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usque ad satietatem visionis omni carni ; c’est-à-dire, comme porte l’Hébreu, ils seront un sujet de dégoût à toute chair, tant leurs corps seront horriblement défigurés par les tourmens.

Ces autorités suffisent pour fermer la bouche à ceux qui prétendent que les anciens Hébreux n’ont eu nulle connoissance des châtimens de la vie future, parce que Moyse ne les menace ordinairement que de peines temporelles. Les textes que nous venons de citer énoncent clairement des punitions qui ne doivent s’infliger qu’après la mort. Ce qu’on objecte encore, que les écrivains sacrés ont emprunté ces idées des poëtes grecs, n’a nul fondement : Moyse est de plusieurs siecles antérieur à Homere. Soit que Job ait été contemporain de Moyse, ou que son livre ait été écrit par Salomon, comme le prétendent quelques critiques, il auroit vêcu, vers le tems du siege de Troye, qu’Homere n’a décrit que quatre cents ans après. Isaïe, à la vérité, étoit à-peu-près contemporain d’Hésiode & d’Homere ; mais quelle connoissance a-t-il eu de leurs écrits, dont les derniers sur-tout n’ont été recueillis que par les soins de Pisistrate, c’est-à-dire fort long-tems après la mort du poëte grec, & celle du prophete qu’on suppose avoir été le copiste d’Homere.

Il est vrai que les Esseniens, les Pharisiens, & les autres sectes qui s’éleverent parmi les Juifs depuis le retour de la captivité, & qui depuis les conquêtes d’Alexandre avoient eu commerce avec les Grecs, mêlerent leurs opinions particulieres aux idées simples qu’avoient eu les anciens Hébreux sur les peines de l’enfer. « Les Esseniens, dit Joseph dans son Hist. de la guerre des Juifs, liv. II. chap. xij. tiennent que l’ame est immortelle, & qu’aussi-tôt qu’elle est sortie du corps, elle s’éleve pleine de joie vers le ciel, comme étant dégagée d’une longue servitude & délivrée des liens de la chair. Les ames des justes vont au-delà de l’Océan, dans un lieu de repos & de délices, où elles ne sont troublées par aucune incommodité ni dérangement des saisons. Celles des méchans au contraire sont reléguées dans des lieux exposés à toutes les injures de l’air, où elles souffrent des tourmens éternels. Les Esseniens ont sur ces tourmens à peu-près les mêmes idées que les poëtes nous donnent du Tartare & du royaume de Pluton ». Voyez Esseniens.

Le même auteur, dans ses antiquités judaïques, liv. XVIII. chap. ij. dit « que les Pharisiens croyent aussi les ames immortelles, & qu’après la mort du corps celles des bons joüissent de la félicité, & peuvent aisément retourner dans le monde animer d’autres corps ; mais que celles des méchans sont condamnées à des peines qui ne finiront jamais. » Voyez Pharisiens.

Philon, dans l’opuscule intitulé de congressu quærendæ eruditionis causâ, reconnoît, ainsi que les autres Juifs, des peines pour les méchans & des récompenses pour les justes : mais il est fort éloigné des sentimens des Payens & même des Esseniens au sujet de l’enfer. Tout ce qu’on raconte de Cerbere, des Furies, de Tantale, d’Ixion, &c. tout ce qu’on en lit dans les poëtes, il le traite de fables & de chimeres. Il soûtient que l’enfer n’est autre chose qu’une vie impure & criminelle ; mais cela même est allégorique. Cet auteur ne s’explique pas distinctement sur le lieu où sont punis les méchans, ni sur le genre & la qualité de leur supplice ; il semble même le borner au passage que les ames font d’un corps dans un autre, où elles ont souvent beaucoup de maux à endurer, de privations à souffrir, & de confusion à essuyer : ce qui approche fort de la métempsycose de Pythagore. Voyez Métempsycose.

