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courir contre un éléphant sauvage, qui suit aussi-tôt & se présente aux ouvertures du parc pour en sortir ; mais il est repoussé par les éléphans de guerre qui forment l’enceinte du dehors ; & pendant qu’il marche ainsi dans le parc, les chasseurs jettent leurs nœuds si à-propos dans les endroits où il doit mettre le pié, qu’en peu de tems tous les éléphans sauvages sont attachés. On les met entre des éléphans privés pour les conduire, comme dans la chasse dont il a déjà été fait mention.

Au Pégu on employe pour cette chasse plus d’art, mais moins de monde. On a plusieurs femelles dressées au manége qu’elles doivent faire dans cette occasion ; on les frote aux parties de la génération avec une huile fort odoriférante, que les mâles sentent de loin ; on mene ces femelles dans les forêts, & bientôt les éléphans sauvages accourent de toutes parts, & les suivent : alors elles prennent le chemin d’un parc environné de gros pieux plantés à telle distance l’un de l’autre, qu’un homme peut passer entre deux, mais non pas un éléphant, excepté à l’entrée du parc où il y a une grande ouverture qui se ferme par une herse. Il se trouve aussi entre les pieux plusieurs portes qui communiquent chacune dans une écurie, & que l’on peut fermer par des coulisses. Lorsque les femelles privées sont entrées dans le parc avec les éléphans sauvages, on fait tomber la herse pour clore la grande ouverture ; ensuite les femelles entrent dans leurs écuries, & on baisse la coulisse des portes. Les éléphans se voyant seuls & enfermés, entrent en fureur ; ils poursuivent les hommes qui se trouvent dans le parc pour faire les manœuvres nécessaires : mais ceux-ci s’échappent entre les pieux, que les éléphans frappent avec leurs défenses ; mais ils cassent souvent leurs défenses, au lieu de briser les pieux : ils jettent de grands cris, ils pleurent, ils gémissent, & font des efforts de toute espece pendant deux ou trois heures ; enfin les forces leur manquent, ils s’arrêtent, la sueur coule de toutes les parties de leur corps, ils laissent tomber leur trompe à terre, & il en sort une grande quantité d’eau. Lorsqu’ils sont dans cet état ; on fait sortir les femelles de leurs écuries, elles rentrent dans le parc, & se mêlent parmi les éléphans sauvages. Bien-tôt elles vont dans d’autres écuries qui sont destinées à ces éléphans ; chacun suit une femelle & entre après elle dans une écurie : mais il s’y trouve seul, car la femelle sort par une porte de derriere, & aussi-tôt on enferme l’éléphant sauvage dans cette écurie où il se trouve fort serré ; on l’y tient lié ; il passe quatre ou cinq jours sans vouloir ni manger, ni boire ; enfin il s’accoûtume à son esclavage, & en huit jours il se trouve bien apprivoisé.

A Patane, qui est un royaume dépendant de celui de Siam, on mene seulement un grand éléphant privé dans le bois ; dès qu’un éléphant sauvage l’apperçoit, il vient l’attaquer : ces deux éléphans croisent leurs trompes en s’efforçant de se renverser l’un l’autre ; pendant que la trompe de l’éléphant sauvage est embarrassée, on lui lie les jambes de devant, alors il n’ose plus se remuer, parce qu’il craint de tomber : ainsi il est aisé de l’apprivoiser par la faim.

On tend aussi des chausses-trapes pour faire tomber les éléphans sauvages dans des fosses, & ensuite on les lie avec des cordes. L’éléphant s’apprivoise en peu de tems : trois jours suffisent, si on les prive de nourriture, ou si on les empêche de dormir. On les prend plus facilement lorsqu’ils sont très-jeunes. Voy. le prem. voyage de Siam, par le P. Tachart ; les mémoires pour servir à l’histoire naturelle des animaux, qui a déjà été citée ; & plusieurs relations de voyageurs dont cet article a été extrait. Voyez Quadrupede. (I)

Eléphant, (Mat. méd.) de toutes les parties de cet animal, il n’y a que les dents qui soient en usa-

ge ; elles sont connues sous le nom d’ivoire. Voyez

Ivoire.

