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écarter les charbons qui couvroient son entrée. Quand la piece y est introduite, on la referme avec deux charbons seulement, à-travers desquels on regarde ce qui se passe.

Si l’on s’apperçoit que la fusion soit plus forte vers le fond de la moufle que sur le devant ou sur les côtés, on retourne la piece, jusqu’à ce qu’on ait rendu la fusion égale par-tout. Il est bon de savoir qu’il n’est pas nécessaire au premier feu, que la fusion soit poussée jusqu’où elle peut aller, & que la surface de l’émail soit bien unie.

On s’apperçoit au premier feu que la piece doit être retirée, lorsque sa surface, quoique montagneuse & ondulée, présente cependant des parties liées & une surface unie, quoique non plane.

Cela fait, on retire la piece ; on prend la taule sur laquelle elle étoit posée, & on la bat pour en détacher les écailles : cependant la piece refroidit.

On rebroye de l émail, mais on le broye le plus fin qu’il est possible, sans le mettre en bouillie. L’émail avoit baissé au premier feu : on en met donc à la seconde charge un tant-soit-peu plus que la hauteur du filet : cet excès doit être de la quantité que le feu ôtera à cette nouvelle charge. On charge la piece cette seconde fois, comme on l’a chargée la premiere : on prépare le fourneau comme on l’avoit préparé : on met au feu de la même maniere ; mais on y laisse la piece en fusion, jusqu’à ce qu’on lui trouve la surface unie, lisse & plane. Une attention qu’il faut avoir à tous les feux, c’est de balancer sa piece, l’inclinant de gauche à droite & de droite à gauche, & de la retourner. Ces mouvemens servent à composer entr’elles les parties de l’émail, & à distribuer également la chaleur.

Si l’on trouvoit à la piece quelque creux au sortir de ce second feu, & que le point le plus bas de ce creux descendît au-dessous du filet, il faudroit la recharger legérement, & la passer au feu, comme nous venons de le prescrire.

Voilà ce qu’il faut observer aux pieces d’or. Quant à celles ce cuivre, il faut les charger jusqu’à trois fois, & les passer autant de fois au feu : on s’épargne par ce moyen la peine de les user, l’émail en devient même d’un plus beau poli.

Je ne dis rien des pieces d’argent, car on ne peut absolument en émailler des plaques ; cependant tous les auteurs en font mention, mais je doute qu’aucun d’eux en ait jamais vû. L’argent se boursoufle, il fait boursoufler l’émail ; il s’y forme des œillets & des trous. Si l’on réussit, c’est une fois sur vingt ; encore est-ce très imparfaitement, quoiqu’on ait pris la précaution de donner à la plaque d’argent plus d’une ligne d’épaisseur, & qu’on ait soudé une feuille d’or par-dessus. Une pareille plaque soûtient à peine un premier feu sans accident : que seroit-ce donc si la peinture exigeoit qu’on lui en donnât deux, trois, quatre, & même cinq ? d’où il s’ensuit ou qu’on n’a jamais sû peindre sur des plaques d’argent émaillées, ou que c’est un secret absolument perdu. Toutes nos peintures en émail sont sur l’or ou sur le cuivre.

Une chose qu’il ne faut point ignorer, c’est que toute piece émaillée en plein du côté que l’on doit peindre, doit être contre-émaillée de l’autre côté, à moitié moins d’émail, si elle est convexe ; si elle est plane, il faut que la quantité du contre-émail soit la même que celle de l’émail. On commence par le contre-émail, & l’on opere comme nous l’avons prescrit ci-dessus ; il faut seulement laisser au contre-émail un peu d’humidité, sans quoi il en pourroit tomber une partie lorsqu’on viendroit à frapper avec la spatule les côtés de la plaque, pour faire ranger l’émail à sa surface, comme nous l’avons prescrit.

