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sans inspiration, étoit une véritable prophétie dans un autre sens, auquel le prophete ne faisoit aucune attention ; & il allegue en preuve l’exemple du grand-prêtre Caïphe, qui prophétisa contre son intention & sans pénétrer le sens de ce qu’il disoit, lorsqu’il proféra cette parole touchant Jesus-Christ, Il est expédient qu’un homme meure pour tout le peuple. Tel est le système de M. le Clerc.

Avant que d’entrer en preuve sur l’inspiration des Ecritures & sur son objet, il est bon d’expliquer quelques termes relatifs à cette matiere, & que nous avons déja employés, & de faire quelques distinctions nécessaires pour éviter la confusion des idées.

On entend par révélation la manifestation d’une chose inconnue, soit qu’on l’ait toûjours ignorée, soit qu’on l’ait oubliée après l’avoir connue.

L’inspiration est un mouvement intérieur du Saint-Esprit qui détermine un auteur à écrire & le conduit de telle maniere lorsqu’il écrit, qu’il lui suggere au moins les pensées, & le préserve de tout danger de s’écarter de la vérité.

L’assistance ou direction est un secours de Dieu, par lequel celui qui prononce sur quelques vérités de la religion ne peut s’égarer, ni se tromper dans la décision. C’est ce secours que les catholiques reconnoissent avoir été promis à l’Église, & qui la rend infaillible, lorsqu’elle décide dans les conciles généraux, ou que sans être assemblée elle donne son consentement à ce qui a été décidé par le saint siége ou dans quelque concile particulier ; comme il est arrivé à l’égard des décisions du second concile d’Orange sur les matieres de la grace.

Le pieux mouvement admis par Grotius & par d’autres, vient du ciel ; il excite l’auteur à écrire, & lui donne la pensée & la volonté de ne point se tromper de dessein prémédité, sans cependant qu’il soit assûré d’une protection spéciale qui le préserve de toute erreur.

On distingue dans l’Ecriture les choses & les termes qui énoncent les choses. Les choses contenues dans l’Ecriture sont des histoires, ou des prophéties, ou des doctrines ; & celles-ci sont ou philosophiques, qui ont pour objet le méchanisme ou la structure du monde ; ou théologiques, qui se divisent en spéculatives, quand elles ont Dieu pour objet, sans influer sur les mœurs, & en pratiques, quand elles ont pour objet les devoirs de l’homme. Les termes de l’Ecriture sont les paroles dont les auteurs sacrés se sont servis. L’ordre & la liaison des termes forment ce qu’on appelle le style des Livres saints.

Ces notions présupposées, les théologiens catholiques conviennent assez généralement que quant aux choses & aux pensées les Livres saints ont été divinement inspirés, ou que pour les écrire l’assistance & le pieux mouvement n’ont pas suffi aux écrivains sacrés, mais qu’il leur a fallu une inspiration proprement dite. Mais comme c’est un point qui n’est pas susceptible de démonstration par les seules lumieres de la raison ; ils ont recours, pour le prouver, à l’autorité de l’Ecriture même, & à celle des peres. 1°. l’Ecriture se rend à elle-même ce témoignage qu’elle a été inspirée de Dieu. Toute Ecriture divinement inspirée, dit S. Paul, épit. jx chap. iij. §. 16, (en grec θεόπνευστος, communiquée par le souffle divin) est utile pour enseigner, &c. Il appelle encore l’Ecriture la parole de Dieu, les oracles de Dieu. eloquia Dei, τὰ λόγια τοῦ θεοῦ. De-là ces expressions si usitées dans les prophetes : factus est sermo Domini, factum est verbum Domini, hæc dicit Dominus, &c. S. Pierre dit en particulier des prophéties dans sa seconde épitre, chap. j. §. 21. Ce n’a point été par la volonté des hommes que les prophéties nous ont été anciennement apportées, mais ç’a été par l’inspiration du Saint-Esprit que les saints hommes de Dieu

