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vres. On prétend qu’il s’en est trouvé en Afrique du poids de cent vingt-cinq livres ; les Anglois en ont rapporté de cette partie du monde, qui avoient plus de huit piés de longueur, & qui pesoient quatre-vingt-dix livres. On dit que la mesure ordinaire des éléphans d’Afrique est de neuf ou dix piés de longueur, & de onze ou douze de hauteur. Il y a dans l’île de Ceylan un très-grand nombre d’éléphans, au rapport du capitaine Ribeiro, Hist. de Ceylan, 1701. Les plus grands ont neuf coudées depuis la pointe du pié jusqu’à l’épaule. Plusieurs auteurs s’accordent à dire que les éléphans de cette île sont mieux faits, plus courageux, & ont plus d’instinct que les autres, quoiqu’ils soient plus petits. Les éléphans sont de couleur brune ; il y en a quelques-uns de blancs dans les Indes, mais ils sont très-rares.

L’éléphant allonge & raccourcit sa trompe ; il dirige l’extrémité en-haut, en-bas, de côté ou en arriere : elle est flexible en tout sens, il la meut à son gré & selon ses besoins ; car il s’en sert comme d’un bras & d’une main. Il embrasse avec sa trompe tout ce qu’il veut soûlever ou entraîner, par le moyen d’un rebord qui est au bout, & du prolongement de ce rebord, qui ressemble à une sorte de doigt : il saisit les choses les plus petites. C’est surtout à l’aide de ce doigt qu’il montre une adresse dont on ne croiroit pas qu’un animal si massif fût capable. Enfin c’est avec sa trompe qu’il porte à sa bouche tous ses alimens, soit solides, soit liquides, mais pour entendre la méchanique qu’il employe à cet effet, il faut se souvenir que les deux ouvertures des narines sont au fond de la cavité qui se trouve à l’extrémité de la trompe : c’est donc par cet organe qu’il respire, aussi plusieurs voyageurs ont regardé la trompe comme un nez fort allongé. L’air qui passe par cette trompe dans l’inspiration & dans la respiration, la rend propre à la succion, & lui donne la force de projetter les choses qui se trouvent dans sa cavité. Lorsque l’animal applique les bords de l’extrémité de cette trompe sur quelque corps, & qu’il retire en même tems son haleine, ce corps reste collé contre la trompe, & en suit les différens mouvemens. C’est ainsi que l’éléphant enleve des choses fort pesantes, & même jusqu’au poids de deux cents livres. Lorsqu’il a soif, il trempe le bout de sa trompe dans l’eau, & en inspirant il remplit d’eau toute la cavité de la trompe ; ensuite il la recourbe en-dessous, pour en porter l’extrémité dans sa bouche : alors l’animal pourroit aisément faire couler l’eau de la trompe dans la bouche, par un mouvement d’expiration ; mais de cette façon il ne l’avaleroit pas sans qu’il en entrât dans le larynx, puisque ce mouvement d’expiration suppose nécessairement que l’épiglotte est levée : aussi l’éléphant enfonce sa trompe jusque dans le gosier au-delà de l’épiglotte, & on entend un grand bruit que fait l’eau en sortant de la trompe pour descendre dans l’œsophage. D’ailleurs on ne voit aucun mouvement de succion dans les levres, ce qui prouve que l’eau est poussée par l’expiration, & non pas attirée par la succion. De même quand l’éléphant prend l’herbe, il l’arrache avec sa trompe, & en fait des paquets qu’il porte au fond de sa bouche. Ces observations ont fait présumer qu’il tete aussi avec sa trompe, mais on n’a jamais vû d’éléphant teter ; on n’a jamais vû non plus qu’il prît aucune chose immédiatement avec sa bouche, si ce n’est qu’il reçoit ce qu’on y jette. Il fait jaillir au loin & dirige à son gré l’eau dont il a rempli sa trompe : on dit qu’elle en peut contenir plusieurs seaux. Lorsqu’on mene l’éléphant au combat, on attache à l’extrémité de la trompe une chaîne ou un sabre nud, dont il se sert avec beaucoup d’adresse pour frapper l’ennemi.

