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ce de châtiment sur des chevaux d’une extrème finesse, & nous la substituons alors aux coups d’éperon violens, que nous reservons pour ceux qui ont beaucoup moins de sensibilité. Il seroit à craindre de les appliquer sur les premiers ; on les révolteroit d’autant plus aisément, que si le cavalier se roidit seulement sur eux, ils s’inquietent, dérobent les hanches ou les épaules, se traversent, & sont prêts à se livrer à quelque défense. Il est vrai que des chevaux ainsi dressés ne se rencontrent pas dans tous les manéges, & sur-tout dans ceux où l’on enseigne aux éleves à agir plûtôt de leurs jambes que de leur main. L’aide dont il s’agit opere au surplus directement sur la croupe, & dispose l’animal à entendre les autres aides qui sont infiniment plus douces, comme les châtimens avec les éperons le préparent à connoître celle-ci.

Pour attaquer parfaitement le cheval, il faudroit s’attacher à faire le contraire de ce que l’on voit pratiquer à la plûpart, des hommes, que l’on envisage comme de bons modeles. Pour cet effet, au lieu d’ouvrir les jambes ou de les porter d’abord en-avant, lorsqu’on veut vivement frapper des deux, on les approchera legerement du corps de l’animal, & on piquera fortement en appuyant les deux talons. On aura soin aussi de les ôter sur le champ ; car l’éperon fixé au corps de l’animal un certain espace de tems, l’avilit, le courrouce, & l’endurcit. Cet instrument ne devroit être confié qu’à des maîtres véritablement maîtres, c’est-à-dire à des hommes sages, savans, & persuadés qu’il n’en est point de plus nuisible quand on en abuse. Combien est-il de chevaux dont les vices n’ont d’autre source que la violence & la répétition des châtimens ? L’ignorant fait souvent par ce moyen d’un animal paisible & obéissant, un animal rétif, ramingue, & capable de tous les desordres que l’on peut imaginer : l’homme de cheval, au contraire, en rejettant la force & la rigueur, & en dispensant à-propos & avec connoissance les récompenses & les peines, triomphe du cheval le plus indocile & le plus rebelle. (e)

Eperon, (Hist. mod.) nom d’un ordre de chevalerie établi par le pape Pie IV. l’an 1560. Les chevaliers portent une croix tissue de filets d’or. Le pape Innocent XI. le conféra à l’ambassadeur de Venise, le 3 Mai 1677.

Autrefois, lorsqu’on dégradoit un chevalier de l’éperon, ou autre, on le faisoit botter & prendre ses éperons dorés, & on les lui brisoit sur les talons à coups de hache. Voyez le roman de Garin, manuscrit.

Li éperon li soit copé parmi
Près del talon, au franc acier forbi.


Voyez Chevalier.

Eperons, dans la Fortification, sont des solides de maçonnerie joints au revêtement, qui le mettent plus en état de résister à la poussée des terres du rempart. Voyez Contre-forts. (Q)

Eperon, Poulaine, Cap, Avantage, (Mar.) ces noms ont la même signification ; mais les deux derniers ne sont guere en usage.

L’éperon ou la poulaine est un assemblage de plusieurs pieces de bois, qu’on pose en saillie au-devant du vaisseau, qui sert à ouvrir les eaux de la mer, & à assujettir le mât de beaupré par des cordages, qu’on nomme des lieures. On y place plusieurs poulies, pour passer des manœuvres. Voyez Marine, Planc. I. l’éperon coté N.

L’éperon fait une saillie en-avant du corps du vaisseau, à prendre de l’étrave, que les constructeurs reglent sur la nature du bâtiment. Pour les vaisseaux, ils prennent la douzieme partie de l’étrave à l’étambord, qui leur sert à fixer la sortie de l’éperon au-dehors de l’étrave ; pour les frégates, la treizieme par-

tie ; pour les corvettes, la quatorzieme. Par exemple,

un vaisseau de quatre-vingts-dix canons, de 168 piés de longueur, aura 14 piés pour la sortie de l’éperon ; une frégate de 28 canons, de 151 piés 3 pouces de longueur, aura 7 piés 9 pouces 2 lignes de sortie de l’éperon.