ont parlé. La vulgate porte : Spiritu sancto inspirati, & on lit dans le grec φερόμενοι, acti, impulsi, ce qui marque un mouvement d’un ordre supérieur à la simple assistance ou direction, & au pieux mouvement imaginé, ou du moins soutenu par Grotius. 2°. Les textes des peres ne sont pas moins précis sur cette matiere. Les uns, tels qu’Athenagoras, saint Justin, Théophile d’Antioche, S. Irenée, Tertullien, Origene, Eusebe, &c. disent que les écrivains sacrés ont écrit par l’impulsion du Saint-Esprit, par l’inspiration du Verbe, qu’ils sont les organes de la Divinité : ils les comparent à des instrumens de musique qui ne rendent des sons que par le souffle du musicien qui les embouche, ou par l’impulsion de l’archet qui forme des vibrations sur leurs cordes. Les autres, tels que S. Gregoire de Nazianze, S. Basile, S. Gregoire de Nysse, S. Jerôme, S. Augustin, S. Gregoire-le-Grand, &c. disent que les auteurs sacrés ont été poussés par le souffle de Dieu, que l’Esprit saint est l’inspirateur des Ecritures, qu’il en est l’auteur, &c. On peut consulter les textes dans les peres mêmes ou dans les interpretes & les théologiens.

Mais, dit-on, est-il probable, n’est-il pas même indigne de la science infinie & de la majesté de Dieu, d’avancer qu’il a inspiré aux écrivains sacrés tant de choses peu exactes, pour ne pas dire absurdes, en fait de physique ? Quelle nécessité de recourir à l’inspiration pour les évenemens historiques, dont ces auteurs ont été témoins oculaires, ou qu’ils ont pu apprendre par une tradition écrite ou orale ?

C’est ici qu’il faut se rappeller les définitions que nous avons données des différentes sortes de secours que les Théologiens ont cru plus ou moins nécessaires aux écrivains sacrés pour composer les livres qui portent leurs noms, & les distinctions que nous avons mises entre les divers objets sur lesquels les plumes de ces écrivains se sont exercées. C’est ici, dis-je, qu’il faut bien discerner la révélation de la simple inspiration. Dieu, sans doute, a révélé aux prophetes les évenemens futurs, parce que la vûe de l’homme foible & bornée ne peut percer dans l’avenir, qui ne se dévoile qu’aux yeux de celui pour qui tout est present ; il leur a révélé ainsi qu’aux apôtres les vérités spéculatives, ou pratiques, qui devoient faire le fonds ou l’essence de la religion : mais pour ces connoissances de pure curiosité, dont la connoissance ou l’ignorance n’influe ni sur le bonheur ou le malheur réel des hommes, & dont l’acquisition ou la privation ne va point à les rendre meilleurs ; on peut assûrer sans crainte de déprimer la majesté de Dieu, ou de rien diminuer de sa bonté, qu’il n’a point révélé ces sortes d’objets aux écrivains sacrés. Le but des Ecritures étoit de rendre les hommes bons, vertueux, justes, agréables aux yeux de Dieu ; & que fait à cela tel ou tel système de physique ? D’ailleurs il n’est peut-être pas sûr que la physique de l’Ecriture en general, ne soit pas la vraie physique ; mais quelle qu’elle soit enfin, Dieu n’en a pas moins inspiré les écrivains sacrés sur ce qui concernoit le sort des hommes, par rapport à l’éternité ; & il n’est pas démontré qu’ils soient dans l’erreur, même relativement aux connoissances philosophiques. Je dis la même chose des évenemens historiques. Non, sans doute, Moyse n’a pas eu besoin d’une révélation spéciale pour connoître & décrire les playes de l’Egypte, les campemens des Israélites dans le desert, les miracles que Dieu opéra par son ministere, les victoires ou les défaites de son peuple ; en un mot toutes les merveilles de sa mission & de la législation. S. Luc en écrivant les actes des apôtres, atteste à son ami Théophile, qu’après avoir été informé très-exactement, & depuis leur premier commencement, des choses qu’il va décrire, il doit lui en représenter toute la suite, afin qu’il connoisse la vérité de tout