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les refaire. Il faut donc reprendre les matériaux de nos connoissances, & les mettre en œuvre comme s’ils n’avoient pas été employés.

Les Cartésiens n’ont connu ni l’origine ni la génération de nos connoissances. Le principe des idées innées d’où ils sont partis, les éloignoit de cette découverte. Loke a mieux réussi, parce qu’il a commencé aux sens. Le chancelier Bacon s’est aussi apperçû que les idées qui sont l’ouvrage de l’esprit, avoient été mal faites, & que par conséquent pour avancer dans la recherche de la vérité, il falloit les refaire : Nemo, dit-il, adhuc tantâ mentis constantiâ & rigore inventus est, ut decreverit & sibi imposuerit theorias & notiones communes penitus abolere, & intellectum abrasum & æquum ad particularia de integro applicare. Itaque illa ratio humana quam habemus, ex multâ fide, & multo etiam casu, nec non ex puerilibus, quos primo hausimus, notionibus, farrago quædam est & congeries. Quod si quis ætate maturâ, & sensibus integris, & mente repurgatâ, se ad experientiam & ad particularia de integro applicet, de eo melius sperandum est.... Non est spes nisi in regeneratione scientiarum ; ut eâ scilicet ab experientiâ certo ordine excitentur & rursùs condantur : quod adhuc factum esse aut cogitatum, nemo, ut arbitramur, affirmaverit. Prévenu comme on l’étoit pour le jargon de l’école & pour les idées innées, on traita de chimérique le projet de renouveller l’entendement humain. Bacon proposoit une méthode trop parfaite, pour être l’auteur d’une révolution ; celle de Descartes devoit réussir ; elle laissoit subsister une partie des erreurs.

Une seconde cause de nos erreurs, sont certaines liaisons d’idées incompatibles qui se forment en nous par des impressions étrangeres, & qui sont si fortement jointes ensemble dans notre esprit, qu’elles y demeurent unies. Que l’éducation nous accoûtume à lier l’idée de honte ou d’infamie à celle de survivre à un affront, l’idée de grandeur d’ame ou de courage à celle d’exposer sa vie en cherchant à en priver celui de qui on a été offensé, on aura deux préjugés ; l’un qui a été le point d’honneur des Romains ; l’autre qui est celui d’une partie de l’Europe. Ces liaisons s’entretiennent & se fomentent plus ou moins avec l’âge. La force que le tempérament acquiert, les passions aux quelles on devient sujet, & l’état qu’on embrasse, en resserrent ou en coupent les nœuds.

Une troisieme cause de nos erreurs, mais qui est bien volontaire, c’est que nous prenons plaisir à nous défigurer nous-mêmes, en effaçant les traits de la nature & en obscurcissant la lumiere qu’elle avoit mise en nous ; & cela par le mauvais usage de la liberté qu’elle nous a donnée.

C’est ce qui peut arriver de diverses manieres : tantôt par une curiosité outrée, qui nous portant à connoître les choses au-delà des bornes de notre esprit & de l’étendue de nos lumieres, fait que nous ne rencontrons plus que ténebres : tantôt par une ridicule vanité qui nous inspire de nous distinguer des autres hommes, en pensant autrement qu’eux, dans les choses où ils sont naturellement capables de penser aussi-bien que nous : tantôt par la prévention d’un parti ou d’une secte, qui fait illusion en certain tems & en certain pays : tantôt par la suite imposante d’un grand nombre de vérités de conséquence, qui en ébloüissant nos yeux, font disparoître la fausseté de leur principe : tantôt enfin par un intérêt secret qu’on trouve à obscurcir & à méconnoître les sentimens de la nature, afin de se délivrer des vérités incommodes. Voyez l’essai sur l’origine des connoissances humaines, par M. l’abbé de Condillac. Article tiré des papiers de M. Formey. Voyez encore, sur les erreurs de l’esprit, l’article Evidence, §. 28-38.

Erreur, (Jurisprud.) c’est lorsque l’on a dit ou

fait une chose, croyant en dire ou faire une autre.

L’erreur procede du fait ou du droit.

L’erreur ou ignorance de fait, consiste à ne pas savoir une chose, qui est, par exemple, si un héritier institué ignore le testament qui le nomme héritier, ou si sachant le testament, il ignore la mort de celui à qui il succede.

On appelle aussi erreur de fait, lorsqu’un fait est avancé pour un autre, & que cela est fait par ignorance ; en ce cas c’est une erreur ou un faux énoncé : si le fait faux étoit avancé sciemment, il y auroit de la mauvaise foi.

L’erreur ou ignorance de droit, consiste à ne pas savoir ce qu’une loi ou coûtume ordonne.

On peut être dans l’erreur par rapport au droit positif ; mais personne n’est présumé ignorer le droit naturel ; les gens mêmes les plus simples & les plus grossiers ne sont pas excusés à cet égard : nec in eâ re rusticitati veniâ proebeatur. Lib. II. cod. de in jus voc.

L’ignorance où quelqu’un est de ses droits, peut venir d’une erreur de fait, ou d’une erreur de droit. Par exemple, s’il ignore qu’il soit parent, c’est une ignorance de fait ; s’il croit qu’un plus proche que lui l’exclut, ne sachant qu’il concourt avec lui par le moyen de la représentation, c’est une ignorance de droit.

L’erreur de fait ou de droit ne nuit jamais au mineur.

A l’égard des majeurs, l’erreur de fait ne leur préjudicie pas ; parce que celui qui fait ainsi quelque chose par erreur n’est pas censé consentir, puisqu’il ne le fait pas en connoissance de cause : mais il faut pour cela que l’erreur de fait soit telle qu’il paroisse évidemment qu’elle a été le seul fondement du consentement qui a été donné ; encore l’acte n’est-il pas nul de plein droit, mais il faut prendre la voie des lettres de rescision.

Si le consentement peut avoir été déterminé par plusieurs causes, l’erreur qui se trouve par rapport à quelques-unes de ces causes, ne détruit pas l’acte dès qu’il y a encore quelque autre cause qui peut le faire subsister.

L’ignorance des faits qui a induit en erreur est toûjours présumée, lorsqu’il n’y a pas de preuve contraire, excepté dans les choses qui sont personnelles à celui qui allegue l’erreur, parce que chacun est présumé savoir ce qui est de son fait.

Lorsqu’un des contractans a été induit en erreur par le dol de l’autre, ce dol forme un double moyen de restitution.

L’erreur de droit n’est point excusée à l’égard des majeurs, car chacun est présumé savoir les lois, & sur-tout le droit naturel.

Néanmoins s’il s’agit d’une loi de droit positif, & qu’il soit évident que l’on n’a traité qu’à cause de l’ignorance de ce droit, il peut y avoir lieu à la restitution : mais si l’acte peut avoir eu quelque autre cause, si l’on peut présumer que celui qui n’a pas fait valoir son droit y a renoncé volontairement, en ce cas l’erreur de droit ne forme pas un moyen de restitution. Voyez au digeste le titre de juris & facti ignorantiâ. (A)

Erreur de Calcul, est la méprise qui se fait en comptant & marquant un nombre pour un autre. Cette erreur ne se couvre point, l. unic. cod. de err. calc. Voyez l’ordonnance de 1667, titre xxjx. art. 21. (A)

Erreur commune, est celle où sont tombés la plûpart de ceux qui avoient intérêt de savoir un fait qu’ils ont cependant ignoré. C’est une maxime en droit que error communis facit jus, c’est-à-dire qu’elle excuse celui qui y est tombé, comme les autres. Il y