entente admirable. Les flambeaux du Zeuxis des François ont été déchirés par la jalousie.

Brun, (Charles le) né à Paris en 1619, décéda dans la même ville en 1690. Il fut un de ces hommes destinés à faire la gloire de leur patrie, par l’excellence de leurs talens. Le Brun, à l’âge de 3 ans, tiroit les charbons du feu pour dessiner sur le plancher, & à douze, il fit le portrait de son ayeul : tableau estimé. On conserve dans la collection du palais royal, deux morceaux qu’il peignit à quinze ans ; l’un est Hercule assommant les chevaux de Diomede ; l’autre représente ce héros en sacrificateur.

Mais les ouvrages qu’il exécuta après son retour d’Italie, le mirent au rang des premiers peintres de l’Europe : ils sont tous marqués au coin d’un très grand maître, & peut-être n’a t-il manqué à la gloire de ce célebre artiste, qu’un peu moins d’uniformité dans ses productions, & un coloris plus varié & plus vigoureux ; il n’avoit qu’un pas à faire pour arriver à la perfection. Aucun peintre, depuis le Poussin, n’a mieux observé le costume que le Brun, ni possédé plus éminemment la poétique de l’art, & le talent de rendre les passions de l’ame.

Son tableau du massacre des Innocens nous émeut & nous attendrit, sans laisser des idées funestes qui nous importunent. Un morceau de sa main, encore au-dessus pour l’expression & le coloris, est la Magdeleine pénitente, qu’on voit à Paris dans une des chapelles des Carmélites du fauxbourg Saint-Jacques ; on ne peut se lasser de considérer & d’admirer cet ouvrage.

Le roi a deux galeries peintes de la main de le Brun, & remplies de morceaux qui lui auroient valu des autels dans l’antiquité : on y remarque sur-tout ses batailles d’Alexandre, gravées d’après ses desseins par Gérard Audran ; les estampes n’en sont pas moins recherchées, que celles des batailles de Constantin par Raphael & par Jules Romain.

Si la famille de Darius est effacée par le coloris des Pélerins d’Emmaüs de Paul Veronese, placés vis-à-vis, le François surpasse l’Italien par la beauté & la sagesse de la composition & du dessein : consultez le parallele raisonné qu’en a fait M. Perrault.

Enfin toutes les peintures dont le Brun a décoré

la grande galerie de Versailles, & les deux salons qui l’accompagnent, font l’objet de l’admiration des connoisseurs. Jamais ouvrage ne mérita mieux d’être gravé, comme il l’a été en 1753 sur les desseins & par les soins de M. Macé, peintre du roi. Ce recueil d’estampes, qui immortalise le nom de cet habile artiste, lui a coûte trente années de travail le plus assidu.

Coypel, (Noel) né a Paris en 1629, mort dans la même ville en 1717. Ses principaux ouvrages sont dans nos églises, aux Tuileries, à Versailles, à Trianon, &c. On voit dans l’église de Notre-Dame un beau tableau de sa main représentant le martyre de S. Jacques. Il a peint au palais royal, dans le plafond de la salle des gardes, le lever du Soleil.

Forest, (Jean) né à Paris en 1636, mort dans la même ville en 1712, est un des meilleurs paysagistes françois. Eleve de Pietro Francisco Mola, il l’égala dans le paysage. Il alla deux fois en Italie, & y resta sept ans dans le premier voyage. On remarque dans ses tableaux une touche hardie, de grands coups de lumiere, de savantes oppositions de clair-obscur & d’ombre, un style assez élevé, & des figures bien dessinées. On fait aussi grand cas de ses desseins.

Fosse, (Charles de la) né à Paris en 1640, mort dans la même ville en 1716. Il étoit oncle de l’auteur de Manlius, entra dans l’école de le Brun, & se montra un éleve digne de ce célebre artiste. Il acquit à Venise une peinture moëlleuse, & une intelligence du clair-obscur, qui le place au rang des bons coloristes, ses carnations ne sont pourtant point dans le ton de la nature : on lui reproche encore d’avoir fait ses figures trop courtes, & d’avoir mal jetté ses draperies. Ses principaux ouvrages sont à Londres, à Paris, & dans les palais du roi. C’est lui qui a peint la coupole de l’église des Invalides. Il brilloit dans le fresque. Son tableau de réception à l’académie de Peinture, est l’enlevement de Proserpine ; beau morceau qu’on regarde comme son chef d’œuvre.

Jouvenet, né à Roüen en 1644, mort à Paris en 1717. Il étudia la nature avec une application & un discernement, qui le mettent au rang des plus fameux artistes. Le tableau de Mai, dont le sujet est la guérison du paralytique, annonça l’excellence de ses talens ; & ce qui est bien singulier, c’est qu’étant devenu lui-même sur la fin de ses jours paralytique du côté droit, à la suite d’une attaque d’apoplexie, il dessinoit encore de la main droite, quoiqu’avec beaucoup de difficulté ; enfin il s’habitua tellement à se servir de la main gauche, qu’on voit plusieurs belles peintures qu’il a exécutées de cette main, entre autres le tableau appellé le Magnificat, qui est dans le chœur de Notre-Dame.

Ses ouvrages en grand nombre se trouvent dans toutes les autres églises de Paris. On connoît en particulier les quatre morceaux qu’il composa pour l’église de S. Martin des Champs, & qui ont été exécutés en tapisserie ; ils sont singulierement estimés pour la grandeur de la composition, la hardiesse, & la correction du dessein, la fierté du pinceau, & l’intelligence du clair-obscur. On connoît aussi de sa main la guérison de plusieurs malades sur le lac de Génésareth ; tableau excellent, qui est dans l’église des Chartreux. Il a peint à fresque de la plus grande maniere, les douze apôtres qui sont au-dessous de la coupole de l’église des Invalides. M. Restout est l’éleve & le neveu de cet habile homme, dont il fait revivre les talens.

Parrocel, (Joseph) né en 1648 en Provence, mort à Paris en 1704. Il se rendit de bonne-heure en Italie, rencontra à Rome le Bourguignon, se mit sous sa discipline, & le surpassa même à représenter des batailles. Il étudia à Venise le coloris des savans maî-