Il est bon de raccourcir l’éperon & de diminuer sa pesanteur le plus qu’il est possible. Les constructeurs d’aujourd’hui le font beaucoup plus court que les anciens ; ils le restreignent à ce qui est nécessaire pour assujettir le beaupré, & pour placer les poulies qui servent à orienter la misaine, ainsi que toutes les autres voiles d’avant qui sont de grand usage, sur-tout pour faire arriver les vaisseaux : car c’est l’opération à laquelle la plûpart se refusent le plus.

L’éperon est composé d’un grand nombre de pieces, dont la situation se verra beaucoup plus aisément en renvoyant aux figures. Voyez Planche IV. figure 1. Les principales sont la gorgere ou taillemer, cotée 193 ; les aiguilles d’éperon, n°. 184 ; la frise, 185 ; la courbe capucine du gibelot, 186 ; allonge de gibelot, 187 ; les porte-vergues, 188 ; les courbâtons de porte-vergues, 189 ; vaigre de caillebotts d’éperon, 190 ; caillebotis d’éperon, 191 ; traversins d’éperon, 192 ; courbe de la poulaine, 194 ; herpes, 195.

On pourroit entrer dans le détail particulier de la grandeur & des proportions de chacune de ces pieces ; mais cela seroit très-long, & ici de peu d’utilité : on peut en cas de besoin avoir recours à l’excellent traité de la construction des vaisseaux de M. Duhamel. (Z)

Eperon, (Hydraulique.) est le même que arc-boutant. On s’en sert pour soûtenir les murs des terrasses contre la poussée des terres, ou quand on construit un bassin ou un aqueduc dans des terres rapportées. Voyez Arc-boutant. (K)

EPERONNÉ, adj. (Manége.) ne se dit plus qu’avec le mot botté. Je suis botté & éperonné ; ce qui signifie, il y a des éperons aux bottes que je viens de mettre. Voyez Botte.

EPERONNIER, sub. m. (Art méchaniq.) artisan qui forge, qui construit & qui vend des éperons, des mors de toute espece, des mastigadours, des filets, des bridons, des caveçons, des étriers, des étrilles, des boucles de harnois, &c. Les Eperonniers peuvent dorer, argenter, étamer, vernir, mettre en violet ou en couleur d’eau leurs ouvrages. Ils ont encore le droit de faire toutes sortes de boucles d’acier poli pour ceintures, porte-manchons, jarretieres, souliers, &c. mais communément ils ne se livrent pas à ce genre de travail.

Anciennement on comprenoit sous le titre de Lormiers, les Eperonniers, les Selliers & les Bourreliers ; que l’on appelloit alors Couturiers de lormerie, & ces ouvriers ne formoient ensemble qu’un seul & même corps. En 1678, les Selliers-Lormiers-Carrossiers, ou les Selliers-garnisseurs, obtinrent sans la participation des Lormiers-Eperonniers, des statuts, en qualité de maîtres d’une communauté particuliere : c’est ainsi que ces artisans se sont desunis, & qu’ils composent aujourd’hui deux corps de métiers différens.

Des lettres du roi Jean I. appellé par d’autres Jean II. données à Paris le 20 Mai 1357, & adressées au prevôt de Paris ou à son lieutenant, prouvent l’ancienneté des maîtres Lormiers, déjà établis en corps de jurande, puisqu’ils supplioient S. M. de vouloir bien retrancher des statuts de leur communauté nombre d’articles qui depuis très-long tems n’étoient d’aucune utilité, & y en ajoûter plusieurs autres également nécessaires au bien public & à celui de leur corps. En exécution de ces lettres le prevôt de Paris ayant assemblé la plus grande & la plus saine partie des maîtres & des compagnons, on dres-