* Eléphans, (Hist. anc.) les anciens employerent cet animal dans leurs armées ; les Orientaux s’en étoient servi avant eux ; les Persans & les Indiens en avoient menés en troupe au combat. Il étoit difficile de les blesser. Ils écrasoient sous leurs piés tout ce qui s’opposoit à eux ; ils portoient des tours sur leur dos, d’où des soldats armés faisoient pleuvoir des traits, des fleches, des pierres, & des javelots sur leurs ennemis. Ils étoient dressés à saisir les hommes avec leur trompe, & à les jetter dans la tour qu’ils portoient. Ils rompoient les rangs ; ils épouvantoient les chevaux. Lorsqu’on se fut accoûtumé à cette espece de péril, on résista aux éléphans avec le feu, avec des poutres aiguës plantées devant les rangs, des haches dont on leur coupa les piés, des armes en forme de faulx dont on leur trancha la trompe, de longues piques qu’on leur enfonça sous la queue, où ils ont la peau moins épaisse ; enfin on leur opposa d’autres éléphans. On vit alors les animaux les plus terribles prendre part dans les querelles des hommes, & s’entre-détruire pour les défendre ou les venger.

Les Romains qui en virent pour la premiere fois dans l’armée de Pyrrhus, les prirent pour des bœufs de Lucanie ; une défaite totale fut la suite de leur ignorance. Dans la suite ils firent marcher eux-mêmes ces animaux contre leurs ennemis : ce fut une partie principale du butin qu’ils firent sur les Carthaginois. Ils en opposerent pour la premiere fois à Philippe ; ils en honorerent leurs triomphes ; ils en exposerent dans les jeux du cirque, où l’on vit quelquefois des éléphans vaincus par des hommes. C’étoit un bel exemple de la supériorité de l’industrie sur la force. On dit qu’ils en dresserent à marcher sur des cordes tendues. Ils en attelerent à leurs chars. César se fit éclairer par quarante éléphans, qui portoient devant lui des flambeaux à la guerre. On appelloit zoarque, celui qui commandoit un éléphant ; thérarque, celui qui en commandoit deux ; alpthérarque, celui qui en commandoit trois ; hylarque, celui qui en commandoit huit ; chératarque, celui qui en commandoit vingt ; & phallangarque, celui qui en commandoit soixante-quatre.

Eléphant, (Myth. Médailles.) L’éléphant sur les médailles est un des sujets qui a le plus exercé les antiquaires, pour en deviner les diverses significations. Il marque ordinairement les jeux publics & les triomphes, où l’on prenoit plaisir de faire voir au peuple ces sortes d’animaux. Dans les médailles de Jules-César sur la fin de la république, où il n’étoit pas permis de mettre sa tête sur les monnoies, on imagina pour flater son ambition de mettre à la place cet animal ; parce qu’en langue punique, césar signifioit un éléphant. Aussi dans la suite, l’éléphant fut pris pour une marque de la puissance souveraine : il est vrai cependant qu’il désigne ailleurs le symbole de l’éternité, ou celui de la piété envers Dieu. Mais pour abréger, voyez Spanheim, numismata ; Begeri, thesaurius Brandenburgicus ; & surtout Cuper (Gisbert), de elephantis, &c. Haga-Comit. 1719, in-folio, fig. Article de M. le Chevalier de Jaucourt.

Eléphant, nom donné à un ordre militaire ancien & fort honorable que conferent les rois de Danemark, & qu’ils n’accordent qu’aux personnes de la plus haute qualité, & d’un mérite extraordinaire.

On l’appelle l’ordre de l’éléphant, parce qu’il a pour arme un éléphant d’or émaillé de blanc, chargé d’une tour d’argent maçonnée de sable, sur une terrasse de synople émaillée de fleurs. Cette marque de l’ordre est ornée de diamans, & pend à un ruban bleu, ondé comme le cordon bleu en France. Chambers. (G)