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tanée, qui étoit un lieu public destiné à rendre la justice. Cette consignation étoit du dixieme, mais tout n’étoit pas pour les juges : on prenoit aussi sur ces deniers le salaire des sergens ; celui du juge étoit appellé τὸ δικαστικὸν.

A Rome, tous les magistrats & autres officiers avoient des gages sur le fisc, & faisoient serment de ne rien exiger des particuliers. Il étoit cependant permis aux gouverneurs de recevoir de petits présens appellés xenia, mais cela étoit limité à des choses propres à manger ou boire dans trois jours. Dans la suite, Constantin abolit cet usage, & défendit à tous ministres de justice d’exiger ni même de recevoir aucuns présens, quelque legers qu’ils fussent ; mais Tribonien, qui étoit lui-même dans l’usage d’en recevoir, ne voulut pas insérer cette loi dans le code de Justinien.

L’empereur lui-même se relâcha de cette sévérité par rapport aux juges d’un ordre inférieur ; il permit, par sa noyelle xv. chap. vj. aux défenseurs des cités de prendre, au lieu de gages, quatre écus pour chaque sentence definitive, & en la novelle lxxxij. chap. xjx. il assigne aux juges podanées quatre écus pour chaque procès, à prendre sur les parties, outre deux marcs d’or de gages qu’ils avoient sur le public.

Ces épices étoient appellées sportulæ, de même que le salaire des appariteurs & autres ministres inférieurs de la jurisdiction, ce qui venoit de sporta, qui étoit une petite corbeille où l’on recueilloit les petits présens que les grands avoient coûtume de distribuer à ceux qui leur faisoient la cour.

Par les dernieres constitutions greques, la taxe des épices se faisoit eu égard à la somme dont il s’agissoit ; comme de cent écus d’or on prenoit un demi-écu, & ainsi des autres sommes à proportion, suivant que le remarque Théophile, §. tripl. instit. de action.

On appelloit aussi les épices des juges pulveratica, comme on lit dans Cassiodore, lib. XII. variar. où il dit, pulveratica olim judicibus præstabantus ; pulveraticum étoit le prix & la récompense du travail, & avoit été ainsi appellé, en faisant allusion à cette poussiere dont les luteurs avoient coûtume de se couvrir mutuellement lorsqu’ils alloient au combat, afin d’avoir plus de prise sur leur antagoniste.

Quelques-uns ont crû qu’anciennement en France les juges ne prenoient point d’épices ; cependant, outre qu’il est probable que l’on y suivit d’abord le même usage que les Romains y avoient établi, on voit dans les lois des Visigoths, liv. I. tit. ij. ch. xxv. qui étoient observées dans toute l’Aquitaine, qu’il étoit permis au rapporteur de prendre un vingtieme, vigesimum solidum pro labore & judicatâ causâ ac legitimè deliberatâ. Il est vrai que le concite de Verneuil tenu l’an 884 au sujet de la discipline ecclésiastique, défendit à tous juges ecclésiastiques ou laïques de recevoir des épices, ut nec christus, nec abbas, nec. ullus laïcus pro justitiâ faciendâ sportulas accipiat.

Mais il paroît que cela ne fut pas toûjours observé ; en effet, dès le tems de S. Louis, il y avoit certaines amendes applicables au profit du juge, & qui dans ce cas tenoient lieu d’épices. On voit, par exemple, dans l’ordonnance que ce prince fit en 1254, que celui qui loüoit une maison à quelque ribaude, étoit tenu de payer au bailli du lieu, ou au prevôt ou au juge, une somme égale au loyer d’une année.

Ce même prince, en abolissant une mauvaise coûtume qui avoit été long-tems, observée dans quelques tribunaux, par rapport aux dépens judiciaires & aux peines que devoient supporter ceux qui succomboient, ordonne qu’au commencement du procès les parties donneront des gages de la valeur du

dixieme de ce qui fait l’objet du procès ; que ces gages seront rendus aux parties, & que dans tout le cours du procès on ne levera rien pour les dépens, mais qu’à la fin du procès celui qui succombera, payera à la cour la dixieme partie de ce à quoi il sera condamné, ou l’estimation ; que si les deux parties succombent chacune en quelque chef, chacune payera à proportion des chefs auxquels elle aura succombé ; que ceux qui ne pourront pas trouver des gages, donneront caution, &c.

Ce dixieme de l’objet du procès, que l’on appelloit decima litium, servoit à payer les dépens dans lesquels sont compris les droits des juges. Il étoit alors d’usage dans les tribunaux laïcs que le juge, sous prétexte de fournir au salaire de ses assesseurs, exigeoit des parties ce dixieme, ou quelque autre portion, avec les dépenses de bouche qu’ils avoient faites, ce qui fut défendu aux juges d’église par Innocent III, suivant le chap. x. aux décrétales de vitâ & honestate clericorum, excepté lorsque le juge est obligé d’aller aux champs & hors de sa maison ; le chapitre cum ab omni, & le chapitre statutum, veulent en ce cas que le juge soit défrayé.

Il n’étoit pas non plus alors d’usage en cour d’église de condamner aux dépens : mais en cour laie il y avoit trois ou quatre cas où l’on y condamnoit, comme il paroît par le chap. xcij. des établissemens de S. Louis en 1270, & ce même chapitre fait mention que la justice prenoit un droit pour elle.

Les privileges accordés à la ville d’Aiguesmortes par le roi Jean, au mois de Février 1350, portent que dans cette ville les juges ne prendroient rien pour les actes de tutelle, curatelle, émancipation, adoption, ni pour la confection des testamens & ordonnances qu’ils donneroient ; qu’ils ne pourroient dans aucune affaire faire saisir les effets des parties pour sûreté des frais, mais que quand l’affaire seroit finie, celui qui auroit été condamné payeroit deux sous pour livre de la valeur de la chose si c’étoit un meuble ou de l’argent ; que si c’étoit un immeuble, il payeroit le vingtieme en argent de sa valeur, suivant l’estimation ; que si celui qui avoit perdu son procès, ne pouvoit en même tems satisfaire à ce qu’il devoit à sa partie & aux juges, la partie seroit payée par préférence.

Il y eut depuis quelques ordonnances qui défendirent aux juges, même laïcs, de rien recevoir des parties ; notamment celle de 1302, rapportée dans l’ancien style du parlement, en ces termes : Præfati officiarii nostri nihil penitus exigant subjectis nostris.

Mais l’ordonnance de Philippe de Valois, du 11 Mars 1344, permit aux commissaires députés du parlement, pour la taxe des dépens, ou pour l’audition des témoins, de prendre chacun dix sous parisis par jour, outre les gages du roi.

D’un autre côté, l’usage s’introduisit que la partie qui avoit gagné son procès, en venant remercier ses juges, leur présentoit quelques boîtes de confitures seches ou de dragées, que l’on appelloit alors épices. Ce qui étoit d’abord purement volontaire passa en coûtume, fut regardé comme un droit, & devint de nécessité. Ces épices furent ensuite converties en argent : on en trouve deux exemples fort anciens avant même que les épices entrassent en taxe : l’un est du 12 Mars 1369 ; le sire de Tournon par licence de la cour sur sa requête donna vingt francs d’or pour les épices de son procès jugé, laquelle somme fut partagée entre les deux rapporteurs : l’autre est que le 4 Juillet 1371, un conseiller de la cour, rapporteur d’un procès, eut après le jugement de chacune des parties six francs.

Mais les juges ne pouvoient encore recevoir des épices ou présens des parties qu’en vertu d’une permission spéciale, & les épices n’étoient pas encore toûjours