Les Sadducéens qui nioient l’immortalité de l’ame, ne reconnoissoient par conséquent ni récompen-

ses ni peines pour la vie future. V. Sadducéens.

L’existence de l’enfer & des supplices éternels est attestée presque à chaque page du nouveau Testament. La sentence que Jesus-Christ prononcera contre les reprouvés au Jugement dernier, est concûe en ces termes : Matth. XXV. v. 34. Ite maledicti in ignem æternum qui paratus est diabolo & angelis ejus. Il représente perpétuellement l’enfer comme un lieu ténébreux où regnent la douleur, la tristesse, le dépit, la rage, & comme un séjour d’horreur où tout retentit des grincemens de dents & des cris qu’arrache le desespoir. S. Jean, dans l’Apocalypse, le peint sous l’image d’un étang immense de feu & de soufre, où les méchans seront précipités en corps & en ame, & tourmentés pendant toute l’éternité.

En conséquence, les Théologiens distinguent deux sortes de tourmens dans l’enfer : savoir, la peine du dam, pœna damni seu damnationis ; c’est la perte ou la privation de la vision béatifique de Dieu, vision qui doit faire le bonheur éternel des saints : & la peine du sens, pœna sensûs, c’est à-dire, tout ce qui peut affliger le corps, & sur-tout les douleurs cuisantes & continuelles causées dans toutes ses parties par un feu inextinguible.

Les fausses religions ont aussi leur enfer : celui des Payens, assez connu par les descriptions qu’en ont faites Homere, Ovide & Virgile, est assez capable d’inspirer de l’effroi par les peintures des tourmens qu’ils y font souffrir à Ixion, à Promethée, aux Danaïdes, aux Lapythes, à Phlégias, &c. mais parmi les Payens, soit corruption du cœur, soit penchant à l’incrédulité, le peuple & les enfans même traitoient toutes ces belles descriptions de contes & de rêveries ; du moins c’est un des vices que Juvenal reproche aux Romains de son siecle.

Esse aliquos manes & subterranea regna,
Et contum, & Stygio ranas in gurgite nigras,
Atque unâ transire vadum tot millia cimbâ,
Nec pueri credunt, nisi qui nondùm ære lavantur.
Sed tu vera puta
. Satyr. II.


Voyez Enfer, (Mythologie.)

Les Talmudistes, dont la croyance n’est qu’un amas ridicule de superstitions, distinguent trois ordres de personnes qui paroîtront au jugement dernier. Le premier, des justes ; le second, des méchans ; & le troisieme, de ceux qui sont dans un état mitoyen, c’est-à-dire, qui ne sont ni tout-à-fait justes ni tout-à-fait impies. Les justes seront aussi-tôt destinés à la vie éternelle, & les méchans au malheur de la gêne ou de l’enfer. Les mitoyens, tant Juifs que Gentils, descendront dans l’enfer avec leurs corps, & ils pleureront pendant douze mois, montant & descendant, allant à leurs corps & retournant en enfer. Après ce terme, leurs corps seront consumés & leurs ames brûlées, & le vent les dispersera sous les piés des justes : mais les hérétiques, les athées, les tyrans qui ont desolé la terre, ceux qui engagent les peuples dans le péché, seront punis dans l’enfer pendant les siecles des siecles. Les rabbins ajoûtent que tous les ans au premier jour de Tirsi, qui est le premier jour de l’année judaïque, Dieu fait une espece de révision de ses registres, ou un examen du nombre & de l’état des ames qui sont en enfer. Talmud in Gemar. Tract. Rosch. haschana c. j. fol. 16.

Les Musulmans ont emprunté des Juifs & des Chrétiens, le nom de gehennem ou gehim, pour signifier l’enfer. Gehenem, en arabe, signifie un puits très-profond ; & gehim, un homme laid & difforme ; ben gehennem, un fils de l’enfer, un réprouvé. Ils donnent le nom de thabeck à l’ange qui préside à l’enfer. D’Herbelot, Biblioth. orient. au mot Gehennem.