L’éléphant a beaucoup d’instinct & de docilité ; on

l’apprivoise si aisément, & on le soûmet à tant d’exercices différens, que l’on est surpris qu’une bête aussi lourde prenne si facilement les habitudes qu’on lui donne. Pour le conduire on se met à cheval sur son cou ; on tient à la main une grosse verge de fer très-pointue par un bout, & terminée à l’autre par un crochet très-fort & aussi très-pointu ; on se sert de la pointe au lieu d’éperon, & le crochet supplée à la bride ; car on pique l’animal aux oreilles & au museau pour diriger sa marche, le conducteur étant ainsi posté. On se place sur le dos de l’éléphant : les femmes se servent, comme les hommes, de cette monture ; mais on dit qu’elle est fort incommode, & qu’on aimeroit mieux faire dix lieues sur un cheval, qu’une seule sur un éléphant. On leur fait aussi porter des tours, dans lesquelles on place plusieurs hommes armés pour la guerre. Ces tours, au moins celles dont parle Pietro della Valle dans ses Voyages, sont longues & larges comme un grand lit, & placées en-travers sur le dos de l’éléphant ; elles peuvent contenir six ou sept personnes assises à la maniere des Levantins : il y en a d’autres où dix ou douze combattans peuvent se placer. Pour les voyages des femmes de qualité & des grands seigneurs, les éléphans ont au lieu de tours, des pavillons richement ornés, dans lesquels on peut s’asseoir ou se coucher. Les éléphans portent aussi de toutes sortes de fardeaux, jusqu’à de petites pieces de canon sur leurs affuts. Au rapport de Thevenot (voyage du Lev.), la charge des plus forts éléphans est de plus de trois mille livres. Cet animal a le pié si sûr, qu’il ne bronche presque jamais. Il fait beaucoup de chemin en peu de tems, à cause de la longueur de ses jambes : en allant le pas, il atteint un homme qui court. Lorsqu’on le presse, il peut faire en un jour le chemin de six journées ; il court comme le cheval, au galop, & il fend l’eau avec autant de vîtesse qu’une chaloupe de dix rames. Lorsqu’on est poursuivi par cet animal, on ne peut l’éviter qu’en faisant des détours, parce qu’il n’est pas aussi prompt à se retourner de côté qu’à marcher en-avant. Les éléphans plient les jambes de devant, & même celles de derriere. Lorsqu’on veut les charger on monte dessus, & ils aident avec leur trompe. Lorsqu’ils sont en voyage ils ne se couchent que rarement ; mais dans d’autres tems ils se couchent toutes les nuits, & se relevent avec beaucoup de facilité. Ces animaux sont fort commodes & fort utiles pour le service qu’ils rendent, mais ils coûtent beaucoup à nourrir. Thevenot dans son Voyage du Levant, dit qu’à Delhy, outre la viande qu’on leur fait manger, & l’eau-de-vie qu’on leur fait boire, on leur donne une pâte de farine, de sucre & de beurre, & chacun en consomme au moins par jour pour une demi-pistole. Fr. Pierre de Laval rapporte dans ses voyages, qu’un éléphant mange cent livres de ris par jour : ils prennent tout ce qu’on leur donne, principalement du biscuit. Un seul de ces animaux peut manger en un jour ce qui suffiroit pour nourrir trente hommes durant une semaine ; cependant on en a vû se passer de manger pendant huit ou dix jours. Les éléphans sauvages vivent d’herbe, de de fruits, & de branches d’arbres, dont ils machent du bois assez gros.

Ces animaux sont fort tranquilles, & ne s’irritent que lorsqu’on les offense ; alors ils dressent les oreilles & la trompe, & c’est avec la trompe qu’ils renversent les hommes ou les jettent au loin, arrachent des arbres, & soûlevent tout ce qui leur fait obstacle. Lorsqu’ils ont terrassé un homme & que leur fureur est grande, ils l’entraînent à l’aide de leur trompe contre leurs piés de devant, & marchent dessus ou le massacrent en le frappant & le perçant avec leurs défenses. C’est aussi par les coups redoublés de ces défenses qu’ils abattent des murs, & qu’ils frap-