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bleue, & l’escadre bleue & blanche. Voyez Armée navale. (Z)

ESCADRON, s. m. (Art milit.) agmen equestre, turma equestris. Dans la premiere origine on disoit agmen quadratum, d’où il est aisé de conclure que du mot italien quadro, les François ont fait celui de scadron, comme on disoit il n’y a pas encore cent ans :

Aux scadrons ennemis on a vu sa valeur
Peupler les monumens.

Racan, de l’Acad. Franç.

Ducange le fait venir de scara, mot de la basse latinité.

Bellatorum acies quas vulgari sermone scaras vocamus.

Hincmar, aux évêq. de Rheims, c. 3.

<poem>Scaram quam nos turmam vel cuneum appellare consuevimus.

</poem>
Aimoin, liv. IV. c. xxvj.

Les Espagnols disent escadro, per avar forma quadrada ; les Allemans appellent l’escadron, schwadron, geswader ou reuter schaar, qui veut dire bande de reistres.

Escadron est un assemblage de gens à cheval destinés pour combattre ; le nombre des hommes, celui des rangs & des files, ainsi que la forme qu’on doit donner aux escadrons, a varié de tous les tems, & n’est point encore déterminée ; l’espece de gens à cheval, la quantité qu’on en a, les occurrences, & plus encore l’opinion de ceux qui commandent, ont jusqu’à présent fait la loi à cet égard.

Les deux plus anciens livres que nous ayons, l’un sacré, & l’autre prophane, ne nous disent rien de l’ordre dans lequel on faisoit servir la cavalerie ; Moyse nous apprend seulement qu’avant lui l’usage de monter à cheval étoit connu ; & Homere ne nous enseigne rien de la maniere dont les Grecs & les Troyens se servoient de leur cavalerie dans la guerre qu’ils eurent ensemble. Voyez Equitation. Ainsi nous parlerons de celle des tems moins reculés, comme on se l’est proposé par le renvoi du mot cavalerie à celui d’escadron : & après avoir dit quelque chose de son utilité, de ses services, des succès qu’elle a procurés, &c. on expliquera les différentes formes qu’on a donné à la cavalerie, comprise sous le nom d’escadron.

Les plus grands capitaines ont toûjours fait un cas particulier de la cavalerie ; les services qu’ils en ont tirés, le grand nombre de succès décisifs, dûs principalement à ce corps dans les occasions les plus importantes dont l’histoire ancienne & moderne nous a transmis le détail ; enfin le témoignage unanime des auteurs que nous regardons comme nos maîtres dans l’art de la guerre, sont autant de preuves indubitables que la cavalerie est non-seulement utile, mais d’une nécessité absolue dans les armées.

Polybe attribue formellement les victoires remportées par les Carthaginois à Cannes & sur les bords du Tessin, celles de la Trébie & du lac de Thrasymenne, à la supériorité de leur cavalerie. « Les Carthaginois, dit-il, (liv. III. ch. xxjv.) eurent la principale obligation de cette victoire, aussi-bien que des précédentes, à leur cavalerie, & par-là donnerent à tous les peuples qui devoient naître après eux, cette importante leçon, qu’il vaut beaucoup mieux être plus fort en cavalerie que son ennemi, même avec infanterie moindre de moitié, que d’avoir même nombre que lui de cavaliers & de fantassins ».

La réputation dont joüit Polybe depuis près de vingt siecles, d’être l’écrivain le plus consommé dans toutes les parties de la guerre, semble mettre son opinion hors de doute ; il n’a d’ailleurs écrit que ce qui s’est passé pour ainsi dire sous ses yeux, & il a pour garans de son précepte tous les faits dont son histoire est remplie, les victoires d’Annibal aussi-bien

que sa défaite à Zama ; & l’on peut regarder la seconde guerre punique, comme la véritable époque de l’établissement de la cavalerie dans les armées ; avant ce tems les Grecs & les Romains en avoient très-peu, parce qu’ils en ignoroient l’usage, & que d’ailleurs les Grecs n’eurent long-tems à combattre que les uns contre les autres, & dans des pays stériles où la cavalerie n’auroit pû trouver à subsister, & qui étoient coupés de montagnes impraticables pour elle. La fameuse retraite des dix mille n’est pas un exemple qui prouve que les Grecs sûssent se passer de cavalerie ; il n’y a qu’à les écouter, pour s’assûrer qu’ils étoient au contraire très-convaincus qu’elle leur auroit été d’un grand secours : « les Grecs, dit Xénophon en parlant de cette retraite dont il fut un des principaux chefs, s’affligeoient beaucoup quand ils considéroient que faute de cavalerie la retraite leur devenoit impossible au cas qu’ils fussent battus, & que vainqueurs ils ne pouvoient ni poursuivre les ennemis, ni profiter de la victoire ; au lieu que Tissapherne, & les autres généraux qu’ils avoient à combattre, mettoient facilement leurs troupes en sûreté toutes les fois qu’ils étoient repoussés ». Ce passage prouve bien que si les Grecs n’eurent pas de cavalerie dans les tems de la guerre des Perses, c’est qu’ils n’avoient pas les moyens d’en avoir. Les uns étoient pauvres, & regardoient la pauvreté comme une loi de l’état, parce qu’elle étoit un rempart contre la mollesse & contre tous les vices qu’introduit l’opulence, aussi dangereuse dans les petits états qu’elle est nécessaire dans les grands. Les autres plus riches furent obligés de tourner leurs principales vûes du côté de la mer, & l’entretien de leur flote absorboit les fonds militaires, qui auroient pû servir à se procurer de la cavalerie.

Les Grecs une fois enrichis des dépouilles de la Perse, crurent ne devoir faire un meilleur usage des thrésors de leurs ennemis, qu’en augmentant leurs armées de cavalerie. Ils en avoient à la bataille de Leuctres, & celle des Thébains contribua beaucoup à la victoire. On leur compte aussi cinq mille chevaux sur cinquante mille hommes à la bataille de Mantinée, & ce fut à sa cavalerie qu’Epaminondas dut en grande partie la victoire. C’est à sa sage prévoyance que les Thébains durent chez eux cet utile établissement, qui doit être regardé comme l’époque du rôle le plus brillant qu’ils ayent joüé sur la terre. Ce général, le plus grand homme peut-être que la Grece ait produit, entendoit trop bien l’art de la guerre pour en négliger une partie aussi essentielle. Dès ce moment les Grecs ne se tiennent plus sur la défensive ; on les voit porter la guerre jusqu’aux extrémités de l’Orient : dessein que jamais Alexandre n’eut sans doute osé concevoir, si son armée n’avoit été composée que d’infanterie. On sait que les Thessaliens ayant imploré le secours de Philippe contre leurs tyrans, il les défit, & qu’il s’attacha par-là ce peuple dont la cavalerie étoit alors la meilleure du monde ; ce fut elle qui jointe à la phalange macédonienne, fit remporter tant de victoires à Philippe & à son fils : c’est cette cavalerie que Tite-Live appelle Alexandri fortitudo. Quant aux Romains, il est encore vrai que dans leur premier tems ils n’eurent que très-peu de cavalerie. L’histoire nous apprend que Romulus n’avoit dans les armées les plus florissantes de son regne, que mille chevaux sur quarante-six mille hommes de pié : ce qu’on en peut conclure, c’est que Romulus n’étoit pas fort riche ; la dépense qu’il eût été obligé de faire pour s’en procurer davantage & pour l’entretenir, auroit de beaucoup excédé ses forces, dans un tems sur-tout où il avoit tant d’autres établissemens à faire : d’ailleurs les environs de Rome, le seul pays qu’il possédoit