Lorsque les pieces ont été suffisamment chargées & passées au feu, on est obligé de les user, si elles

sont plates ; on se sert pour cela de la pierre à affiler les tranchets des cordonniers : on l’humecte, on la promene sur l’émail avec du grais tamisé. Lorsque toutes les ondulations auront été atteintes & effacées, on enlevera les traits du sable avec l’eau & la pierre seule. Cela fait, on lavera bien la piece, en la sayetant & brossant en pleine eau. S’il s’y est formé quelques petits œillets, & qu’ils soient découverts, bouchez-les avec un grain d’émail, & repassez votre piece au feu, pour la repolir. S’il en paroît qui ne soient point percés, faites-y un trou avec une onglette ou burin : remplissez ce trou, de maniere que l’émail forme au-dessus un peu d’éminence, & remettez au feu ; l’éminence venant à s’affaisser par le feu, la surface de votre plaque sera plane & égale.

Lorsque la piece ou plaque est préparée, il s’agit de la peindre. Il faut d’abord se pourvoir de couleurs. La préparation de ces couleurs est un secret ; cependant nous avons quelqu’espérance de pouvoir la donner à l’article Porcelaine. Voyez cet article. Il faudroit tâcher d’avoir ses couleurs broyées au point qu’elles ne se sentent point inégales sous la molette, de les avoir en poudre, de la couleur qu’elles viendront après avoir été parfondues, telles que, quoiqu’elles ayent été couchées fort épais, elles ne croûtent point, ne piquent point l’émail, ou ne s’enfoncent point, après plusieurs feux, au-dessous du niveau de la piece. Les plus dures à se parfondre passent pour les meilleures ; mais si on pouvoit les accorder toutes d’un fondant qui en rendit le parfond égal, il faut convenir que l’artiste en travailleroit avec beaucoup plus de facilité : c’est-là un des points de perfection que ceux qui s’occupent de la préparation des couleurs pour l’émail, devroient se proposer. Il faut avoir grand soin, sur-tout dans les commencemens, de tenir registre de leurs qualités, afin de s’en servir avec quelque sûreté ; il y aura beaucoup à gagner à faire des notes de tous les mélanges qu’on en aura essayés. Il faut tenir ses couleurs renfermées dans de petites boîtes de boüis qui soient étiquetées & numérotées.

Pour s’assûrer des qualités de ses couleurs, on aura de petites plaques d’émail qu’on appelle inventaires : on y exécutera au pinceau des traits larges comme des lentilles ; on numérotera ces traits, & l’on mettra l’inventaire au feu. Si l’on a observé de coucher d’abord la couleur égale & legere, & de repasser ensuite sur cette premiere couche de la couleur qui fasse des épaisseurs inégales ; ces inégalités détermineront au sortir du feu la foiblesse, la force & les nuances.

C’est ainsi que le peintre en émail formera sa palette ; ainsi la palette d’un émailleur est, pour ainsi dire, une suite plus ou moins considérable d’essais numérotés sur des inventaires, auxquels il a recours selon le besoin. Il est évident que plus il a de ces essais d’une même couleur & de couleurs diverses, plus il complete sa palette ; & ces essais sont ou de couleurs pures & primitives, ou de couleurs résultantes du mélange de plusieurs autres. Celles-ci se forment pour l’émail, comme pour tout autre genre de peinture : avec cette différence que dans les autres genres de peinture les teintes restent telles que l’artiste les aura appliquées ; au lieu que dans la peinture en émail, le feu les altérant plus ou moins d’une infinité de manieres différentes, il faut que l’émailleur en peignant ait la mémoire présente de tous ces effets ; sans cela il lui arrivera de faire une teinte pour une autre, & quelquefois de ne pouvoir plus recouvrer la teinte qu’il aura faite. Le peintre en émail a, pour ainsi dire, deux palettes, l’une sous les yeux, & l’autre dans l’esprit ; & il faut qu’il soit attentif à chaque coup de pinceau de les conformer entr’elles ; ce qui lui seroit très-difficile, ou peut-être impossible, si, quand il a commencé un ouvrage, il interrompoit